Une journée particulière dans la vie de l’Ukraine libre
Quelle histoire ! Tout commence il y a trois semaines, à Kiev, sur le Maïdan, où Bernard-Henri Lévy prononce un discours fiévreux et rencontre, sur la tribune, Petro Porochenko et Vitali Klitschko, les deux principaux futurs candidats à l’élection présidentielle en Ukraine. Puis deuxième voyage, le 28 mars, après la chute de l’ancien régime : il prononce un deuxième discours, revoit les deux hommes, noue des relations de camaraderie avec eux et les convainc de venir à Paris plaider la cause de l’Ukraine libre. Plusieurs jours de tractations complexes suivent. Un rendez-vous est fixé, accepté par le Président Hollande, mais il doit être décommandé car la situation militaire en Crimée et dans l’est de l’Ukraine interdit aux deux hommes de sortir du pays. Un autre rendez-vous encore qui doit être, lui aussi, reporté. Le 7 mars, troisième rendez-vous, mais cette fois c’est le bon. Bernard-Henri Lévy accueille les deux hommes, accompagnés d’une délégation de héros du Maïdan et d’intellectuels, à l’aéroport du Bourget. Escorté par des motards de l’Elysée, il fonce chez François Hollande qui reçoit la délégation à 15h30 en présence du ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius. L’entretien dure près d’1h30. D’après les Ukrainiens « débriefant » la rencontre devant la foule des journalistes massés dans la Cour de l’Elysée, le Président français s’est montré très en pointe sur la question des sanctions et sur la question, aussi, de l’illégitimité du référendum prévu en Crimée. A quel titre Bernard-Henri Lévy était-il là, demandent des internautes ? Parce que c’est lui qui a fait venir les deux hommes à Paris. Parce que c’est lui qui a convaincu le Président français de les recevoir.
Et parce que c’est lui qui, avec nous, rédaction de La Règle du Jeu, est aujourd’hui en pointe dans le combat pour une Ukraine libre, démocratique et indivisible échappant à la poigne impériale de Poutine. La rencontre à l’Elysée fut suivie d’un rendez-vous privé avec un certain nombre de directeurs de journaux, écrivains, amis de l’Ukraine libre. Et puis, à 20h, ce fut un beau meeting au Cinéma Le Saint-Germain, devant une salle surchauffée, ivre d’émotion, d’inquiétude et de bonheur. 500 personnes ont pu entrer dans une salle qui ne peut, en principe, en contenir que 200. Plusieurs centaines d’autres ont dû rester dehors (et nous nous excusons auprès d’eux). On a parlé. Débattu. Chanté l’hymne national ukrainien. Donné lecture de l’Appel de Paris que nous avons déjà mis en ligne. On s’est promis de ne pas se séparer tant que la démocratie ne sera pas établie en Ukraine. Pour La Règle du Jeu, le moment fut mémorable. A inscrire dans l’histoire de notre revue.

4 Commentaires

  1. L’appel contre le vide ne restera pas sans écho. À la sauvegarde des Tchétchènes, des Abkhaziens, des Ossétiens, des Transnitriens ou de tout ex-lambeau de mappemonde arraché à la tapisserie murale du néotsar de toutes les Irrussies. L’inquiétude à laisser l’empire des néosoviets se rapprocher de nous alors que nous sommes, opposants d’aujourd’hui, à l’opposé d’hier, en mesure de contenir sa rage revancharde à l’intérieur d’un périmètre d’influence plus étroit, cette inquiétude n’indiffère que ce de quoi elle infère. «La peur doit changer de camp», dit aux Ukrainiens Libres le chef du réseau BHL. Or Poutine, s’il est fort de notre faiblesse, l’est avant tout de la force de ses soutiens. L’idée que l’existence même des dictatures serait absolument intolérable aux récipiendaires des droits de l’homme, que tant qu’il demeurerait sur la Terre un homme opprimé par un autre, l’humaniste ne saurait retrouver le sommeil, ce mode d’être homme qu’incarna Sartre si magnifiquement, et que tout homme fidèle à son espèce partagera avec lui, cette étrangeté fondamentale à l’indifférenciation des êtres et des causes me semble aujourd’hui se heurter à la désensibilisation de l’abonné de vieavendre.com polarisé, comme tout bon consommateur qui se respecte, sur son champ de sensations. Il faut que la peur dévisage ce citoyen du monde insensible au monde. Il faut que l’impérialisme sensationnaliste de Vladimir Poutine devienne le problème personnel de la fourmi mondialiste condamnée à lui racheter sa propre vie sous la semelle de la civilisation précaire. Nous devons comprendre que la Guerre froide fut une épée de Damoclès qui terrorisa plusieurs générations de femmes et d’hommes des deux blocs. Et que, franchement, il faudrait avoir pété une durite pour s’exposer une nouvelle fois à la menace de glaciation quand l’effondrement du totalitarisme soviétique nous a ouvert un boulevard d’influence par lequel nous engouffrer avec toute l’énergie dont nous disposons à faire prospérer les droits de l’homme au royaume où l’intimidation fait loi. Les apparatchiks de l’autre Union n’avaient pas attendu qu’on les mette en demeure de simuler leur métamorphose pour se conduire en capitalistes sauvages. Ces nouveaux nobles des temps modernes avaient, longtemps avant que l’on ne se décidât à coloriser Berlin-Est, privatisé des quartiers rutilants inaccessibles aux trimeurs sur écoutes, éponges à vodka engourdies dans les queues interminables dont Henri Weber ne s’indigne plus de nos jours que sur TMC dans Les 100 plus grands malaises du direct. Ainsi, l’oligarchie russe ne sera pas davantage une réaction poststalinienne que ne l’est l’antisémitisme non-agresseur nonobstant agressif postgermano-soviétique. C’est pourquoi nous sommes redevables à Lévy d’avoir eu le cran d’aborder la question de front, de ne nous avoir jamais joué le philosophe juif honteux au-devant de la rue bosnienne, libyenne ou ukrainienne. Les Ukrainiens auront dûment été soumis au test de résistance à la Détestation finale, test qu’une large majorité d’entre eux aura réussi haut la main, chapeau! Soit dit en passant, les poutinistes se fichent pas mal de la possibilité d’une presqu’île rongée par un antisémitisme qu’ils laissent suinter sur un tempo moderato par les écoutilles pro-Hamas de leur petit protégé. A fortiori, s’il est probable qu’une poignée de judéosceptiques se soit massée au sein de la force européiste de la place Maïdan, faire honte à ceux qui depuis l’Europe feraient peser sur eux l’ignoble soupçon aura été la meilleure façon de leur faire ressentir la honte qu’il y aurait à persister dans l’impasse antidéicide. C’est là le génie de Lévy que d’inculquer le bien à l’impression du mal. Un savoir-faire ayant pour pierre de touche le faire-savoir. Nous faire savoir, par exemple, que sous-estimer le risque de persistance des vieux démons pogromistes eût été aussi nocif qu’il serait nauséabond d’en sous-estimer la résorption. Aussi nocif que de mésestimer le risque de criméisation des États-Unis d’Europe dans ce climat de résurgence du naufrage isolationniste. Quoiqu’il en soit, les germanophones ne parviendront pas à détruire la région des Sudètes que les rois de Bohême les avaient invités à instruire, les Romains ne remonteront pas leur botte jusqu’à la Manche pour même qu’ils aient transfiguré en profondeur les racines cultuelles et culturelles des Gaules au point que les collectivités territoriales de la patrie universaliste en ressentent tous les jours la secousse républicaine. La question ukrainienne nous fait réfléchir à la prééminence de la langue et du mythe sur la matière informe des populations perdues. On cherche forcément à se doter d’une forme de peuple capable de se protéger des forces d’opposition intrinsèques à l’Histoire universelle. D’où le primat que doit conserver la langue commune sur les phases de sédimentation qu’entament d’ancestraux ennemis bâtisseurs d’une communauté nationale. À ce titre, Vitali Klitschko et Petro Porochenko doivent parler aujourd’hui au nom des russophones d’Ukraine tout comme De Gaulle ne cessa jamais de s’exprimer sur les ondes londoniennes au nom de tous les Français, pétainistes compris. À l’heure qu’il est, nous avons le sentiment qu’il y a deux peuples en Ukraine, l’un auquel parle Tourtchynov, l’autre qui parle à Poutine. Les candidats aux futures présidentielles ukrainiennes doivent incarner leurs concitoyens pro-russes contre leur gré, embrasser leurs préoccupations avant même qu’ils ne s’en rendent compte de sorte qu’à l’instant même où ils se réveilleront de leur hibernation, ils se découvrent un protecteur prêt à défendre l’Ukraine fissurée de toutes parts pour en avoir lui-même colmaté les brèches; le futur chef de l’État ukrainien dépoutinisé doit réduire en lui-même les zones d’incompréhension que traversent ces strates d’immigration idéologique sur lesquelles il tangue; celles-ci, nous le savons pour l’avoir éprouvé, se prémuniront toujours d’un repli communautaire alors qu’elles ne seront parvenues à entendre par «solidarité audible» que «solidarité incompréhensible». Soulignons le danger qu’il y aurait eu à permettre aux Alsaciens et aux Lorrains de conserver leur langue maternelle comme langue usuelle après quarante-sept années d’annexion. Nous savons bien que nous n’allons pas seringuer en Crimée le vaccin contre le rétrovirus de l’Ukrussiraine, pour autant. Ce que nous pouvons commencer à faire, c’est de la géopolitique avec des continentaux qui s’ignorent. La Crimée appartient à l’Ukraine de même que la Bretagne appartient à la France. Non. La Crimée c’est l’Ukraine de même que la Bretagne c’est la France. Nous y sommes. S’il est forcément des Bretons qui se font ressentir une fraternité plus profonde avec leurs frères celtes d’outre-Manche qu’avec leurs concitoyens métèques du Quartier latin, — il faut creuser encore, les gars… — nous savons comment réintroduire de l’esprit dans les esprits pour garder la main de Breizh attachée au cœur battant de notre langue, j’allais dire de notre liberté de mettre notre fraternité au service d’une égalité politique et sociale sans égale. À nous d’en faire la démonstration aux russificateurs de l’Ukraine, otages-soldats du chî’ite de la Constantinople moscovite. Le combat en règle que nous menons contre le bloc identitaire profite d’un paquet de générations qui se sont salies les mains, avec discernement parfois, non sans débordements toujours, de manière à ce qu’au bout du compte, nous puissions vivre ensemble sans que ce qui nous divise nous saute réciproquement aux yeux et nous pousse à nous sauter simultanément à la gorge. En deux mots, notre antifascisme radical ne remet pas une seconde en cause la résultante des efforts partiellement contestables incontestablement accomplis par ceux qui nous ont précédés pour unifier la France. Et si je m’inquiète des visées nationalistes en Ukraine comme en France, je ne balaierais pas d’un revers de main, à cause de quelque hooligan dont je sais ce que signifierait pour moi son «ukrainisation de l’Ukraine», la nécessité qu’il y aurait à admettre que la russophonie d’une partie de l’Ukraine empêche le peuple ukrainien, sinon de se concevoir comme peuple, du moins de vivre en tant que tel. Il ne s’agit pas d’enraciner le destin des peuples dans le sang de la terre qu’ils partagent, mais de respecter l’évidence du bien commun, l’évidence du bien qui s’impose aux colocataires d’une planète par laquelle nous sommes tenus en respect, une Terre dont nous ne cessons de rabâcher que, n’appartenant à personne, elle nous oblige à la dompter dans l’entraide, nous simplifiant une tâche échappant déjà suffisamment à nos dimensions pour que nous en outrions encore la complexité. Si les Est-Azoviens ont à cœur de préserver leur accès à la Mer noire, combien plus le rivage ukrainien aurait-il à souffrir d’une prise dans l’Étau hitchcockien. Car d’un côté, la Russie serait tenue d’une seule main, quand de l’autre, il y en aurait deux pour étrangler l’Ukraine. La démocratie ne s’est pas imposée comme le meilleur des régimes sans qu’elle nous ait a priori démontré de son pouvoir de simplifier l’ensemble du vivre que nous avons en partage, de débrouiller les destinées communes qui ont l’air de ne pas trop mal coïncider avec la somme broussailleuse des destinées individuelles. La démocratie en Bretagne, cela s’appelle la France. Si le pouvoir de la majorité s’exprimait par référendum dans les limites du terroir breton, il y a belle lurette que la Bretagne aurait quitté l’histoire postceltique de ses compatriotes. Or il n’est pas de démocratie bretonne qui ne soit française et il ne peut y avoir de démocratie criméenne qui ne soit ukrainienne. Car il en va de la survie de la Bretagne et de la France. Le sang a été versé pour que la France s’impose aux Français. Le sang sera versé s’il le faut pour que l’Ukraine s’impose aux Ukrainiens. Car il en va de la survie de la Crimée, je veux dire, de l’Ukraine. Et ce, quelle que soit la détérioration territoriale qu’engendrerait une guerre déclenchée par quelques millions d’Ukrainiens méridionaux irrespectueux de la chance qu’ils ont de pouvoir cultiver leur jardin d’autant mieux qu’ils le font à la lumière d’une combinaison d’héritages. L’Ukraine est actuellement au bord du gouffre économique. Nous n’allons pas la pousser dans le gouffre. Mais je vois bien que tous mes arguments peuvent être manipulés aux dépens de ceux dont je me fais le défenseur du droit qu’ils réclament de vivre en un pays où le choix politique ne se limite pas à Poutine sur Medvedev contre Poutine sous Medvedev. Vous avez vu comme dès que l’on prend appui sur la terre fermée, on s’expose à la contradiction selon que les protagonistes d’une confrontation idéologique se placent d’un côté ou de l’autre d’une ligne de démarcation géographique. Alors, j’en ai un autre d’argument qui, lui, ne sera pas contesté par les pacifistes, et c’est le facteur de paix que représente une Crimée ukrainienne séparée par les eaux de ce géant aux pieds d’argile soumis à la tentation de lui mettre le grappin dessus si on la compare à une Crimée russe dont nous ne pouvons pas imaginer qu’elle en reste là et ne cherche pas à poursuivre son invasion vers le nord. Tout argument géopolitique doit s’adosser à un argument idéologique assumé. L’Ukraine doit s’imposer à tous les Ukrainiens comme le seul véritable territoire où s’applique leur démocratie. Cela doit être dit. À la Russie, aux ânes et aux autres!

  2. Je me mets à la place de ceux qui encaissent les agressions infâmes dont fait l’objet le chef du réseau de résistance mondiale à la tentation totalitaire. Ce travail, des personnes trop proches de lui sur le plan affectif ne souffriraient pas de l’endurer. Or les personnes qui le font sont inévitablement devenues trop proches de lui pour le souffrir. Et pourtant, elles le souffrent. Je n’ai jamais encaissé moi-même le déluge de haine que Bernard-Henri Lévy pouvait déchaîner. Je l’ai toujours pris dans la face comme un coup de poing qui m’était adressé personnellement. Je ne pense pas être le seul à avoir compris que Bernard-Henri Lévy incarne quelque chose qui le dépasse, que ses moqueurs insultent bien plus de gens que le seul homme dont la présence, partout où elle se fait ressentir à eux, semble leur être intolérable. Or Bernard-Henri Lévy est là et bien là. Il est tellement là qu’il est l’une des rares figures du paysage intellectuel français à ne pas éprouver le désir que celui qui pense à côté de lui s’anéantisse en sa divinité. Il l’écoute. Il tient compte du cheminement nécessairement inattendu que va prendre sa parole en construction. C’est la raison pour laquelle je continue à lui confier quelques bribes de libre pensée dont je sais qu’il saura, mieux que n’importe qui, en disposer avec intelligence.

  3. Quand un homme et une revue parviennent, ici en France, à une reconnaissance par le Président de la République, François Hollande, de ceux qui en Ukraine incarnent l’idéal démocratique et le combat pour une Ukraine libre, il faut savoir les saluer avec leurs hôtes, qui se battent « avec leurs mains nues » comme eût dit Malraux.

  4. Comment une revue comme la votre peut elle être objectif dans cette histoire?