Ce n’est pas (à quand, s’il vous plaît, par charité chrétienne, un « Proust pour les nuls » ?) parce que j’ai récolté un -3 d’infamie au Questionnaire de Proust en 100 questions-piège revisité par un duo enthovénien à la science infinie en Recherche du Temps perdu, duo expert en sprezzatura linguistique, freudisme, sémantique, sémiologie, onomastique, histoire littéraire, choses de l’amour, mystères féminins, clinamen, noms de pays, palimpsestes, sainte-beuvisme, visages, voix et autres beaux sémaphores veillant sur l’œuvre du génie sus nommé, ce n’est pas parce qu’à l’inverse, le génie sus-nommé m’a toujours légèrement épuisé au bout de trois pages perlées de sa fine dentelle de mots emperlés, avec ses histoires d’entomologiste mondain pleines de duchesses, d’invertis, de snobs et de parvenus, modernes fantômes saint-simoniens de papier, qui, bien qu’éternisés en archétypes universels et le subodorant, ne lisaient pas leur entomologiste et metteur en scène de génie par précaution, bêtise et suffisance, ce n’est pas parce que « la vie est trop courte et ses phrases trop longues » (dixit Gide ? Joyce ? Arthur Cravan ? Isidore Isou ? Voyons si vous êtes vraiment savant), ce n’est pas parce que longtemps je me suis douché, touché et mouché de bonheur, ce n’est pas parce que, parce que quoi déjà ?, zut j’ai perdu le fil – n’est pas le petit Marcel qui veut –, ah oui, ce n’est pas parce que l’amitié est un devoir sacré (sauf pour l’intéressé ! A ses yeux, l’amitié était autant de temps de perdu pour l’œuvre) auquel on ne saurait se dérober, a fortiori en cas de chef d’œuvre tel qu’ici (Les Moulineaux où Proust qui préférait Balbec, n’a – on ne saurait lui en faire grief – jamais mis les pieds), ce n’est pas parce qu’il y a risque de copinage à le proclamer haut et fort ici-même, ce n’est pas pour toutes ces raisons et d’autres, par exemple qu’il y a une faute d’orthographe fort bénigne page 422 mais quand même, ou encore, faute, je m’en mordrais les doigts, d’avoir lu et relu en tous sens La Recherche ces trois derniers mois, parce que je ne saisis pas tout le suc de cette assertion enthovénienne, page 169, lignes 12 et 13, que « le monde des idées est l’illusion de celui qui se prend pour le centre du monde », ce n’est pas parce que j’ai rencontré au long de ma vie d’innombrables individus de tous sexes qui, tous immanquablement, se vantaient d’avoir lu Proust mais fort peu qui étaient en train de le lire, ce n’est pas pour les onze raisons, donc, qui précèdent, que je n’irais pas, aussi iconoclaste que je sois en proustologie ex catedra, escalader cet Himalaya doctissime, espièglissime, proustissime et aristocratylique qu’est le Dictionnaire amoureux de Proust des Enthoven père & fils, qui, à n’en pas douter, fera date dans le Panthéon proustien, si encombré soit-il – dès la mort du reclus de la rue Hamelin – d’adorateurs et d’exégètes en tous genres en France non moins qu’en terres anglo-saxonnes, où, excepté l’admirable Philip Kolb, natif du Middle West et moine copiste infatigable, qui réunit les 30 000 lettres de la Correspondance de Proust, les littérateurs indigènes, infichus dans l’art de figer l’éphémère, l’imperceptible, le fugitif, en pareils mots marmoréen et pareil flux arachnéen, se consument en regrets éternels de ne pouvoir s’infuser le texte sacré en direct dans les veines, faute d’être, de naissance, des locuteurs du même idiome immarcescible que le manieur de mots et d’idées époustouflant qu’est à jamais, dans les siècles des siècles, Amen, trois fois Amen, Marcel Proust, qu’on prononçait alors Prout, ainsi que nous l’apprennent nos bons auteurs, ce qui, on s’en doute, affligeait considérablement le pauvre Marcel, d’autant que ses fréquentations du côté de Sodome – cette seconde face de la « double race » du Narrateur aux beaux temps de l’affaire Dreyfus et de l’antisémitisme mondain dont il fit un de ses grands sujets – n’étaient un secret pour personne dans les salons et cercles du noble Faubourg, et ailleurs à la Ville, NRF en tête (voir Gide, Mauriac, Cocteau).
(L’ai-je bien descendu, et ma phrase est-elle assez longue, ou dois-je, cher(e) lecteur (e), encore la rallonger ?)
Mais foin de mauvais esprit et persiflage, ici, hors totalement de saison.
Ce dictionnaire démontre à l’envie qu’une œuvre géniale, à chaque étape de sa postérité sans fin, rend ses vrais défricheurs et archéologues toujours plus inventifs et savants, et qu’à l’encontre des fétichistes et dévots confis en liturgie, ils renouvellent le genre et augmentent par leur lecture en liberté ce plaisir du texte cher à Roland Barthes.
Dès demain, les impétrants en terres proustiennes devraient, pour leur meilleur profit, lire A la recherche du temps perdu à l’aune de ce miroir météorique de 700 pages admiratives, bourrées d’intelligence, de trouvailles, de bibelots sonores et d’esprit.
Oui, Proust, décidément…