«Naissance», 1142 pages! Qui dit mieux? C’est le Léviathan de la rentrée. Pour éviter tout malentendu, il ne faut pas juger Yann Moix par rapport aux règles du récit français classique, type Modiano ou Echenoz. Tout éditeur prescrit à son auteur de contrôler, de couper. La rétention définit l’art français. C’est oublier une autre tradition qui de Du Bartas à Rabelais, de Claudel à Céline prône l’illimité.
Chez Moix, tout est surdimensionné comme dans une autre galaxie: monologues infinis, dialogues infinis, énumérations infinies, personnages infinis. Car il s’agit de naître et on n’en finit pas d’essayer! D’abord quatre-vingt-cinq pages sur la naissance physique du narrateur bombardé par les anathèmes et malédictions de ses parents. C’est un intarissable chœur ligué pour que l’enfant meure. Heureusement, chez Moix, le tragique est indissociablement lié au burlesque. L’absence de prépuce du bébé entraîne des consultations bouffonnes chez le médecin, l’abbé, le rabbin. Est-il juif ou non? Mais ce paravent de drôlerie ne peut cacher un enjeu plus profond. Le narrateur ne veut pas naître de ses parents mais choisir son père spirituel: un certain Marc-Astolphe Oh, une des vedettes du livre à égalité avec le père. C’est le parrain du petit martyr! Le père biologique est un parano, un mégalo négatif, le parrain, un parano, un mégalo positif, séducteur sempiternel, ébouriffé bavard dont la rhétorique hilarante booste le maelström, avec un bluffant final en Éros et Thanatos qui résume toute l’affaire: le paradis et l’enfer.
En fait, on l’a compris, le véritable sujet est une seconde naissance, ici, celle de l’écrivain. Écrire c’est réengendrer son nom, devenir le père de sa généalogie. Et dans l’esprit de Yann Moix, cela se relie à une de ses obsessions ardentes: le Christ. Il a sur ce sujet sa conviction récurrente. Le Christ n’est pas du côté de l’Enfant Jésus, non, il est le Fils qui choisit son Père. (J’ai résumé vite!). J’espère qu’il n’y a pas là de quoi nous flanquer un nouveau concile sur la Trinité et un schisme.
Laissez-vous surfer!
Donc Yann Moix ose tout. Entre autres, une énumération de dix pages de ses œuvres préférées. Le beau linge regorge, mais dans la peinture, horreur!, il oublie l’immense Rubens, le champion comme lui du baroque! Et l’infini des Grandes Décorations de Monet, les Nymphéas peints pendant la Grande Guerre. Las! Las!… Un poème de dix pages en alexandrins souligne encore l’enfance maltraitée de Yann (justifiée a posteriori par les oublis ci-dessus!). Une scène d’enchères burlesques assaisonnée d’autres digressions gigognes peut nous faire traverser des années-lumière de roman. Point de digues! Des pages très inspirées évoquent la mort d’Alain-Fournier et de Charles Péguy en 14. Mais il y a une foule d’intermèdes plus rigolos sur la Corée, voire sur un Boeing bourré de touristes… Yann Moix, au fond, parle assez peu, ici, des amours de sa vie. Il délègue la question à un long discours sur le sexe chez Bataille, l’érotisme de la frénésie, de la folie. Voilà un tsunami dont il faut profiter, il ne tue pas! Laissez-vous surfer sur la vague géante de la littérature sans bornes.
Une pure délectation ! J’en suis à la page 414 et me réjouis de n’en être encore qu’à la moitié ! Il ne faut pas hâter son plaisir ! Bravo Yann ! T’es un bon ! 🙂