Ces lignes sont écrites au retour d’une visite à l’autre campement parisien où se retrouvent des Africains. Le plus grand, celui sous la ligne aérienne du métro, à La Chapelle, a été démantelé mardi 2 juin. Il y avait là plus de 400 réfugiés, essentiellement soudanais et érythréens. Les autorités ont jugé que les mauvaises conditions d’hygiène rendaient l’évacuation nécessaire. Il a été proposé à tous ces gens qui vivaient depuis des mois sous des tentes de les reloger. La quasi-totalité d’entre eux a pu bénéficier d’un toit, dans des hôtels ou des centres d’hébergement. Mais pour quelques jours seulement. Et souvent très loin en banlieue. Mon ami Pierre Henry, directeur général de France Terre d’Asile, m’a dit que la situation des demandeurs d’asile est de pire en pire. «Il y a là des gars qui ont leur récépissé de demande, voire certains qui ont obtenu le statut, mais il est de plus en plus difficile de les loger. On est débordé», m’expliquait-il. Sans surprise, bon nombre des migrants évacués étaient déjà de retour sous le métro dès le lendemain.

Plutôt que d’aller à La Chapelle, nous avons choisi à quelques-uns du Collectif Urgence Darfour de prendre contact avec les réfugiés du campement situé à deux pas de la gare d’Austerlitz. Difficile de les remarquer : ils sont en contrebas, sur les berges de la Seine, sous le pont Charles de Gaulle. Il y a là une petite cinquantaine de tentes, sagement juxtaposées sur deux rangées les unes tout à côté des autres, sous lesquelles se logent environ 150 Africains. Ici tout est propre. Mais le bruit court qu’ils seront eux aussi délogés sous peu. En attendant la police fait des rondes, vérifie sans agressivité que les lieux sont tranquilles. On sent plutôt une forme de bienveillance de la part des gardiens de la paix. A trois cents mètres du campement se trouve le splendide bâtiment de l’Institut français de la mode. Là tout n’est que luxe, calme et modernité. Les réfugiés se font aussi discrets que possible, ne veulent pas déranger. Mais peut-être gênent-ils la vue des visiteurs du temple de la mode…

 

Au fond : le bâtiment de l'Institut français de la mode. (Photo Bernard Schalscha)
Au fond : le bâtiment de l’Institut français de la mode. (Photo Bernard Schalscha)

 

Nous engageons la discussion. Quelques-uns de ces hommes parlent anglais, mais la plupart ne comprennent que l’arabe. Pas de problème : avec nous il y a deux Soudanais, Mourad et Mohammed Abdelnabi. Mohammed n’est autre que l’ancien avocat de Meriem Ishag, la jeune femme qu’un tribunal aux ordres du régime de Khartoum avait condamnée à mort pour apostasie. Elle se réclamait en effet de la foi chrétienne alors que son père – qui avait abandonné le foyer alors qu’elle était toute petite – était lui musulman. Elle était donc, selon les principes islamiques, musulmane de naissance. Quand bien même sa mère était chrétienne. Arrêtée alors qu’elle était enceinte puis jetée en prison avec son fils de 20 mois, c’est là que, en mai 2014, elle avait accouché d’une petite fille. Elle fut finalement libérée grâce à une campagne internationale. Mais son jeune avocat fut l’objet d’une avalanche de menaces de morts. Les autorités refusant de lui assurer la moindre protection, il jugea à juste titre qu’il valait mieux quitter au plus vite le Soudan. Et c’est ainsi que Mohammed débarqua il y a quelques mois à Paris, où il resta lui aussi pendant des semaines à dormir dans la rue avant d’entrer en contact avec le Collectif Urgence Darfour. Il est maintenant tiré d’affaire.

Revenons au campement d’Austerlitz. Mis en confiance grâce à nos deux amis soudanais, les réfugiés nous expliquent leur situation. Ils sont quasiment tous originaires du Soudan. Pourquoi ont-ils quitté leur pays ? Là réponse est toujours la même : à cause du régime d’Omar el-Béchir. Ali, 26 ans, appartient à la tribu Daju. Il était étudiant puis est revenu dans son village du Darfour, que l’armée a bombardé ; tout le monde s’est alors enfui dans tous les sens, et il a depuis perdu le contact avec sa famille. Après des mois d’errance dans son pays, il s’est résigné à choisir l’exil. Henry, lui, vient des monts Nouba. Il a 40 ans, était agriculteur. Les monts Nouba étant un fief rebelle, ils subissent depuis des années les offensives aériennes et terrestres de l’armée gouvernementale. Henry a fini par s’expatrier et a débarqué à Paris le 8 avril. Adam, Ibrahim ou Abdelaziz racontent chacun une histoire aussi sinistre, faite de proches tués, parents disparus, maisons pillées, errance, maltraitance, faim, soif…

 

Le campement de réfugiés près de la gare d'Austerlitz (Photo Bernard Schalscha)
Le campement de réfugiés près de la gare d’Austerlitz (Photo Bernard Schalscha)

 

On l’oublie trop souvent sous nos latitudes : le dictateur islamo-militariste, qui règne à Khartoum depuis le coup d’Etat fomenté par les Frères musulmans en 1989, consacre l’essentiel de son temps – et du budget de l’Etat – à réprimer avec sauvagerie toute forme de contestation. Et comme il doit faire face à plusieurs mouvements de rébellion, au Darfour comme dans la région du Nil Bleu ou dans les monts Nouba, au Kordofan du Sud, il envoie ses avions (russes) bombarder les villages et ses milices massacrer les civils. Lesquels civils finissent soit par se joindre aux rebelles, soit, donc, par fuir leur pays avec l’espoir de refaire leur vie en Europe. Et c’est ainsi qu’après un chemin de croix à travers la Libye ou l’Egypte (deux pays où, racisme anti-Noirs aidant, ils sont rackettés, battus, jetés pendant des semaines dans des geôles immondes), ils arrivent par milliers en France, généralement avec pour objectif de continuer jusqu’en Grande-Bretagne, mais décidant aussi désormais de plus en plus souvent de rester dans l’Hexagone. Douloureux paradoxe : Omar el-Béchir a beau être recherché par la Cour pénale internationale qui l’a inculpé en juillet 2010 de crimes de génocide contre les tribus four, masalit et zaghawa, lui vit et dort dans son palais ; quant à ses victimes, du moins celles qui ont réussi à survivre à ses exactions, elles vivent soit sous des tentes dans de gigantesques camps de déplacés au Soudan ou de réfugiés au Tchad, soit sous des tentes posées sur le bitume parisien. Et voilà, Madame, pourquoi votre trottoir est plein de migrants soudanais. Et voilà, également, pourquoi il faut les aider, c’est-à-dire aider les associations humanitaires qui leur fournissent (parfois irrégulièrement hélas) de quoi manger ; fournir à ces demandeurs d’asile un accompagnement dans leurs démarches, ne pas les laisser se dépatouiller seuls pour faire valoir leurs droits. Il y aurait bien sûr un très bon moyen d’épargner à ces Soudanais de devoir fuir la dictature qui les persécute : ce serait évidemment de débarrasser leur pays du génocidaire Omar el-Béchir en parvenant à l’envoyer devant la Cour pénale internationale qui le réclame depuis maintenant cinq ans. L’Europe et la France pourraient y contribuer.

Un commentaire

  1. Merci pour cet article, mais l’Institut Français de la Mode tient à préciser qu’il n’a en rien demandé l’expulsion de ces réfugiés qui sont d’une discrétion exemplaire.
    Cordialement.
    Lucas Delattre (IFM).