Bernard-Henri Lévy : Je les trouve frileux, oui. Hésitant à se prononcer. Coupant les cheveux en quatre. Tout le monde nous dit que la «diabolisation» de jadis, soit n’a pas marché, soit a fait monter le Front National. Je crois juste le contraire. Quand on «diabolisait», autrement dit quand on était ferme sur les principes et qu’on traçait des lignes de démarcation claires, le FN était à 10 ou 15%. C’est depuis qu’on a baissé la garde, c’est-à-dire depuis qu’on le traite comme un parti normal, qu’il est monté à 30%…
C. D. : Comment intervenir  sur ce sujet ?
B.-H.L. : Les intellectuels en général, je ne sais pas. Tout ce que je peux vous dire c’est ce que nous avons fait, nous, les intellectuels rassemblés autour de la revue la Règle du jeu. D’abord, on n’a pas désarmé. On a méthodiquement démonté le discours lénifiant sur Le Pen fille brisant le programme extrémiste de Le Pen père. Et puis on a, au moment des régionales, publié les portraits d’une centaine de candidats frontistes corrompus, auteurs de dérapages fascistes ou néonazis, voyous. Un peu ce qu’a fait le Nouvel Obs avant les départementales d’aujourd’hui.
C. D. : Qu’est ce qu’un intellectuel de gauche aujourd’hui ? En êtes-vous toujours un ?
B.-H.L. : Oui, je me définis toujours comme cela. Mais je ne suis pas sûr, pour autant, que ce soit encore la vraie question. Plus important, le clivage entre souverainistes et internationalistes. Ou entre ceux qui consentent au retour de la pulsion raciste ou antisémite et ceux qu’elle épouvante. Ou, tout simplement, entre Républicains et antirépublicains. Qu’on soit de droite ou de gauche, le Front National est un ennemi irréductible. Peut-être l’est-il même, irréductible, davantage encore pour la droite que pour la gauche.
Texte publié dans Libération le 20/03/2015