Ambiance étrange et inquiétante. Voici ce que nous inspirent les réactions aux propos publics et aux relents racistes tenus le 4 novembre par Willy Sagnol, entraîneur des Girondins de Bordeaux.
En reprenant le bon vieux cliché de l’Africain renvoyé à l’animalité et du Nordique doué de l’esprit, Sagnol a déclenché une émotion légitime. Non seulement de la part de celles et de ceux qui se sont directement senti offensés d’être à nouveau assignés à la plus basse échelle de l’Humanité. Mais également de la part de toutes celles et de tous ceux qui ne peuvent pas concevoir que dans la France du 21ème siècle de pareils clichés puissent encore circuler dans l’espace public.
L’émotion aurait dû être formulée à tous les niveaux, en respect et en adhésion aux valeurs d’égalité et de fraternité qui ne peuvent se marier avec l’expression d’une pensée articulée et construite sur l’existence d’êtres humains essentialisés et hiérarchisés par des caractéristiques invariantes.
Malheureusement, le spectacle qui nous a été offert s’éloigne en tous points de ce scénario que l’on aurait espéré « normal », sinon banal.
Dès les premières expressions de condamnation de ces propos surgis d’un autre siècle, se mit en place une opération que l’on aurait pu labelliser « Sauvez Willy » si l’heure était à l’humour. La direction du Club des Girondins de Bordeaux, sans même prendre la moindre distance avec les propos incriminés, se solidarisa avec son entraîneur.
Nous constatâmes que le monde officiel du football au mieux louvoyait, au pire apportait un soutien à peine voilé à Willy Sagnol. Les instances de ce sport n’ont d’ailleurs toujours pas à ce jour, malgré les saisines dont elles ont été l’objet, décidé d’enclencher une procédure disciplinaire dont maints ont été l’objet pour des faits bien moins graves. Pourtant, ces instances, par leur retard ou leur timidité en matière de formation et de sensibilisation sur ces sujets portent une lourde responsabilité dans la possibilité que de telles paroles puissent être aujourd’hui exprimées.
Quant à l’ambiance médiatique majoritaire, elle se résuma en ce spectaculaire et pervers retournement de situation formalisé par ce questionnement faussement ingénu : « Critiquer Willy Sagnol, n’est-ce pas en faire un peu trop ? ». Théorie bien connue selon laquelle ce sont les antiracistes qui créent le racisme. « Ah, s’il n’y avait pas eu ces fous d’abolitionnistes aux Etats-Unis, combien de Noirs auraient été sauvés du lynchage ? », semblent nous dire ces admirateurs officiels de Martin Luther King.
Bien sûr, tout ce beau monde n’est constitué que de belles âmes qui expriment le refus principiel du racisme (pensez donc !). Mais il se trouve que tous ces tartuffes ne voient pas le racisme lorsqu’il se manifeste concrètement en se matérialisant devant leurs yeux soudain frappés de la plus étrange cécité.
Il n’y avait donc pas beaucoup de chances que les « excuses » de Willy Sagnol, formulées le 7 novembre, créent davantage d’émotion. Dès la veille d’ailleurs, maints médias annonçaient que sa prise de parole viendrait clore cette bien triste séquence.
Eh bien non, cette séquence n’est pas close, n’en déplaise à ceux qui se sont autoproclamés « fermeurs » de débats. Les « excuses » de Willy Sagnol, outre leur caractère tardif et quelque peu contraint, ne viennent clore aucune séquence et ceci pour trois raisons.
Tout d’abord, elles sont au mieux ambiguës. Certes, le personnage s’est déclaré « désolé » d’avoir pu « choquer ». Mais le même explique dans la foulée ne pas comprendre les condamnations dont il a été l’objet, citant même un texte écrit il y a quelques années par un Africain et censé exprimer les mêmes idées. « J’suis pas raciste, mon chien est noir ! » disait Le Luron dans un de ses sketchs…
Ensuite, les fausses « excuses » de Sagnol laissent entière la question de l’étude des sanctions, sauf à penser que le monde du football serait au-dessus des lois de la République. Les instances disciplinaires du football semblent faire la sourde oreille et ne pas voir où est le problème ? Eh bien, c’est devant les tribunaux que les propos, mélange de diffamation raciale et d’incitation à la discrimination raciale, seront étudiés.
Enfin, la sanction individuelle ne serait que trop facile si, derrière, la responsabilité collective d’une profession n’était pas posée. A 18 mois d’un Euro 2016 organisé en France, le ministère, la FFF et la LFP doivent enfin s’engager sur des programmes d’éducation et de prévention sur la question du racisme qui soient concrets, visibles et volontaristes.
Mais au-delà du monde du football, c’est bien un problème de société que révèlent les propos de Sagnol et la cohésion instinctive et immédiate d’une grande partie de l’establishment sportif et médiatique autour de l’entraîneur des Girondins de Bordeaux.
L’ambiance est lourde et inquiétante car elle porte en elle la dynamique de la réhabilitation d’une parole raciste dont les victimes devraient se taire, et si possible y acquiescer. C’est pourquoi nous appelons l’ensemble des citoyens à manifester leur émotion et leur réprobation face à cette mauvaise séquence. Refuser de se laisser endormir ou impressionner par le mélange de ventre mou et de chœurs haineux qui devait précipiter le passage par pertes et profits de cette insulte, c’est aussi reconquérir un espace du vivre ensemble que les racistes « bien pensants » et ceux qui font preuve d’un silence complice contribuent à réduire un peu plus chaque jour.
Premiers signataires :
Dominique SOPO, président de SOS Racisme
Pape DIOUF, ancien Président de l’Olympique de Marseille
ROST, artiste, président de Banlieues actives
Jocelyne BEROARD, artiste
Jacob DESVARIEUX, artiste
Josiane BALASKO, comédienne
Yvan ATTAL, cinéaste
Claude BOLI, sociologue du sport
Serge ROMANA, président de CM98
Daniel DALIN, président du CollectifDom
Roger EPASSY, agent de joueurs
Jacques MARTIAL, président du Parc de la Villette
Louis-Georges TIN, président du CRAN
Sacha REINGEWIRTZ, président de l’UEJF
Zoïa GUSCHLBAUER, présidente de la FIDL – le syndicat lycéen
Mama KEÏTA, cinéaste
Claude RIBBE, président de l’Association des Amis du Général Dumas
David GAKUNZI, essayiste et journaliste
Pierre BERGE, entrepreneur
Pascal BLANCHARD, historien
Françoise VERGES, historienne, ancienne présidente du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage
Benjamin ABTAN, président de l’EGAM – Mouvement antiraciste européen
Thiernon CAMARA, secrétaire général du FORIM
Malick KADRA, président de la Coordination des Associations guinéennes de France
Diagne CHANEL, présidente du Comité Soudan
Ibrahim SOREL, président de BDM TV
William MARTINET, président de l’UNEF
Marcel KABANDA, président d’Ibuka
Jacky MAMOU, président d’Urgence Darfour
Pierre HENRY, président de France Terre d’Asile
Nadège ABOMANGOLI, conseillère régionale d’Ile-de-France
Nicolas BANCEL, professeur d’histoire à l’Université de Lausanne
Pierre MBAS, directeur des partenariats à DIAMBARS
Jean-Paul MAKENGO, conseiller régional de Midi-Pyrénées, ancien président de la Coalition européenne des villes contre le racisme
Kag SANOUSSI, président du Mouvement National pour l’Egalité et la Diversité
Yannick WEZET-JOHN NAMBO, consultant en jeunesse et citoyenneté
Carole DA SILVA, présidente de l’AFIP
Maria De Franca, rédactrice en chef de La Règle du Jeu
Yann MOIX, écrivain
Patrick PELLOUX, médecin urgentiste
Ibrahima KEÏTA, président de « INItiative pour la PROmotion de la Diversité »
Romuald DZOMO, président de l’ANI (Afrique et Nouvelles Interdépendances)
Eric FASSIN, professeur de Sciences politiques à l’Université Paris VIII
Viviane ROMANA, conseillère régionale d’Ile-de-France
Naïma CHARAÏ, présidente de l’ACSE…