Pierre Bergé a mille fois raisons : les remugles de la manifestation anti-mariage pour tous éclaboussent toutes les vermines, qui se réveillent. Car la vermine d’extrême-droite se reconnaît à ceci qu’elle ne meurt jamais ; elle est en veille. Toujours prête à disséminer son choléra. L’extrême-droite n’est pas même là pour donner la mort, injecter la mort, prodiguer la mort, comme hier encore envers une petite victime appelée Clément Méric, non : l’extrême-droite est la mort. De la mort en vie, si l’on veut. De la mort baraquée, de la mort en groupe, de la mort aux aguets, non pas seulement ennemie de ce qui pense différemment, mais ennemie de ce qui pense tout court. Non pas seulement haineuse de ce qui est différent, mais haineuse de ce qui est. Non pas seulement ignoble envers ceux qui sont nés ailleurs et vivent ici, mais ignoble envers ceux qui sont nés et qui vivent.
L’extrême-droite ne tue pas : elle est elle-même le meurtre. Meurtre contre tout ce qui est innocent, contre tout ce qui est inoffensif, contre tout ce qui est seul, contre tout ce qui est faible, contre tout ce qui ne demande rien à personne.

L’extrême-droite est la mort parce que la mort, par définition, demande des comptes, sans prévenir, à ceux qui ne lui ont rien demandé. L’extrême-droite est la mort, parce que la mort est toujours inégale, injuste, et que la mort n’est jamais intelligente. L’extrême-droite est la mort parce que la mort déteste de toutes ses forces ceux qui déploient leur force, leur courage, leur vivacité, leur jeunesse pour tenter de vivre, et peut-être même de vivre heureux. L’extrême-droite est la mort parce que la mort, cela ne réfléchit jamais, parce que la mort, c’est incapable d’avoir une seule idée en dehors d’elle-même, en dehors de faire mourir, en dehors de supprimer ce qui est.

L’extrême-droite est la mort parce que la mort ne comprend jamais ce qu’on lui dit. Parce que la mort, cela n’aime pas la tolérance, cela n’aime pas ce qui est tempéré, ce qui est mesuré, ce qui est réfléchi, ce qui est nuancé. La mort aime bien les mots quand les mots font du bruit, la mort aime bien parler pour ne rien dire : mais la mort ignore ce qu’est la parole. L’extrême-droite est abrutie, comme la mort, par une parole mécanique, par une parole qui ne sait pas parler, par une parole qui ne parle pas. Par une parole qui ne dit rien. L’extrême-droite ne parle pas, elle crache des mots qui sont pire que le silence, qui lui est parole. La mort, contrairement à une idée reçue, n’est pas un gros silence qui pèse, une chape de plomb qui fait tout taire – mais c’est un verbiage, c’est un mensonge, un boucan, une stridence, des propos de comptoir. La mort, c’est la parole sans parole donnée à l’instinct, c’est-à-dire à l’instant.

Clément Méric
Clément Méric

L’extrême-droite, c’est ce qui s’insinue, car la mort s’insinue. Elle est toujours là, faufilée, infiltrée, à l’écoute, comme sur la Toile, au courant de tout, sans cesse imminente, sans cesse prête, ramifiée, rapide – insinuée. L’extrême-droite, ce ne sont pas seulement des groupes ou des groupuscules éparpillés : mais un poison qui coule, partout où il peut couler ; une viscosité, une bave qui slalome entre les espaces. Ce poison, cette saloperie, cette vermine n’attendait qu’une occasion de légitimer sa haine de la vie. Elle lui fut donnée, comme un blanc-seing, par tous ces semi fascistes hostiles au bonheur des hommes, au bonheur des hommes avec les femmes, au bonheur des hommes avec les hommes, au bonheur des êtres avec les êtres. Je demande au président de la République, sans plus attendre, de punir tous ceux qui, sur notre territoire, feront honte à notre nation née sur la négation de toute forme de morbidité.

L’extrême-droite n’est pas un «mouvement», un «parti», c’est la mort incarnée dans quelques foireux vivants, en réalité de pauvres zombies. L’extrême-droite a raté sa vie – elle veut rater, elle veut raturer la vie des autres. On nous dit que l’extrême-droite n’aime pas les Juifs, les Noirs, les Arabes, les homosexuels, les «gauchistes». Mais si les Juifs, les Noirs, les Arabes, les homosexuels et les «gauchistes» n’existaient pas, elle les haïrait quand même. Elle les inventerait à la seule fin de les haïr, de les persécuter, de les massacrer, de les assassiner. Pour l’extrême-droite, nous sommes tous, absolument tous, nous serons tous, absolument tous, tour à tour, des Juifs, des Noirs, des Arabes, des homosexuels et des «gauchistes». L’extrême-droite ne peut pas mourir : la mort ne peut pas mourir. A nous tous, en attendant, de lui donner une bonne, une vraie leçon de vie.

12 Commentaires

  1. Bravo pour ce texte magnifique!
    J’ajouterais que l’extrême droite est la mort car elle prend sa source dans un « ou moi, ou l’autre » (ou moi, ou le juif qui « dirige le monde » ; ou moi, ou l’immigré qui me « pique mon travail ou mes droits » ; ou moi, ou les homosexuels qui « veulent détruire la famille » etc.). Dans cette logique, chacun devient un autre à exterminer, voilà où est la mort.

  2. Je lis présentement NAISSANCE et je suis ébahi par votre style et vos propos sur l’humanité en général, une humanité que je reconnais bien dans cet article et qui n’est malheureusement pas une exception à la règle.

    Si NAISSANCE est votre dernier-né, il est le premier que je lis de vous et je puis vous assurer que malgré ses 1150 pages et son foisonnement de termes rares, il ne sera pas le dernier.

    C’est le Renaudot qui m’a permis de vous découvrir et j’en suis fort heureux. Votre prose abondante et souvent bouleversante me fait rire presqu’à chaque page, ce qui ne m’était pas arrivé depuis belle lurette lors d’une lecture. Je vous en remercie et j’émets un seul souhait, que vous continuiez afin de prouver que votre père était dans le champ dès sa giclée qui vous a fécondé.

  3. Pierre Bergé, comme je lui ai indiqué à l’epoque, a tenu des propos deplacés, en comparant les manifestants de la manif pr tous, a des antisémites. Je lui avais alors rappelé qu’il avait defendu les couleurs d’1 ancien president de la republique, decoré de la francisq et resistant tardif. Paul, ayant participé a la manif pr tous et destinataire de la newsletter du mémorial de la shoah.

  4. C’est bien la première fois que je suis convaincu, au moins pendant plusieurs secondes, qu’il doit subsister quelque chose après la mort.

  5. N est ce pas Pierre Berge ce venerable donateur qui a dit qu il ne voyait pas de differences entre une femme qui loue ses bras et celle qui loue son ventre? Cqfd

  6. Et la tricherie est l’alliée de la mort. Sans elle la mort n’aurait aucun pouvoir. Elle n’existerait pas.

  7. Certains pensent que c’est cela, l’innocence, la faiblesse à protéger : cette dame, agee, sans defense autre que celle que la societe lui donne, sacrifiée selon un rite d’ailleurs au crépuscule de sa vie, qui aurait peut être continué longtemps si nous ne l’avions abandonnée à sa faiblesse et aux loups.

    Ceux qui acceptent ces loups parmi les agneaux, ont son sang, et malheureusement pas que le sien, sur les mains.
    Sa mort anonyme, en même temps que ce malheureux, est celle qui cache les milliers d’autres.

  8. Je vous connaissais de nom comme romancier. Je ne savais pas que vous écriviez si bien. C’est époustouflant.
    Et accessoirement, vrai.

  9. Merci, quel beau texte, plein de poésie j’en ai la larme à l’oeil.

    Vivement le livre et le film de Yann Moi sur cet événement.

  10. Joli exercice de style… Ce que vous dites sur la mort porte à réflexion, et votre billet est fort bien tourné… Mais comme tout exercice de style, il prend le risque d’être outré. Vous illustrez le parallèle en détaillant ce qu’est la mort, mais j’attends toujours les arguments de fond qui vous permettent d’y associer l’extrême-droite. En lisant cela, j’ai plutôt l’impression que n’importe qui pourrait écrire cela contre n’importe qui (vous le premier), avec pour seul résultat de se faire peur en écrivant de la poésie sur un ennemi fantasmé…
    Quant à dire que cet acte de violence n’a pu apparaître qu’à cause du climat politique, c’est faire preuve de naïveté. Les extrêmes n’ont pas attendu 2013 pour se castagner dans la rue… C’est juste que d’habitude le président de la République ne se fend pas d’un communiqué…