Ce n’est pas trop tôt !  Ce jeudi 14 mars, deux ans exactement après le déclenchement en Syrie d’une contestation spontanée débutée pacifiquement contre le régime de Bachar al-Assad, Laurent Fabius a annoncé que la France allait livrer des armes à ceux qu’il appelle désormais les «résistants». Nous ne pouvons que nous réjouir de cette décision, nous qui appelons depuis longtemps à apporter un soutien matériel à l’Armée syrienne libre (ASL). Ainsi écrivions-nous ici en novembre 2011: «À ces hommes au courage remarquable [les déserteurs] il faut apporter coûte que coûte l’aide dont ils ont besoin. Ils ont déjà infligé des pertes sensibles à l’armée loyalistes et aux miliciens chabbihas. Mais, on l’a déjà écrit ici, ils manquent cruellement d’armes, de munitions, d’équipements de communication et d’argent pour se nourrir. L’internationalisme ne peut se contenter de paroles. Il faut donc multiplier les pressions auprès des gouvernements démocratiques pour que les militaires passés du côté de la révolution reçoivent de quoi poursuivre la protection concrète des opposants.»
La France fournissait depuis plusieurs mois des moyens de communication et équipements de protection à des groupes de combattants. Mais ils avaient besoin de se protéger et de protéger la population civile des attaques aériennes devenues le moyen privilégié de la mafia assadiste pour terroriser les zones libérées. Il semble qu’enfin notre gouvernement se soit décidé à franchir le pas et qu’il envisage, avec les Britanniques, de livrer des missiles sol-air à une rébellion qui restait désespérément sous-équipée. Londres et Paris laissent entendre qu’ils comptent s’affranchir de l’embargo sur les armes décrété par l’Union européenne. Il eut bien sûr été préférable que la fourniture d’armement efficace soit décidée par l’UE. Mais il est tout à l’honneur de la France et de la Grande-Bretagne de se désolidariser de l’attentisme criminel du reste des 27, dont la prochaine réunion destinée à ré-examiner l’embargo est officiellement prévue fin mai. À raison d’un rythme journalier de plus de 30 morts en Syrie, on mesure ce qu’un tel délai a d’ignoble. En février l’ONU estimait – seulement – à environ 70 000 le nombre de Syriens ayant perdu la vie ; on en est aujourd’hui malheureusement, selon la plupart des sources fiables, à un chiffre probable de 100 000.
La Russie poutinienne, jamais avare de cynisme, assure que la livraison d’armes constituerait «une violation de la loi internationale», elle qui, de même que l’Iran, n’a cessé  d’alimenter les tueurs de Damas en armement. La toute dernière livraison d’hélicoptères de combat spécialement préparés pour Bachar ne remonte qu’à quelques jours. Téhéran et son protégé le Hezbollah libanais apportent de surcroît une aide en hommes qui participent à une répression toujours plus massive et aveugle. Certains pays européens et en particulier Berlin, estiment que donner des armes efficaces à l’insurrection reviendrait à aggraver le conflit. Quelle bêtise, et quelle veulerie ! Également hostiles aux fournitures d’armes aux anti-Bachar, ceux qui jugent qu’elles renforceraient inévitablement les ultra-fondamentalistes islamistes, lesquels  seraient désormais maîtres du jeu de la révolution. C’est au nom de cet argument – qui fait tristement écho à la propagande du régime – que l’on a laissé les combattants laïcs, qui constituent toujours bel et bien la principale opposition armée, sans grands moyens face à l’armée du pouvoir et à ses milices de voyous. Tandis que les fous furieux de Dieu recevaient, quant à eux, de l’excellent matériel financé par de riches Qataris ou Saoudiens.
C’est en retardant sans cesse la fourniture d’armes conséquentes aux insurgés partisans d’une Syrie démocratique que l’on a offert sur un plateau aux djihadistes, en particulier à ceux du Front al-Nosra, un créneau pour développer leurs influence et implantation. Mais celles-ci se heurtent fréquemment à la résistance de la population. Ainsi le journal libanais l’Orient-le Jour relate ce 14 mars que dans l’est de la Syrie, à Mayadine, des habitants ont manifesté trois jours de suite pour exiger que leur localité soit libérée des fanatiques de ce groupe, lesquels ont mis en place un conseil et une police religieux pour imposer la charia. Des affrontement très violents se produisent en outre fréquemment entre unités de l’ASL et extrémistes islamistes, se soldant presque toujours par la mise en déroute des cinglés du jihad.
Soutenir la révolution démocratique syrienne nécessite de combattre sur deux fronts à la fois : d’une part contre Bachar al-Assad et ses complices aux mains ensanglantées, de l’autre contre ceux qui tentent de détourner la lutte pour une Syrie libre au profit de leur sinistre rêve de califat. L’annonce de Laurent Fabius va dans le sens de ce nécessaire double combat, car les insurgés favorables à la démocratie ne peuvent laisser aux petits bataillons de la haine confessionnelle le prestige – usurpé – de la meilleure efficacité militaire.
Encore faudra-t-il soigneusement sélectionner à qui les armes seront livrées – mais on peut penser que les services français ont quelque connaissance du terrain. Il est en outre indispensable qu’entre la parole et les actes il n’y ait pas à attendre longtemps – mais là encore on est en droit de supputer que tout est prêt pour que le matériel soit acheminé dans de très brefs délais. Reste maintenant à la Coalition nationale syrienne, sorte de gouvernement en exil de l’opposition officiellement reconnu par plusieurs dizaines de pays dont la France, à faire son travail : remplir son rôle de direction politique fiable et reconnue par la majorité des opposants en Syrie même, définir une stratégie pour faire tomber le régime et, last but not least, jeter les bases d’un avenir post-Assad démocratique, multi-ethnique, multi-confessionnel et donc laïc. Ce n’est malheureusement pas encore gagné.