Je parlais d’intranquillité. Elle est encore bien présente après cette avant-première, et je ne sais encore ce qui va la calmer. Florence Narozny et Marion Oddon ont organisé les projections pour la presse. A leurs côtés aussi, je me sens bien. Elles ont une élégance et une finesse qui donnent ses lettres de noblesse à leur métier, elles savent transmettre leurs enthousiasmes sans jamais céder à la facilité, et leur rigueur et leur rectitude vis-à-vis de leurs interlocuteurs sont au fondement des relations de confiance qu’elles établissent. Aussi peuvent-elles m’annoncer en toute franchise les retours partagés des premiers visionnages par les journalistes sans que je me démonte. Et ce d’autant que je les envisageais depuis l’écriture même du scénario et que nous évoquions cette question avec Pascal de temps à autres, prêts à affronter les feux de la critique. Demeurait une question que lui sous-évaluait (il ne regarde pas la télévision) et dont j’avais une conscience assez claire au tout départ : la présence de Christophe comme acteur. Les attachées de presse s’entendent par exemple décliner l’invitation à recevoir un DVD de Doutes, au seul motif, formulé sans ambages de ce nom de Barbier au casting. Politesse ? Peut-être pas, ou peut-être. Ne rien écrire, c’est parfois une aimable précaution.
Mais aussi lucide que je pouvais me montrer à l’origine, je ne soupçonnais pas que la détestation professionnelle puisse s’énoncer aussi frontalement, bien qu’en coulisse, sur un sujet sans aucun rapport apparent : un film de fiction. Et j’entrevoyais encore moins la possibilité de pareil aveu sans détour que le préjugé pouvait prendre le pas sur la pratique de son métier. Réponse de Marion : « Imaginez seulement que Christophe Barbier joue un personnage bien pire que tout ce que vous pouvez penser de l’homme. ». Politesse, toujours.
Avec tout leur attachement au film et leur détermination, Florence et Marion continuent de planifier sa promotion. Journée de rencontre entre quelques journalistes et Benjamin et Christophe pour des interviews filmées et écrites, le 17 octobre, au sein du bureau de presse de la Place de la Madeleine, dans cette ambiance artisanale qui a caractérisé tout le cheminement de Doutes. La partie audiovisuelle se met en place progressivement : il y aura Le Grand Journal et la Nouvelle Edition de Canal, le C’est à Vous d’Anne-Sophie Lapix sur France 5, Politiques animé par Serge Moati, justement, le Journal de 13 heures de France 2, le weekend précédant la sortie, où Laurent Delahousse et Jean-Michel Carpentier invitent le couple inattendu Biolay-Barbier au côté de Frédéric Mitterrand, l’émission de Laurent Goumarre diffusée par France Culture, Des Clics et des Claques sur Europe 1, et d’autres programmes qui doivent se caler avec les chaînes télévisées et les stations de radio. Politesse de ces médias ? Pourquoi pas ?
En tout cas, c’est un ouvrage minutieux, de dentellière, prenant forme jour après jour, L’ambition : qu’on entende parler du film dans les dernières semaines avant sa sortie. J’accompagne avec Johann Thien et Marion mes deux camarades, requis principalement et logiquement pour l’exercice, dans les loges de toutes ces émissions qui révèlent intérêt et bienveillance pour Doutes. Benjamin, par le miracle de sa fidélité et de son attachement à notre projet, a réussi à glisser ces échappées dans un automne qui alterne tournage en Bourgogne et tournée musicale. Christophe, lui, arrache une heure par-ci par-là à ses obligations, et rattrape, au cours de ses courtes nuits, le retard sur son travail, puisqu’il est toujours question de ne rien négliger et de ne rien survoler.
Parallèlement, Zelig, la société de distribution de mes chers Jean-Marie Vauclin et Daniel Derval, assistés de Fabrice Ferchouli, prépare la sortie en salles, en contactant les exploitants et en organisant avec certains d’entre eux des projections, suivies de débats avec les spectateurs. La prise de parole publique n’a jamais été mon fort (je suis tétanisée, depuis l’enfance, bafouille, perds mes mots et parfois le fil de mes idées) et pourtant, j’envisage cette série de dates avec sérénité, et même une certaine impatience qui semble contredire la fameuse intranquillité. Un programme se précise : Brest, Dijon, Vaucresson, Rambouillet, Gif-sur-Yvette, les Sables-D’Olonne, Avignon, Cavaillon, Grasse, L’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Puis Sciences-Po, comme ça ma boucle sera bouclée.
Je découvre l’univers des « copies ». On ne demande pas « combien de salles ? » On dit « combien de copies Paris et province ? ». Tout cela, à mon grand étonnement, se décide dans les derniers temps. En règle générale, le lundi avant la sortie du mercredi, avec le recul des cinq journées précédentes. Comme le lundi précédant la sortie de Doutes est un 11 novembre, férié, c’est le vendredi 8 que se détermine la cartographie des salles, dans un jeu de dominos et une évaluation de la prise de risque par les programmateurs de réseaux traditionnels ou de cinémas indépendants. Dire aussi ce que j’ai entendu de ce côté-là, plus exactement ce qu’on m’a rapporté, une phrase prononcée certes une seule fois, certes en messe basse, mais le dire quand même : « Un film avec Christophe Barbier, un film de droite, donc… ce n’est pas pour nous ».
Je ris, parce que j’avais imaginé le cas de figure où l’interrogation dans Doutes sur ce que devenait la gauche de gouvernement, en ferait pour certains, chez qui l’adhésion est monolithique et sans question, un film de droite. Mais je ris jaune de ma naïveté, parce qu’avec mon habitude presque décennale d’entendre les gens me parler en proportions égales de ma gêne présumée à vivre avec un homme de droite ou de celle supposée à partager l’existence d’un gauchiste redoutable, j’avais cru : 1/ que ces supputations se neutraliseraient ; 2/ qu’elles n’avaient rien à voir avec la diffusion du film, surtout si on prenait la peine de le regarder. Je suis donc rattrapée par la réalité, qui n’est pas toujours rationnelle : on projette ce qu’on veut, dans tous les sens du terme.
Et parfois, voir les films se révèle très secondaire, tout comme imaginer que son public peut éventuellement se montrer intéressé et ne pas s’attacher à ce genre de considération, en comprenant qu’il s’agit d’un travail de fiction. Donc je ris de cette ironie du sort, de cette propension bien française à tout faire rentrer dans des cases, qui en sous-main constitue bien sûr l’un des sujets de Doutes, mais je reste tranquille. Nous aurons donc 20 copies, 4 à Paris, 16 en province. C’est ce qu’on appelle une petite sortie dans le monde du cinéma. C’est une sortie magnifique pour mon petit film.
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