En 1940, Jerry Salinger n’est pas une légende. Il a 21 ans, n’est encore qu’un apprenti écrivain, désargenté. À New-York, il croise au Stork Club, the place to be, la toute jeune Oona O’Neill et les deux sœurs qu’elle s’est choisies, Carol Marcus et Gloria Vanderbilt. À leur table, également, Truman Capote. Jeunesse dorée, destins en devenir. Oona et Jerry vont vivre une histoire d’amour. La jeune fille est à la fois délurée et timide, le jeune homme amoureux et respectueux. La fille d’Eugène O’Neill, prix Nobel de littérature, n’a plus de contact avec son père, et sa mère lui laisse la bride sur le cou. Oona est, selon ses propres paroles – ou tout au moins selon celles que lui prête Frédéric Beigbeder – la fille « la plus libre de New-York ». C’est une histoire américaine : on danse sur du Glenn Miller, on croise Orson Welles, on envoie ses nouvelles au New-Yorker, on dort dans des appartements de milliardaires. Puis l’Histoire s’en mêle… Pendant que l’on danse et boit à Manhattan, l’Europe subit les assauts d’Hitler.
L’histoire de l’écrivain américain et de la fille du dramaturge américain est aussi une histoire européenne. Jerry Salinger part à la guerre, il participe au débarquement en Normandie puis se bat en Allemagne avant de découvrir l’horreur de Dachau. Oona quitte New-York pour Los Angeles et fait la connaissance de Charlie Chaplin. Elle a 17 ans, il en a 54, et c’est une histoire d’amour. Salinger se bat contre Hitler, Oona épouse le réalisateur du Dictateur. Les Chaplin auront huit enfants. Salinger ne se remettra sans doute jamais de la rupture, écrit son chef-d’œuvre et s’isole dans les bois. Les Chaplin s’installent en Suisse. L’Atlantique, toujours, entre les deux anciens amoureux.
On connaît la fascination qu’exerce Salinger sur Beigbeder, qui lui a consacré un documentaire. En ouverture du livre, Beigbeder raconte comment il a renoncé à frapper à la porte de l’ermite. « Je… je suis… poli » murmure-t-il à Jean-Marie Perrier qui râle et raille, le traitant de trouillard devant le panneau « No trespassing » à l’entrée du chalet de Salinger. On apprend, dans Oona & Salinger, la fascination que la fille O’Neill a exercée, elle aussi, sur Beigbeder. Il faut attendre les dernières pages du roman pour comprendre à quel point les destins de Salinger et d’Oona sont liés, affectivement, intellectuellement et sentimentalement, à celui de Frédéric Beigbeder. D’une certaine façon, tout remonte à l’enfance, toujours. À un souvenir d’enfance.
L’histoire d’Oona O’Neill et de Jerry Salinger, puis l’histoire de J.D. Salinger d’un côté et celle d’Oona et Charlie Chaplin de l’autre, si elles sont centrales, ne sont pas le véritable sujet du roman. Roman ? Beigbeder avertit son lecteur : il ne s’agit pas d’une fiction, mais d’une « faction ». Un roman non-fictionnel, dans lequel les faits sont vrais, et où l’auteur garde sa part de liberté. Capote disait « non-fiction novel ». La faction que Beigbeder nous livre n’est pas de l’ordre de la biographie, de la biopic. Comme toujours, chez lui, l’autobiographie est première. Oona & Salinger raconte une histoire d’amour, oui. Raconte une rencontre. Celle de Frédéric et de Lara. La jeune et irrésistible Lara, au moins aussi libre que la jeune et irrésistible Oona. À 45 ans, Beigbeder n’est plus le jeune Jerry Salinger des années 40, mais il n’est pas encore le Chaplin chenu qui est passé du muet au parlant, y perdant une part de son génie. Oona & Salinger est aussi une réflexion ironique – la distance et l’autodérision, chez Beigbeder, sont une élégance indéfectible – sur la prise de conscience du temps qui passe, l’âge qui vient et la capacité de séduction, le décalage entre ce que l’on est, ce que l’on se sent, ce que l’on veut montrer ou dissimuler. Frédéric Beigbeder donne à Oona et à Lara la même cambrure de pied, érotique et attendrissante. La marque invincible de la jeunesse.
Au bar du Ritz qui ne porte pas encore son nom, Hemingway parle littérature, horreur et beauté de la guerre, avec le jeune Salinger. Dans une conversation réinventée – on y croit, ce passage est extraordinaire – on entre dans le cœur de la blessure et de la fêlure de Salinger. Comme l’aventure avec Oona, la guerre l’a marqué à jamais. Dans un renversement angoissant, Beigbeder semble nous dire que nous dansons en attendant la prochaine étincelle, la prochaine explosion. Il rencontre Lara alors qu’il est en train de mixer, vaguement concerné, lors d’une exposition, en Suisse. Puis Lara l’entraîne et ils dansent tous deux, isolés de tout et de tous, sur du Céline Dion. Comme le faisaient Oona et Jerry, au Stork club, en 1940, sur du Glenn Miller…
Ce qui m’a dérangé dans ce livre, ce sont toutes les considérations personnelles de Frédéric Beigbeder sur les femmes (il les préfère jeunes, pucelles, soumises ) la guerre et sa détestation primaire des américains.
Il hallucine carrément en comparant le talent de Chaplin avec un mec de banlieue sans envergure artistique.
Croiser ligne après ligne la vie d’Oona et celle de Salinger est une belle trouvaille d’auteur.
Dommage qu’il nous ait tant bassiné avec ses jugements à l’emporte-pièce typiquement sortis d’un esprit bobo et petit-bourgeois qui gigote et s’accroche aux tétons de Psyché, son double imparfait, comme un grand enfant de deux mètres suspendu au sein tari
et flasque de sa marâtre.
Frédéric tenait un sujet, il en a fait une banale histoire.
Signé par un illustre inconnu, ce livre aurait-il été édité chez Grasset ?
Sans doute que non…