La première chose qui me frappe, chez Zola, c’est cette « conspiration de la sottise et de la haine » dont parlait Aragon, ici même, il y a un peu plus de soixante ans – c’est cette réprobation étrange, un peu folle, qu’il n’a cessé, sa vie durant, dans ses deux vies, de susciter.
Dans sa vie vivante, si je puis dire, c’est Taine et Brunetière qui le trouvaient « vulgaire » ; c’est Bloy qui, dans Je m’accuse, le voit comme un « crétin des Pyrénées » et un « messie de torche-cul » ; c’est Gide qui, quand Zola va en prison, forme le vœu que ce séjour à l’ombre l’aide à se faire « la philosophie qui lui manque » ; c’est Anatole France qui, quelques années avant de faire son oraison funèbre, la fameuse oraison où il voit en Zola « un moment de la conscience humaine », juge son œuvre « pornographique » ; c’est, au moment du débat parlementaire sur le transfert de ses cendres au Panthéon, Barrès qui lance, en pleine assemblée, que l’auteur de J’accuse ne s’est embarqué dans l’affaire Dreyfus que parce que – je résume – il était en perte de vitesse et voulait se faire de la publicité ; c’est, le jour du transfert lui-même, dans un Paris chauffé à blanc, un attentat, un vrai, contre Dreyfus il est vrai, mais cela faisait longtemps que Dreyfus et Zola étaient comme une même âme jetée dans deux corps différents, et la balle qui atteignit l’un visait, aussi bien, l’autre.
Et puis dans sa deuxième vie, la principale, dans sa longue vie de mort que vous vous employez, autour de Pierre Bergé, de Martine Leblond-Zola et de quelques autres, à prolonger et égayer, c’est Marcel Aymé, Roger Nimier, Paul Morand, la jeune droite de jadis, qui le trouvent, eux aussi, « vulgaire » ; c’est Nizan, Malraux, la jeune gauche en général, qui n’aiment pas le portrait peu héroïque qu’il fait de la sacro-sainte classe ouvrière ; ce sont les surréalistes qui voient en lui un homme de lettres professionnel à peine plus estimable que leurs deux bêtes noires, Barrès et Anatole France ; c’est Sartre qui, quand il cite les sources de La nausée, nomme Jules Renard et Huysmans, et ne prononce le nom de Zola que comme inspirateur de Roquentin ; et c’est, de nos jours, un Philippe Muray qui voit dans les romans de la fin, dans ces Quatre Évangiles ultimes et, il est vrai, très décevants quand on les compare aux géniaux Rougon-Macquart, le point culminant de la religion « dix-neuviémiste » dont il s’est fait le pourfendeur.
Alors, cet honneur que vous m’avez fait, cher Pierre Bergé, en me choisissant, cette année, pour parler depuis cette tribune où se sont succédés tant de prestigieux aînés, je voudrais le mettre à profit pour m’inscrire en faux contre ces jugements et dire l’admiration sans bornes que m’inspire, moi, Émile Zola.
Je passe sur l’inventeur de l’intellectuel engagé : car c’est bien lui, n’est-ce pas, qui invente la figure de l’écrivain interrompant son face à face avec son œuvre, son corps à corps avec ses démons, pour se mêler de ce qui passe sa compétence et, à la lettre, ne le regarde pas ; c’est lui qui invente de le faire au nom de valeurs universelles passant toutes les considérations liées, d’un côté, à la raison d’État, et, de l’autre, aux intérêts plus ou moins bien compris d’une révolution mondiale qui n’avait, en effet, littéralement parlant, pas grand-chose à faire du cas Dreyfus ; c’est lui le premier ou, au moins, l’un des tout premiers, qui accepte, pour cela, de prendre tous les risques, absolument tous – la réprobation, la proscription et l’exil, ses biens saisis et dispersés, et peut-être, enfin, la mort, puisqu’il semble probable, depuis le livre de Jean Bedel, qu’il fut assassiné par un ramoneur qui aurait, en bouchant son conduit de cheminée, appliqué à la lettre le mot d’ordre des antidreyfusards qui exhortaient, à l’époque, à « enfumer le cochon » juif ou zolien ; et n’a-t-il pas la vertu supplémentaire, enfin, de faire tout cela jusque dans son œuvre, sans même l’interruption dont je parle ? Car s’il n’a pas écrit de romans sur l’affaire Dreyfus, il a écrit des romans sur l’argent fou, la corruption, la misère ouvrière, la violence sociale, j’en passe – sur tout cela, oui, je passe car c’est le mieux connu et c’est toujours de cela que l’on parle, ici, à Médan.
Je ne veux pas passer, en revanche, sur l’immense romancier qu’il fut – l’égal des plus grands de nos contemporains les plus capitaux. Car, enfin, lisez et songez-y.
Zola romancier, c’est, d’abord, une déclaration, celle de la dédicace dont s’orne l’exemplaire de L’Assommoir qu’il adresse à Gustave Flaubert : « en haine du goût ». Il aurait pu dire le « bon goût ». Ou le « beau style ». Ou, encore, « les gredins ». Cela ne veut évidemment pas dire qu’il ait « mauvais goût » ou qu’il aime « le laid ». Car ce critique d’art, cet amateur et défenseur de la bonne peinture, a quand même été chassé de L’Événement, le journal où il tenait chronique, pour avoir osé dire de Manet qu’il avait sa place au Louvre – ce qui, vous en conviendrez, se pose là comme « mauvais goût » ! Mais cela veut dire, en revanche, qu’il assigne au roman une vocation autrement plus haute, plus noble, plus exigeante, que celle du divertissement, ou du jeu, ou de la bagatelle stylistique, auxquels on le réduit trop souvent.
C’est une conviction : que le roman est un instrument de connaissance, vraiment de connaissance, qu’il augmente la connaissance que nous avons du monde et que, s’il n’était pas cela, s’il n’avait pas cette portée et cette noblesse, il ne vaudrait pas une heure de peine. On parle toujours du scientisme de Zola, de son positivisme. On fait toujours comme s’il avait mis ses romans à la remorque de Claude Bernard et de Darwin. En vérité, c’est l’inverse. C’est la science qu’il met à la remorque de ses romans. Ces Rougon-Macquart<, qui sont l’ « histoire naturelle et sociale » d’une famille sous le Second Empire, ce sont eux qui produisent leur propre science. Et la vraie thèse zolienne, répétée sur tous les tons et tous les registres, c’est que ce sont les romanciers qui « ouvrent la voie à la science » – et non le contraire…
C’est une ambition : celle d’embrasser tous les genres, absolument tous, ou, mieux que de les embrasser, de les brasser, intégrer, avaler, ingérer – il y a, chez Zola, cette théorie du roman total que l’on retrouve chez les Modernes les plus exigeants mais dont il est le préfigurateur. Il s’est essayé au théâtre avec des pièces tirées de ses romans – et d’autres, comme Madeleine, écrites directement pour la scène. Il a tâté de la poésie, une assez bonne poésie, même s’il lui est arrivé de confier – à Paul Alexis, je crois – qu’il a dû la surmonter pour monter jusqu’à la prose. Il a écrit pour l’opéra, en complicité avec Alfred Bruneau qui n’était un compagnon ni nul ni négligeable. Il avait, à travers Schopenhauer, une certaine idée de la philosophie vivante de son temps et en faisait quelque chose dans son métier de romancier. Car tout cela est repris, oui, retravaillé, synthétisé, dans son art du roman. Et cela aussi est remarquable. Cette capacité à avaler les autres registres discursifs, cette boulimie de savoir et de pensée est, également, éminemment moderne.
Zola romancier, c’est, encore, une façon ou, quoi qu’il en ait, un style : celui qu’il expose dans son essai de 1879, Le roman expérimental, qui est bel et bien ce que Milan Kundera, un siècle plus tard, appellera un « art du roman ». Ça me plaît, les romanciers qui prennent la peine de se doter d’un tel art. Mais, surtout, il dit quoi, cet art du roman ? Eh bien justement : il dit, comme les plus grands Modernes encore, l’art de l’alternance des voix. Celui du changement des focales qui permet de saisir les personnages, alternativement, de l’intérieur et de l’extérieur. Celui des identifications provisoires qui les fait voir, tour à tour, comme des personnages positifs ou non, aimables ou pas – ouvriers enchantés ou dégradés ; bourgeois maudits ou émouvants ; et cette grandeur d’un Germinal auquel on ne comprend rien si l’on en fait une pure ode à une classe ouvrière mythifiée ; et cette polémique avec Mirbeau lui reprochant (et il a bien raison de le lui reprocher… et il a bien raison, Zola, de pratiquer un art du roman qui l’expose à cette qualité de reproche…) de ne pas prendre vraiment parti, en 1886, au moment de la grande grève de Decazeville, quand les mineurs lynchent leur patron… J’aime cet art du roman ambigu, hypothétique, savant et pourtant sans thèse, non dogmatique, léger.
Et puis Zola romancier, c’est, enfin, une volonté de gagner. Stendhal écrivait pour les « happy few ». Mallarmé – comme, bientôt, Valéry – écrit pour une « communauté restreinte ». Zola, lui, appelle un de ses premiers livres Mes haines. Zola, lui, a passé sa vie, et son œuvre, à aller de scandale en scandale, plus éclatants les uns que les autres. Zola, lui, est ce drôle d’écrivain qui n’a pas peur d’annoncer la couleur en disant que ce qu’il vise, c’est non la gloire mais le pouvoir et, mieux même que le pouvoir, la victoire. Je pense – mais il y aurait cent autres textes du même genre – à cette lettre à Paul Alexis dans laquelle il écrit : « L’heure est haletante, pleine d’anxiété : on attend ceux qui frapperont le plus fort et le plus juste, dont les poings seront assez puissants pour fermer la bouche des autres, et il y a au fond de chaque nouveau lutteur une vague espérance d’être ce dictateur, ce tyran de demain. » De la guerre, non en philosophie, mais en littérature : pas besoin de vous faire un dessin ; pour moi, en tout cas, il y a là une façon de dire et de faire qui est absolument passionnante.
Et puis vous avez sa métaphysique. On peut faire de la littérature et avoir une métaphysique. On peut écrire des romans et être un bon métaphysicien. C’est le cas des plus grands. Et c’est le cas de Zola qui fait, mine de rien, quatre découvertes considérables.
Quant au sexe, d’abord. Qui mieux que lui, dans Au bonheur des dames, a dit les ruses de la chair ? Qui a, mieux que lui, décrit la chair vaincue, et refoulée, qui se défoule dans la compulsion d’achat ? Mais qui, surtout, est allé aussi loin dans la description des jeux de la chair et du sexe comme une malédiction ? C’est l’extraordinaire personnage de Nana qu’il montre engloutissant les hommes, les avilissant, les rendant fous. C’est cette prédatrice, cette goule, que l’on voit transformer ses proies en tas de déchets et faire du chemin de sa vie une « jonchée de loques boueuses et de débris sans nom ». C’est la cocotte sans calcul, et diabolique, qui, ayant avalé la fortune des hommes qui se jettent et la jettent à ses pieds, s’emploie à la détruire comme elle les a détruits. C’est l’incroyable potlatch qu’elle met en scène, chaque année, le jour de sa fête, quand elle brûle les cadeaux qu’ils lui ont faits et dont elle ne veut plus. Et c’est, à l’heure du dénouement, dans la représentation de son délicat visage transformé en bloc hideux et pustuleux, ce fin mot de l’affaire que Zola pressent, et même énonce, un demi-siècle avant Freud : interpénétration du sexe et de la mort ; proximité d’Éros et de Thanatos ; la vérité morbide de cela même que les naïfs imaginent être le triomphe de la vie.
Le corps, ensuite. L’autonomie du corps. Ce corps dont je ne suis pas le maître. Ce corps qui parle à ma place. Ce bouillonnement obscur, ce gouffre du corps qui déjoue les calculs de l’âme, ses intérêts, et la fait autre qu’elle-même. C’est l’histoire de Renée, nouvelle Phèdre, dans La Curée. C’est l’histoire du meurtre de Séverine par Jacques Lantier dans La Bête humaine, avec l’étrange et admirable passage où un grognement de cochon, derrière lui, le fait sursauter avant qu’il ne s’avise que c’est lui, que c’est son grognement – que c’est lui le cochon. Et c’est Gervaise, à Sainte Anne, contemplant les pieds de Coupeau, ces pieds nus et fous, ces pieds que l’on dirait, soudain, animés d’une vie propre, ces pieds qui dansent la gigue jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent d’un coup et que le médecin lui dise, d’un ton neutre, « c’est fini ! ». Cette idée d’un corps automate, cette pensée du corps somnambule, cette vision d’une nuit des instincts où ce qu’il est convenu d’appeler l’âme errerait comme dans une maison hantée, c’est du Nietzsche dans le texte, c’est du Nietzsche appliqué, c’est du Nietzsche sans Nietzsche, c’est de la vraie philosophie.
La société. L’époque, qu’elle soit maurrassienne (vive la famille, la terre de Provence, les belles et bonnes communautés naturelles qui sont comme les briques de la société rêvée !) ou positiviste (vive, que cela se dise dans la langue de Hegel, de Marx ou, naturellement, de Comte, la noble machine sociale qui porte les espoirs de l’humanité !), voit la société comme un bon édifice, une harmonie, un emboîtement heureux de solides moellons. Zola dit deux choses. Que la brique de la société, ce sont des machines, en effet. Mais que ces machines sont laides, folles, odieuses, monstrueuses. Trains qui grondent et courent d’un bout à l’autre de la fresque romanesque… Mines qui avalent l’humanité par, dit-il, bouchées de vingt ou trente… L’alambic du bar de L’Assommoir que Gervaise compare à un énorme et répugnant intestin… Et les grands magasins qui consomment, recrachent, brûlent leur ration de chair quotidienne… Et ce ventre des villes qu’il compare à un réseau serré de boyaux pestilentiels et explosifs… C’est ça, la vérité des sociétés. C’est ça, le fond noir sur quoi prospère le mensonge social, son carnaval. La comédie humaine, oui. Mais, vraiment, la comédie. C’est ça, le sujet des Rougon-Macquart. Leur vrai sujet. C’est de cela, plus que de « l’entrée du peuple en littérature » dont on nous rebat toujours les oreilles (et Hugo ? et Rabelais ? et Restif de la Bretonne ?), qu’il est réellement question. Et il fait là, non du Balzac, mais du Marx inspiré.
Et puis vous avez la découverte des découvertes, la fêlure. Quand on parle de la fêlure, dans Les Rougon-Macquart, on en revient toujours à cette affaire de mauvaise hérédité, de mauvais chromosome sautant, comme un haricot, d’une génération à la suivante. Or ce n’est pas ça du tout. C’est une fêlure plus essentielle, j’allais dire plus structurelle. C’est une sorte de fente par où le monde fuit. Mieux : c’est une sorte de trou par où il se dégonfle comme une chambre à air crevée. Un monde structuré à la perte. Un trou d’être, ou un trou dans l’être, comme chez Sartre qui tenait son concept de Kojève mais, au fond, de Zola aussi. Ou, si vous préférez encore, cette affaire de dépense vitale dont on croyait que c’était Bataille qui l’avait inventée alors qu’elle naît là, chez Zola encore, presque déjà armée. Là aussi, comme métaphysique sauvage, ça se pose là ! « Vulgaire » ou pas, « crétin » ou non, Émile Zola produit, avec cinquante ans d’avance, la philosophie de L’être et le néant et, peut-être, de Être et Temps.
Bref, si Zola fait la guerre, c’est contre le romantisme. C’est contre la vision enchantée de l’espèce dont nous entretiennent les idéalistes professionnels. C’est contre cette « culbute dans les étoiles » qu’il voit à l’horizon de la littérature sirupeuse, à l’eau de rose, de son temps. Zola est un écrivain tragique. Zola est un penseur de l’horreur du monde et de son effroi. Zola est le philosophe d’une humanité clouée au sol, à jamais, désolée. En sorte que ce Zola à qui Bloy reprochait – quel con ! – d’être vautré dans la fiente et les vomissures, et qui, d’ailleurs, au matin de cette fameuse nuit de son probable assassinat, mourra littéralement dans son propre vomi, il est proche, tout à coup, de ce saint Bernard à qui l’on avait creusé, dans le bois de son lutrin, une petite cuvette où il pouvait, son sermon fini, vomir. Ou de cette autre sainte dont on dit qu’elle ingurgitait, en manière de communion, une pleine bassine de lavure de pieds où se mêlaient la boue, le pus et le mauvais sang. La merde du monde, sa noirceur, sa part infâme et sale, c’est de cela qu’il fait son miel. Voilà Zola.
Alors ce Zola, ce grand romancier et ce métaphysicien immense, ce génie qui aura été en butte, sa vie durant, et sa vie suivante, à cette énorme conspiration de la sottise et de la haine dont je parlais en commençant, il était logique qu’il se trouve de nouveaux frères dont certains sont, comme pour tous les écrivains, lorsqu’il meurt, encore à naître.
Voici Mallarmé qui s’y connaissait, ô combien, en vomissure et qui, avant de mourir d’un faux mouvement de la glotte, a eu le temps de voir en J’accuse cette lueur brève, cet éblouissement, cet événement pur de langue et de pensée qui lui semblait d’une telle beauté qu’il craignait, en s’y ralliant trop bruyamment, de le dénaturer. L’auteur de Vers et prose… L’apôtre d’une littérature impeccable et blanche… Le prêtre d’une religion qui semble l’exact opposé de celle du « naturalisme »… Il est foudroyé, comme il le dit dans un télégramme adressé à Zola lui-même, par la « sublimité » de « l’Acte », on dirait aujourd’hui de la « performance » ou de l’ « événement » de pensée et surtout de littérature, que constitue la publication de ce texte.
Voici Joyce, oui, Joyce, le futur auteur d’Ulysse et de Finnegans Wake, qui a lu Zola, qui a commenté et salué Zola, qui l’a maintes fois cité, en particulier dans son texte sur le centenaire de Charles Dickens – et qui, au moment de Dubliners, cette histoire naturelle et sociale basée sur les concepts de paralysie et d’hémiplégie, se sent si proche de lui, si inspiré par sa science des corps et des sociétés, qu’il craint, dans une lettre à son éditeur, Grant Richards, de se voir qualifier de « Zola irlandais ». Là encore, une parenté improbable. Une parenté jamais dite. Et pourtant…
Voici Céline, l’immense Céline, qui, à Médan justement, il y a quatre-vingts ans, estimait qu’on n’avait jamais fait mieux que lui, Zola, pour dire la nuit des hommes, la mort qui gagne toujours et les terribles convulsions qui pointent à l’horizon. Relisez ce texte, il est magnifique. C’est le texte fameux, prononcé ici même, à cette place, dans ces jardins, où l’auteur de Mort à crédit établit qu’il n’y a pas un « régime » capable de « résister à deux mois de vérité ». C’est son grand texte où il annonce la folie des foules et l’âge totalitaire. Et c’est un texte où il salue, en Zola, le grand romancier qui a compris cela – le romancier (je cite de mémoire) qui sait que la rue des Hommes est à sens unique et que la mort y tient tous les cafés.
Et puis c’est Proust qui, partageant sa passion pour Manet et son goût des hérédités romanesques, prête à Oriane de Guermantes ce mot qui, pour les lecteurs les plus attentifs de La recherche, sonnait comme une réplique au lieu commun d’une Critique répétant inlassablement les mêmes sottises : « Zola n’est pas un réaliste, c’est un poète. »
La compassion de Proust, la rivalité de Joyce, l’hommage de Céline, l’enthousiasme de Mallarmé – tout cela vaut bien, vous ne trouvez pas, la bave de Bloy et les glapissements de Barrès ? C’est ce que je voulais vous dire aujourd’hui. Cet homme de lettres dont le patronyme commence par la dernière lettre de l’alphabet et se termine par la première, je voulais rappeler cette parentèle grandiose dont la suite du temps l’a doté. Justice pour Émile Zola.
Nul doute que Zola, lui, aurait soutenu le droit des Palestiniens ! Avez-vous une fois, une seule, dénoncé les persécutions dont il sont victimes depuis plus de cent-trente ans à présent ? Hé non, car vous n’êtes qu’un petit communautariste.