Les écolos m’énervent.
Il y a ce fond de sauce idéologique à base de volonté de pureté, de naturalisme, d’organicisme, qui m’a toujours inspiré une vraie méfiance.
Il y a ce malthusianisme qui n’est jamais très loin quand on commence à jouer, comme font les tenants de la deep ecology, avec l’idée que chaque humain qui naît est une menace qui pèse sur le stock fini de nos ressources.
Il y a l’idée même de « réconciliation de l’homme et de son milieu » qui, sous ses dehors d’évidence et de bon sens, peut rompre, si l’on n’y prend garde, avec ce que l’humanisme occidental a produit de plus beau – l’homme, comme l’a dit l’un des plus grands philosophes du siècle dernier, n’est-il pas serf dans sa racine et libre par ses fleurs ? esclave à raison même de ce qui le rive à son site d’origine et s’émancipant dans la seule mesure où il dit non à ce qui le conditionne ?
Et je ne parle même pas de cette maladie infantile qu’est, comme à l’accoutumée, et pour paraphraser Lenine, le gauchisme et que l’on a vu ressurgir, il y a quelques semaines à peine, quand Mme Duflot, ministre en exercice du gouvernement Ayrault, a eu le front de dire qu’elle était « de cœur », et « plutôt deux fois qu’une », avec les manifestants qui venaient de défiler, à Nantes, contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et qui avaient été débordés par des commandos de casseurs dévastant le centre-ville…
Mais voici qu’une séquence s’ouvre dans le quinquennat de François Hollande.
Le président réagit, avec une rapidité impeccable, au désaveu que viennent de lui infliger les électeurs.
Il nomme un Premier ministre qui, sous ses faux airs de Matteo Renzi, pourrait bien être l’un des derniers héritiers de Pierre Mendès France.
Il lui donne mandat d’engager les douloureuses réformes dont chacun sait qu’elles sont notre dernière chance pour éviter d’aller dans le précipice.
La majorité serre les rangs.
La fraction la plus responsable de l’opposition attend de voir, mais, comme il se doit en République, souhaite bon vent à M. Valls.
Et voilà Mme Duflot qui, se voyant offrir le grand ministère de l’Ecologie, doublé d’un portefeuille de l’énergie, qui est l’outil idéal pour mettre en œuvre les mesures les plus raisonnables de son programme, hésite, tergiverse et, au terme d’une comédie digne des pires heures de la IVe République, finit par commettre ce que son camarade Cohn-Bendit appelle une « faute politique » : procès d’intention au nouveau Premier ministre ; primat du petit calcul sur l’intérêt général ; et, entre la boutique et la France, choix de la boutique et de ses intérêts électoralistes à moyen et court terme.
Ce mélange de raideur doctrinale et de goût de la manœuvre n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la gauche.
Cette façon de poser, en façade, à l’intraitable qui ne cède pas sur ses valeurs et de ne songer, en coulisse, qu’aux médiocres combinaisons permettant au parti, et à soi-même, de mieux persévérer dans leur être, a un nom dans l’histoire de ce qu’on appelait jadis le mouvement ouvrier.
Ce nom, c’est le mollétisme.
Cette façon de jouer sur les deux tableaux d’une fidélité surjouée aux articles de la vraie foi et, quand ça vous arrange, des compromis les plus opaques, c’est l’exacte répétition du double jeu que joua, vingt ans durant, à la tête de la SFIO, le député maire d’Arras quand, d’un côté, il assurait qu’il ne cédait pas sur les principes de la lutte des classes ou de la dictature du prolétariat et, de l’autre, demandait les pouvoirs spéciaux pour pacifier l’Algérie au lance-flammes.
On a dit que Mme Duflot, en choisissant de sortir du gouvernement et de lui marchander sa confiance au coup par coup, renouait avec la vieille pratique communiste dite du soutien sans participation – mais non ! c’est le mollétisme qu’elle réinvente ! c’est le même croisement de maximalisme idéologique implacable et d’opportunisme politique détestable ! c’est le même goût du double langage et de la double commande – d’un côté, oui, la rhétorique sans frais de l’idéologue sans concession et, de l’autre, la primauté d’une tactique, sans scrupule ni honneur, où les premiers dupés sont, bien entendu, les militants !
Mme Duflot est le Guy Mollet d’aujourd’hui.
Mme Duflot, avec sa façon, main sur le cœur, de jurer que jamais, au grand jamais, elle ne bradera les intérêts supé- rieurs de l’écologie et de tirer, de l’autre main, les grosses ficelles d’une toute petite politique politicienne qui l’oppose à M. Valls, et désormais à Mme Royal, est la réincarnation de celui qui reste, dans les mémoires, le symbole des pires reniements de la gauche.
Mme Duflot qui est supposée en charge des plus hautes questions auxquelles l’espèce humaine est confrontée, Mme Duflot qui est censée n’avoir la tête qu’à ces enjeux immenses qui, s’imposant à toutes et tous, devraient presque s’inscrire dans un ciel de pures idées, a les pieds dans la boue où a pataugé la gauche la plus politicarde du siècle passé.
C’est pourquoi il est peut-être temps, pour les tenants sincères de la cause, pour ceux qui croient vraiment – et ce sont, de loin, les plus nombreux – à l’ardente obligation de ne pas laisser la planète se défaire davantage et même de la réparer, de se poser franchement la question : « l’écologie n’est-elle pas une affaire trop sérieuse pour être laissée à Mme Duflot et aux siens ? »
Valls, Duflot et Guy Mollet
par Bernard-Henri Lévy
7 avril 2014
A quelques heures du vote de confiance à l'Assemblée...
Les écolo-gisants me font penser à ces anti-establishment puissamment established, collés en petites coupures entre deux découpures d’une condensation de Rauschenberg, qui se permettront de comparer la Maison-Blanche au Palais de Niavaran aussi longtemps que cela ne leur vaudra pas le coup-du-la-main que Gilet père fichait à Gilet fils dans Histoire(s) de la télévision, alors qu’ils seraient les premiers à marcher au pas de l’oie s’ils avaient eu l’a/u/b/a/i/n/e de naître du mauvais côté du rideau de tchadri.
Il y a ceux qui savent y faire et les autres qui laissent faire. Trop occupés à plaire à leurs ultra, quelques éco-illogiques en oublieraient presque que le carnivore de Matignon, moins que les primaires, promet de jouer les complémentaires. Ces végétatifs se procurent une fois de plus une hausse de tension totalitaire. Ils ne peuvent s’empêcher de manger les couleurs qui les entourent. Or il n’y a qu’un monochrome qui tienne, le spectre de toutes les lumières qui n’en font qu’une. La force des tons rompus procède de leur connaissance biblique de la complémentaire, de leur irruption à rebours du côté de la division, dans la sphère de la pluralité. Un pluralisme que l’on assimile souvent à la démocratie. Et la démocratie commence par soi-même. Nous sommes, pour chacun de nous, le Valls de Duflot et le Duflot de Valls, à cette exception près que le nouveau pilote du vaisseau socialiste l’a toujours assumé. Il surprendra tout le monde, n’hésitant pas à se surprendre lui-même en ce qu’il se tiendra informé des fonctions qu’il transformera. Manuel Valls, Premier ministre n’existait pas jusqu’à ce qu’il fasse glisser l’Hôtel de Matignon sur des rondins de bois jusque sous ses pieds. Nul ne saurait juger un couple qui s’est vu charger de réinitialiser le principe de couplement. Mais ce que l’on peut déjà flairer sans trop se béliériser le blindage idéologique, c’est que le Valls nouveau ne sera jamais un nouveau Blair. Il n’en a pas le collier, la laisse ni même le Bush auquel se pendre. Il va donc faire ce à quoi nul de ses détracteurs ne s-attend : respecter son nom; déboussoler tous ceux qui ne peuvent s’empêcher, lorsqu’ils aperçoivent un nouveau visage, de lui conférer les propriétés d’un succédané dont la trogne les sécurise; parler écologie en spécialiste de la question, — son action ne plaira pas à la globalité des écolos, mais ce n’est un secret pour personne que les écolos ne peuvent pas se blairer; — se révéler un authentique écologiste, détesté des siens. Nous pouvons aisément imaginer, à en juger par les familles desquelles nous l’avons vu se rapprocher, que celui qui a appris auprès de Rocard l’indépendance jusqu’à Rocard sera un adepte de la politique par la preuve. Et si Royal n’a pas eu l’occasion de faire les siennes à fond, Valls fera taire la gigue des hypocrites dès qu’il aura été l’un des socialistes les plus aptes à solutionner les problèmes dits «sans solution», qu’il le fasse à l’échelle nationale ou internationale. Nommé Homme de paroles, il excellera à la tâche, et plus personne ne se posera la question de son positionnement sur l’échiquier politique à l’heure du dénouement de Hollande Saison 1.
Mais le gros morceau pour le gouvernement Valls, nous pressentons qu’il ne se limitera pas aux compétences de l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Ayrault. Cela tombe bien, l’homme n’a jamais cru que la chose politique pouvait défendre ses points de vie sans l’outil Interpol. Il a donc eu raison de rappeler, d’un hommage semi-automatique, la présence épifrontale de la Ve République à l’invisible Assad. Les tyrans iraniens et syriens poursuivent actuellement leur stratégie macabre, à l’abri de la CPI, derrière l’épouvantail ukrainien, et nous savons que ce petit jeu ne nous laissera pas ronfler indéfiniment. Le tyran comme le serial killer est mû par un désir de gloire qui dépasse son désir de tuer. Il tacle Hollande pour sa politique dite «de communication». En deux mots, Hollande, séducteur démasqué, serait doté d’un ramage de beau-parleur. Il parlerait (à la place d’agir). Il parlerait (pour ne pas agir). Or, la communication est un acte. Possiblement un acte de démission, elle peut aussi se targuer d’être une courroie de transmission hors pair. Et face aux enfants de Maurras, face à l’homme et la femme qui rient comme des bossus devant l’arme fatale ceinturée de bananes, face à la femme et l’homme qui dénoncent les pouvoirs insoupçonnés de Moses Mendelssohn au royaume éternel de la pensée, face à l’immobilisme européen dont Sollers, d’un outrageant pincement de fesse, nous rappelle qu’il nous condamne à une moisissure irréversible, face à tout cela nous avons d’autres légataires et surtout, quelques testateurs vivifiants. Celui qui, au débotté, me revient de l’esprit, fit l’objet d’une virée cathartique au moment même où nazis germaniques et nazis issus de germain organisaient à Paris leur premier gang bang. Ce jeune prodige de quinze ans obtient son prix de Paris le jour où les Alliés se jettent du ciel et de la mer sur notre avenir commun. Les trains étant réquisitionnés, il décide de partir pour Saint-Lô avec Yvette, à pieds, à bicyclette volée… En l’espace de cinq jours, ils assisteront à la débâcle allemande et croiseront la route de l’ennemi de l’Ennemi, feront la rencontre de musiciens-soldats, et puis l’amour pour le même prix. Il y aura sept décades dans une poignée de jours j, des GI’s afro-américains transmettaient à ce tout jeune pianiste et compositeur classique le virus du jazz. Michel Legrand est parmi nous. Il est au moins autant la France que le sont ces sinistres frontistes qui nous ont persuadés qu’il n’existait qu’un moyen de leur prouver que les défenseurs des droits de l’homme ne fomentaient pas un complot contre le peuple au nom duquel ils prétendent s’insurger, les autoriser à participer aux élections démocratiques d’un régime qu’ils vomissent et promettent de refonder sur des bases purifiées. Les Français parlent aux Français. Il n’y a qu’une nation qui puisse se vanter d’être la deuxième patrie du jazz. Le maître des marches harmoniques, je l’écoutais, l’écoute et l’écouterai me dire à quoi je ressemble, main dans la main avec Miles, main dans la main avec Barbra. Qu’il ne batte jamais la mesure en retraite! Qu’il me communique encore longtemps son ardent art d’être! À même de submerger la dieudosphère. D’une onde plus claire, plus stridente, plus invasive. D’une onde bénie.