France-Allemagne, affiche mythique si il en est, qui fait resurgir avec elle les souvenirs du football subitement devenu tragédie. Oui le sport touche parfois au sublime et ce soir de 1982, à Séville, il y avait de la dramaturgie dans l’air du stade Sanchez Pizjuan. Tout a été dit sur la Nacht von Sevilla. Le théâtre, la littérature, la chanson et même le cinéma se sont emparés du match. Après sa fameuse sortie violente, un véritable attentat, le gardien de but allemand Harald Schumacher fut traité de SS tandis que le français Battiston, sa victime, devint un héros malgré la défaite (et trois dents de perdues). Aujourd’hui encore, malgré les titres glanés en 84, 98 et 2000, tous les amoureux de football aiment cette équipe incarnant la passion du jeu, la naïveté romantique écrasée par le bulldozer ouest-allemand. Qu’il était beau Dominique Rocheteau, ange vert à la longue chevelure bouclée ! Qu’il était émouvant Alain Giresse, lutin ivre de bonheur lorsqu’il marque à la 98ème minute d’un match finalement trop long, cruel et déchirant ! Pourtant, de ce match légendaire, Didier Deschamps a décidé de ne rien dire à ses joueurs alors que la France va à nouveau retrouver la Nationalmansschaft, cette fois-ci en quarts de finale du Mondial. Sa déclaration est limpide : « Ils n’étaient pas nés, je vais parler de quoi? Joachim Low a tout à fait raison. Respect pour les anciens et ce qui s’est passé mais on ne va pas jouer les anciens combattants ». Dommage ! Dommage parce que le football a bien une histoire et que celle de l’équipe de France ne commence pas en 1998. Dommage car avant la France qui gagne, il y a eu, durant des décennies, les Bleus qui perdaient, souvent lamentablement, parfois, mais c’était rare, avec les honneurs. Il fallut du temps pour que le coq français sorte finalement les pattes du fumier dans lequel il était empêtré. Tout cela, Didier Deschamps, qui a défendu pendant tant d’années la tunique bleue, le sait pertinemment. On ne fera donc pas ici la leçon au sélectionneur français.
Mais alors pourquoi n’évoque t-il pas le souvenir de Séville 82 tandis que toute l’opinion se régale d’une revanche à travers les décennies ? Tentons une réponse. En ne parlant pas du passé, Deschamps cherche certainement à protéger ses joueurs. Tout le monde le sait, affronter l’Allemagne, ce n’est jamais évident. D’ailleurs l’adage devenu célèbre dit bien : « Le football est un jeu simple : 22 hommes courent après un ballon pendant 90 minutes et à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent. » Cette année encore, force est de constater que la  Nationalmansschaft possède de sérieux atouts. D’abord elle n’a pas de véritable point faible. Mieux, elle possède en son sein tous les atouts du football moderne : de la puissance, de la technique, des joueurs petits et rapides mais aussi des gaillards capables de régner dans le domaine aérien. La statistique qui fait peur ? Vainqueur de trois Coupes du monde, l’équipe d’Allemagne a atteint au minimum les demi-finales des trois dernières éditions… Voilà bien un géant footballistique. Dans son effectif, les allemands possèdent cinq joueurs ayant plus de 100 sélections : Klose, Podolski, Lahm, Schweinsteiger et Mertesacker. Sur le papier, opposée ligne par ligne au onze tricolore, l’Allemagne l’emporte pratiquement à chaque fois, sauf peut-être en défense. Neuer, son portier, est à la fois fantasque et appliqué. Il sait être décisif en multipliant les arrêts sur sa ligne et les longs dégagements vers ses attaquants. Au milieu, Lahm joue en libéro. Il est libre, touche la balle, se balade devant la défense et navigue entre les lignes, à l’ancienne. Pour venir à bout de l’équipe dirigée par Joachim Low, les français devront forcément museler le joueur du Bayern Munich. Devant, le danger est partout. Ozil, Gotze, Schurrle, c’est hyper efficace, cela va dans tous les sens et frappe dès que l’occasion se présente, comme en Bundesliga. Enfin, évoquons Thomas Müller, le buteur de cette équipe. Un joueur pas franchement impressionnant physiquement parlant, ni épatant pour ce qui est de sa technique balle au pied. Il ressemble à un 9 des années 1980, dans son style capillaire comme dans sa façon de jouer. Mais voilà : ses inspirations sont géniales et son instinct rare ; Müller sent le but et excelle lors des grands rendez-vous. Sur le banc de touche, si le buteur prolifique n’est pas dans un bon jour, un vieux briscard pourra toujours inscrire son nom sur les tablettes. Miroslav Klose, renard des surfaces, toujours à l’affut. Une machine à scorer ! Voilà un bref aperçu de tout ce que Deschamps craint. Alors, pour ne pas ajouter encore plus de pression sur les épaules de ses joueurs (dont la plupart ne disputent que leur première Coupe du Monde), l’entraîneur français a décidé de ne pas convoquer l’Histoire lors de ses causeries. Finalement, c’est peut-être mieux ainsi. Sans le poids de l’Histoire. Avec seulement l’ambition, l’enthousiasme et la fraîcheur de Pogba et ses coéquipiers comme armes fatales.