Elles tournent en boucle sur les réseaux sociaux, crues et violentes. Elles se partagent accompagnées d’un message choqué ou mortifié écrit par des citoyens lambdas, souvent par des juifs de la diaspora. Elles, ce sont les images de l’attentat à la voiture bélier de Jérusalem-ouest, filmées par une simple caméra de surveillance. La scène se déroule en début de matinée, mardi 13 octobre. On voit un véhicule qui fonce délibérément sur des passants. Les cibles sont des juifs d’apparence. Ces juifs-là, juste parce qu’ils sont juifs, sont fauchés sur le trajet qui les mène, comme chaque jour, au travail, à l’école, à la synagogue. L’horreur fait soudain irruption dans la banalité. Les hommes deviennent des pantins, leurs membres sont écrasés contre le pare-chocs de l’automobile tueuse, pas d’échappatoire possible. C’est à peine si ils ont le temps de voir la mort en face. A la suite de cet attentat, la police a conseillé aux Israéliens de surveiller leurs arrières, de baisser le son qui sort de leurs écouteurs, bref, de rester constamment sur leurs gardes, parfaitement vigilant, on ne sait jamais. A Jérusalem, les terroristes voudraient que les passants ne flânent plus. Les terroristes ne sont pas des poètes… Ce sont des tueurs. Leurs exactions font froid dans le dos. En l’espèce, la scène de l’attentat à la voiture bélier dure une dizaine de secondes tout au plus. Puis on pense que le calvaire se termine. Les voir se faire écraser, c’est déjà bien assez pour le spectateur incrédule. Mais non, la terreur a de la suite dans les idées. Son auteur zélé sort subitement de son auto, il ne prend pas la fuite puisqu’il est programmé pour tuer. Avec ce qui ressemble à une hache, il assène maintenant des coups rageurs à une de ses victimes déjà à terre et sans défense. Elle agonise. On pense soudain au sort funeste d’Ahmed Merabet, le policier de Charlie Hebdo abattu sans pitié. On fait le rapprochement puisqu’on sait désormais que le terrorisme islamique outrepasse les frontières étatiques, les conditions, les statuts.
Retour en Israël. Le but de l’agresseur : transpercer un juif, pas un homme, un juif. De part en part. C’est insupportable, barbare. L’attaque se termine finalement lorsqu’un policier intervient pour priver le terroriste de son arme puis le frapper pour que l’horreur prenne fin. Ce dernier succombera à ses blessures. Devant l’écran, on est soulagé. Ensuite, il y a tout ce que la vidéo ne montre pas mais que l’on imagine. Les cris. La douleur. Le ballet des sirènes et celui des journalistes dépêchés sur place. Voilà. Le terrorisme à l’heure de Twitter et de Daesh, de Charlie et de Bachar, c’est ça. Ça ressemble à ça. Ca a le visage de ce prétendu sympathisant de la cause palestinienne qui se croit dans GTA sauf qu’il ne joue pas. Depuis quelques jours, ces images et bien d’autres, dans des bus, près des écoles et des cafés, redeviennent donc le quotidien des israéliens. Par le biais des médias, de Facebook et de Twitter, il est également devenu un spectacle visible à l’envi dans l’hexagone. De quoi s’agit-il au juste ? A l’heure où s’écrivent ces lignes, les journalistes qui aiment donner un nom aux événements évoquent une nouvelle Intifada, la troisième du nom. Une « Intifada des couteaux ». Chaque demi-heure sur les chaînes d’info en continu, on répète l’expression qui devient automatique. Au bout de quelques heures, c’est abrutissant. Tout ça est rentré dans votre tête. Vous vous dites : c’est reparti pour un tour ! Israël-Palestine, les deux nations s’enlisent à nouveau. Abbas-Netanyahu : dans leurs rangs, depuis dix ans, personne pour penser à faire naître un quelconque espoir de paix. Rien. Malgré tout, ces deux-là ont encore les rênes du pouvoir… S’agit-il vraiment d’une Intifada ? Loin du babil éreintant de l’info en continu, lorsqu’on interroge les experts, ils réfutent, pour l’heure et d’une seule voix, cette idée. C’est étrange, non ? Ceux qui possèdent le savoir ultime sur la question : professeurs, universitaires, spécialistes du Proche-Orient et du conflit israélo-palestinien disent cette chose : pas (encore) d’Intifada. Trop tôt pour le dire. Les conditions ne sont pas toutes réunies. Dans certaines zones, la situation économique des Palestiniens s’est améliorée. Il y a de la croissance. De l’autre côté du mur ou de la barrière de sécurité, appelez-ça comme vous le voudrez, certains Palestiniens ont aujourd’hui « quelque chose à perdre ». Du coup, pas évident que ces populations qui accèdent enfin à un début de prospérité aillent risquer de perdre leur nouveau statut. Les spécialistes sont prudents, ils refusent de s’emballer.
On zappe sur I-télé, BFMTV and co. Là, plus de nuance. On y déteste la complexité du réel. Jamais on ne nous parle des Palestiniens autrement qu’en lanceurs de pierres ou de couteaux. On préfère les cantonner à un rôle qui offre des images fortes parfaites pour les caméras : celui du palestinien qui se soulève (le sens premier du mot Intifada). A force, le propos répété en boucle devient obscène. Pour tout le monde. Obscène car il encouragerait presque le Palestinien, quel qu’il soit, à foutre sa vie en l’air et, au passage, celles des autres. Vite, jeune adulte dans la force de l’âge ! Enfile ton keffieh, empare-toi de pierres et prends un couteau de boucher, fais ce que l’on aimerait tant que tu fasses ! On sait que l’Intifada est un mouvement qui est attentif aux médias. En règle générale, l’intifadien captive l’audience. Si « ça prend bien », sa révolte fera la une. Puisque la jeunesse palestinienne sent que l’Intifada est son seul moyen d’exception dans un contexte d’enfermement, de droit de vote nul et de liberté d’opinion inexistante, elle ira jeter des pierres. Logique. Nos chaînes infos ont ici une responsabilité terrible. En diffusant des images qui montrent une réalité qui n’existe pas encore, elles la font accoucher prématurément. On a ainsi automatiquement plaqué sur une réalité nouvelle des schémas d’hier. Derrière leur écran, les masses avalent la manipulation médiatique puisque, globalement, elles ne lisent plus. Elles préfèrent s’angoisser en lisant les alertes push reçues nuit et jour sur leurs smartphones et s’hypnotisent en fixant les bandeaux défilants et le décompte des morts scrupuleusement tenu par les chaînes infos. C’est pratique : ça tient en quelques lignes… Pendant ce temps-là, en Israël, on souffre vraiment. En Palestine, on subit les conséquences lourdes du sempiternel « Viva la Muerte » des terroristes locaux. Et en France – où ce conflit agit comme une passion – on s’excite plus que de raison. On oublie que pour la communauté juive, les Intifada engendrent mécaniquement la hausse des violences, des insultes, des attaques et, disons-le sans tourner autour du pot puisque c’est une réalité dans notre pays, la mort. Déjà, à Paris, Lyon, Marseille, en attendant plus et pire, on s’invective. On prend pour cible et on s’accuse. En toile de fond : le téléviseur bloqué sur les chaines infos…
Derrière l’écran : l’Intifada vue par les chaînes info
par Laurent David Samama
16 octobre 2015
Sur les chaînes d'information continue, les Palestiniens sont cantonnés à un rôle qui offre des images fortes. On y déteste la complexité du réel.
Mais parfois, au détour d’ARTE, on nous présente des images du neveu du kamikaze à la voiture bélier, que des adultes couvrent d’un keffieh pour qu’il loue son oncle martyr, qui nous présente la vidéo qui tourne en boucle sur son portable, « Comment poignarder un sioniste » (on notera l’emploi du mot sioniste pour les télés occidentales), par derrière en tournant le couteau dans la plaie pour faire plus de dégâts.
Et on devine l’instrumentalisation, la complexité, les enjeux politiques et financiers…