Le journal de l’exposition des “Aventures de la vérité” décrit aujourd’hui le quatrième jour d’accrochage de la grande exposition d’été de la Fondation Maeght. L’équipe dirigée par Bernard-Henri Lévy, commissaire de l’exposition, gère l’arrivée d’un Basquiat et d’un Pollock. Deux chefs-d’œuvre inestimables. (Voir les photos en-dessous)
Une des dix salles d’exposition est consacrée à la section intitulée «Technique du coup d’Etat» : elle regroupe exactement dix-huit œuvres. Elles sont, à ce jour, toutes accrochées, à part une ou deux peut-être. Les caisses, les tables de travail, les fils électriques ont déménagé ailleurs. Et elle a déjà, cette pièce, l’atmosphère confinée et la lumière tamisée, le silence et l’aura presque sacrée que tout un chacun connaît aux salles d’une exposition dans un musée. Un havre de paix, un cocon où l’on peut respirer hors des affres de la vie moderne.
Voilà à quoi ressembleront également, hors des heures de visites les plus chargées, les salles Miro, Chagall, Kandinsky et Giacometti dans quelques jours à peine et pour quatre mois. Personne ne se doutera alors de ce à quoi ressemblaient ces lieux la semaine précédant le vernissage : à un véritable chantier.
Situation : il y a, en premier lieu, la population qui s’agite dans les salles pour tout préparer. Il y a là : régisseurs, transporteurs, journalistes parfois, le commissaire d’exposition et le directeur de la Fondation bien entendu, assistants d’artistes ayant prêté directement une œuvre pour l’exposition (aujourd’hui, débarqué de Londres, l’assistant des frères Chapman), techniciens en tous genres, déballeurs, installateurs, menuisiers et, bien sûr, les convoyeurs envoyés par les musées prêteurs.
Les convoyeurs sont des conservateurs qui accompagnent les tableaux du décrochage des cimaises de leur musée jusqu’à l’accrochage aux murs de la Fondation. Certains musées exigent la présence d’un convoyeur, d’autres non. Arrivés avec le camion transportant leurs œuvres et donc épuisés après plusieurs jours de route ou descendus en avion depuis Paris ou encore Bruges et Londres et ravis de découvrir l’architecture exceptionnelle des lieux, le soleil implacable et la ligne azure de la Méditerranée dans le lointain, ils suivent minutieusement toutes les opérations concernant leur œuvre. On commence par stocker les caisses dans les salles. La salle Chagall devient ainsi un entrepôt pour caisses de toutes provenances et de toutes dimensions. Comme chaque tableau ou sculpture a sa caisse faite sur mesure, chaque œuvre à un mode d’emploi particulier pour l’accrochage et ses conditions d’exposition. Au moindre écart par rapport à la procédure exigée, le convoyeur d’une œuvre peut décider de repartir avec son tableau. Tant pis pour l’exposition. Un Basquiat, Crisis X et une crucifixion de Pollock viennent d’arriver. Deux chefs-d’œuvre inestimables.
Première étape : déterminer où les œuvres seront exposées. Ensuite, ouvrir la caisse. Il faut défaire les différentes couches de protection, sous l’œil de Julien Canovas, régisseur des collections : mousse, papier bulle, film bleu posé sur la vitre de protection des tableaux. Puis vient le moment du constat d’état. Posé sur une table, la restauratrice de la Fondation, Florence Feuardent, examine scrupuleusement les tableaux. Chaque imperfection, chaque craquelure, soulèvement, enfoncement, en fait tout un vocabulaire technique pour décrire la moindre altération de la surface peinte ou du cadre est noté par la restauratrice sur son ordinateur. On est dans le monde de l’infiniment petit. Elle reporte aussi une griffure sur l’arrière du cadre ou un bout d’adhésif qui s’en est décollé. Ainsi, quand l’œuvre repartira pour son lieu de conservation habituel on ne pourra tenir rigueur à la Fondation d’altérations qui étaient déjà présentes avant l’exposition.
Toute cette minutie contraste avec le ballet effréné des uns et des autres dans les salles. Dans le bruit des perceuses, les éclairagistes règlent leurs appareils sur les rails des plafonds, d’autres techniciens sont chargés d’opacifier des vitres pour réduire l’intensité lumineuse des salles (chaque œuvre a, là aussi, ses propres exigences). On vérifie aussi l’hygrométrie (le niveau d’humidité des salles). Il faut imprimer les cartels. Prévoir la place des textes explicatifs au mur, à l’entrée de chaque section. Quelqu’un vient demander quelle calligraphie on souhaite pour le dépliant. On n’y avait pas pensé ! Rapidement, il faut se décider.
Et comme le papier ne refuse pas l’encre, mais que la réalité refuse parfois ce qu’on veut lui imposer, un tableau qu’on avait prévu d’accrocher au mur 32a, Olivier Kaeppelin et Bernard-Henri Lévy s’en rendent compte, ne tient pas : la couleur du cadre, par exemple, jure avec le chromatisme du tableau accroché juste à côté, les formats s’accordent mal ou tel tableau ferait plus de sens sur le mur juste en face. Rien ne remplace l’œil. Alors on discute, on débat, chacun propose sa vision des choses. On essaie un nouvel emplacement, oui, finalement, cela marche mieux.
Autre situation : les imprévus, les problématiques en tous genres qui s’accumulent. Telle œuvre dont on se rend compte que la hauteur du cadre avait été mal calculée par exemple. Cela peut remettre en cause tout le plan d’accrochage.
Parmi les «imprévus» que seule la pratique peut résoudre, il y a la caverne du chinois Huang Yong Ping, l’œuvre la plus volumineuse de l’exposition, un gigantesque rocher excavé de plus de six mètres sur cinq. Elle est arrivée dans plusieurs camions sous la forme d’un lego de dizaines de pièces détachées dont certaines font plus de cinq mètres de long. Le tout doit entrer dans la plus grande salle de la Fondation, la salle de la Mairie. La salle de la Mairie est au revers des parkings et de l’entrée. La Fondation est agrippée aux flancs d’une colline, il y a, d’un côté, de hauts murs, et, de l’autre, l’extrémité de la terrasse où elle est construite et puis dix mètres de dénivelé. C’est de ce côté que se trouve notre salle. Comment faire ? Par où passer ? Près de dix hommes sont mobilisés. Spectacle surréaliste du camion de transport obligé de rentrer dans le jardin de la Fondation, où sont exposées des sculptures de Miro, sur le chemin des groupes de visiteurs ravis de voir ce spectacle, ce «making of» en direct : les touristes chinois, américains ou d’ailleurs sortent leur appareil photo et sous les flash crépitant, couverts de sueur, les hommes en bleu essaient tant bien que mal de faire entrer les pièces emballées de plusieurs mètres de long. Les transporteurs rivalisent de dextérité pour se faufiler dans les chemins étroits du «labyrinthe Miro» et passer les énormes pièces de biais à travers les portes-fenêtres. Parfois on passe à deux centimètres d’un mur. Un faux mouvement et tout est perdu. Mais, après plusieurs heures d’angoisse, tout rentre finalement, sans dommage aucun. Pour aujourd’hui.