Marc Knobel consacrait déjà en 2012 un livre important à L’Internet de la haine. Racistes, antisémites, néonazis, intégristes, islamistes, terroristes et homophobes à l’assaut du Web (Berg International Editeurs). Il publie aujourd’hui chez le même éditeur Haine et violences antisémites. Une rétrospective : 2000-2013. Livre de 340 pages où il analyse, dissèque, démonte les ressorts de la haine antisémite telle qu’elle est diffusée, véhiculée en France. Notre pays n’est pas antisémite, l’auteur le redit mais il voudrait savoir alors comment depuis l’an 2000 tant de relents et d’actes antisémites ont pu conquérir tant d’espace dans notre société. Marc Knobel décline toutes les mouvances de ce nouvel ennemi aux multiples facettes : Intifada et délinquance (p. 23), djihadisme et antisémitisme (37), qui font basculer l’anti-sionisme vers l’antisémitisme pur et dur comme le disait Pierre-André Taguieff dans Le Point du 11 octobre dernier. Taguieff et Knobel montrent combien l’idéologue égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) nourrit toujours parmi les sunnites cette haine à travers son pamphlet « Notre combat contre les Juifs ». Chacun des deux historiens est d’accord pour admettre que l’idéologie islamique remplace l’idéologie chrétienne antisémite des siècles passés puis l’idéologie nazie, qu’elle s’appuie sur leurs fondations pour construire leur logique de destruction.

Si la thèse de la conspiration juive universelle est bien vivante dans l’islam radical d’aujourd’hui, elle est inséparable de l’idée d’un judaïsme « maléfique » (39). D’autre part, si tous les réseaux sont bons pour aboutir à la haine contre une communauté désignée, il est une évidence qu’il trouve son terreau parmi les jeunes musulmans en échec scolaire et  social, où ils se retrouvent si souvent comme laissés-pour-compte de notre société, mais aussi dans les prisons autant que par « l’assaut du Web ».

Cette haine, si sa base politique s’appelle l’anti-sionisme, devient vite idéologique pour tomber dans l’irrationnel. Si elle voulait répondre avant tout à la double injustice faite aux Palestiniens d’abord par l’ONU en 1948, et par l’Etat juif ensuite, surtout sans doute depuis la guerre des Six-Jours et l’annexion de la Jérusalem Est (Al Qods, la Sainte) et des territoires palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie, elle n’y répond plus car un discours qui n’est que de haine perd toute sa crédibilité.

Marc Knobel connaît aussi trop le danger qu’il y aurait à considérer ces idéologues fanatiques, qui fomentent le djihad, l’extrémisme, comme formant la majorité du monde musulman. Il évoque à juste titre l’indignation des responsables des mosquées de Paris et de Lyon en particulier, mais il en voit aussi les limites qu’il déplore : « C’est bien dommage, il aurait été utile de marteler ce message : on ne doit pas importer le conflit israélo-palestinien en France » (95). C’est évidemment plus facile à penser surtout quand on est juif, qu’à vivre quand on est un jeune arabe en déshérence, avec un bagage intellectuel et socio-professionnel étique. Mais combien de fanatiques musulmans sont aussi des diplômés des grandes écoles françaises ou des grandes universités américaines ou britanniques ?

Toute l’analyse passionnante du sociologue Didier Lapeyronnie, citée largement par Marc Knobel, porte sur la construction du phénomène des quartiers populaires ou certaines banlieues françaises. Dans le même temps, il faut se garder de généraliser trop hâtivement. Mais cette réalité met un peu plus à la marge ces jeunes musulmans comme ces jeunes juifs, qui se sentent de plus en plus menacés au point de vouloir « fuir en Israël ».

Il reste que le travail accompli par M. Knobel pour sortir au grand jour cet amoncellement cauchemardesque est remarquable bien que travaillant sur une haine pathologique dont les porteurs ne peuvent pas guérir, à de rares exceptions près. Il faut connaître l’intensité de la haine et être capable de l’analyser pour ne pas en être écrasé. On ne lit pas avec quiétude les propos d’Al-Qaradhavi sur al-jazeera TV en janvier 2009 à propos des punitions appelées soi-disant par le prophète sur les Juifs : « Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait — et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits —, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans » (127). On croit à peu près lire les terrifiantes diatribes chrétiennes médiévales ou inquisitoriales poursuivies par Luther jusqu’à la flambée de l’antisémitisme nazi. Mais ne faut-il pas rappeler que l’islam a six siècles de moins que l’Église, autrement dit, il est encore pour sa branche extrémiste au temps des bûchers de l’inquisition ?

Le sheik Al-Ansari par exemple, toujours en 2009, après avoir regardé un film sur les atrocités nazies commises sur les Juifs, dit : « [les Juifs] ont transformé [l’Holocauste] en une fête, qui sera célébrée dans quelques jours. Ils l’appellent la « Fête de l’Holocauste » ; ils y ravivent les événements passés pour que le monde entier les voit et ressente de la compassion à leur égard » (128).

Sur plus de trois cents pages, jusqu’au traumatisme de l’affaire Merah, nous assistons à un déferlement d’ignominie antisémite et antisioniste le plus souvent sous forme de paroles mais dans trop de cas tragiques, marqués aussi par des passages à l’acte.

Nous voulons croire et nous savons ce que le destin de l’islam n’est pas d’assassiner les juifs ni les chrétiens parce qu’infidèles à leur propre loi, n’est pas d’assassiner les enfants juifs à la porte des écoles juives et qu’il ne doit pas confondre judaïsme et sionisme.

Sait-on en revanche que « les actes antisémites ont augmenté de 45% sur les huit premiers mois de 2012 » par rapport à 2011 sur la même période, comme le dit Marc Knobel ?

Il termine toutefois son livre sur une note d’optimisme à propos de la cérémonie émouvante qui eut lieu en présence de François Hollande et Benyamin Nétanyahou le 1er novembre 2012 à Toulouse, où le Premier ministre israélien faisait remarquer que contrairement à l’époque de l’occupation, le président de la République était présent pour saluer la mémoire des victimes et surtout pour montrer que la République combat l’antisémitisme avec la plus grande détermination. Nétanyahou continua sur sa lancée, sans doute déplacée dans ce contexte, scandant « Israël ‘haï ! Israël ‘haï ! » (Israël vivra !). Mais l’Etat juif ne doit pas et ne peut pas être l’unique rempart contre l’antisémitisme dans le monde.

Face à tant de haine, pourvoyeuse de mort, que Knobel combat, lui aussi, avec tant de vigueur, il nous revient la lourde charge d’aider toujours plus activement l’islam démocratique, les musulmans ouverts d’esprit et de cœur à tout mettre en œuvre pour former leurs croyants dans le respect de l’autre, qui est aussi le respect des Juifs.