« Des entrailles prédestinées de ces deux ennemies a pris naissance,
sous des étoiles contraires, un couple d’amoureux. »
Prologue de Roméo et Juliette

 

Marguerite et Julien sont amoureux. Ils s’aiment d’une passion dévorante. Pourtant, comme Roméo et Juliette, la société s’oppose à leur amour maudit. La raison ? Marguerite et Julien sont frère et sœur.

Après avoir secoué la Semaine de la Critique en 2011 avec La Guerre est déclarée, Valérie Donzelli revient à Cannes en Sélection officielle avec un sujet tout aussi épineux. Malgré son potentiel « provoc », Marguerite et Julien est un grand film romanesque sur une histoire d’amour fascinante.

Le film se fonde sur le scénario écrit par Jean Gruault pour François Truffaut, à propos de l’histoire vraie de Julien et Marguerite de Ravalet, exécutés en 1603 pour adultère et inceste.

A partir de ce fait divers, Valérie Donzelli a souhaité produire « un film d’aventures chevaleresques » – à l’image de cette scène où, enfant, Julien sauve sa sœur à cheval, et la ramène saine et sauve au château où ils vivent, tel un prince secourant sa princesse en détresse.

Pour décrire ce film, l’expression sur toutes les lèvres est « conte pop ». En effet, quelque part entre Jacques Demy et Wes Anderson, sur un mode moins coloré et plus sérieux, tous les éléments du conte sont là. L’histoire du couple maudit est racontée par une jeune fille dans un orphelinat, comme une légende que l’on se raconte sous la couette pour se faire peur, et rêver. Le récit-cadre altère astucieusement l’authenticité des faits relatés : est-ce un conte de grand-mère ou bien les deux personnages sont-ils réels ?

Dans le même esprit, un des principaux atouts du film réside dans le brouillage chronologique. L’action se situe dans la ville française de Tourlaville, mais il est impossible de la placer dans un cadre temporel : on se déplace à cheval, il y a un roi, mais on aperçoit des hélicoptères et un appareil-photo… La multiplication des anachronismes n’est d’ailleurs pas sans rappeler le Romeo + Juliet de Baz Lurhmann. Cet effet d’intemporalité ouvre ainsi une toute nouvelle portée au récit de l’inceste, tabou éternel.

Donzelli, soutenue par son binôme Jérémie Elkaïm au scénario, aborde au fond un thème qui lui est cher : la fusion de deux êtres. Or, ici, la fusion est dévastatrice.

La réalisatrice maintient pourtant un parfait équilibre dans le traitement de ce sujet hautement subversif. Le propos est tenu à distance de toute moralisation, sans faire l’éloge de l’inceste non plus. Les personnages transgressent les lois malgré eux. En témoigne cette scène où Marguerite prie devant un crucifix : consciente de son crime, elle implore le pardon du Seigneur ; puis elle enlace son frère, devant ce même crucifix. Valérie Donzelli déclare : « Je voulais qu’on soit à la fois avec eux mais aussi avec les autres. » En cela, c’est une réussite pour le spectateur qui se trouve dans la même contradiction que les personnages entourant le couple et qui souhaitent les aider, mais ne peuvent accepter leur relation. Le récit, loin de la caricature, permet au spectateur d’apprécier la beauté de l’histoire d’amour, malgré le poids du malaise.

Pour ces personnages prédestinés à s’aimer, l’amour agit comme une fatalité, « comme une maladie » dit-on dans le film. Marguerite et Julien savent que leur amour impossible les mèneront à la mort, mais ils n’ont d’autre choix. Au-delà du conte, il s’agit véritablement d’une tragédie, interrogeant la fatalité, mais aussi la liberté, pour ces deux amoureux damnés. Pour eux comme pour leur famille terrifiée, il est inutile de lutter.

« Nous ne serons jamais libres », murmure Marguerite.


Marguerite et Julien
Réalisé par Valérie Donzelli
Avec Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm
Date de sortie : 30 septembre 2015