Il y a au sein de l’Église catholique une discussion profonde et sérieuse sur les places respectives de la théologie, de la psychanalyse et de la science, quand il s’agit pour elle de donner des orientations sur les questions éthiques, de foi ou de société. A ce titre, la question du « mariage pour tous » révèle les enjeux et les écueils.
Depuis 1981, à l’initiative de Jean-Paul II, a été créé un Conseil pontifical pour la famille et la santé. Il est constitué d’experts, chargés de stimuler, promouvoir et coordonner les actions et études portant sur la famille et la santé. Le Conseil publie régulièrement des documents, qui sont disponibles sur le site du Vatican. Parmi les 39 « consulteurs », un Français, prêtre du Diocèse de Paris et psychanalyste, a été chargé de mission à Rome sur les drogues et la toxicomanie. À ce titre, il s’est prononcé en faveur du recours au préservatif pour la prévention du sida. Il est connu pour son opposition à l’admission des candidats à la prêtrise s’ils sont gays. Il s’agit de M. Tony Anatrella.
Les thèses de Monseigneur Tony Anatrella
Diplômé de l’École des Hautes Études en Sciences sociales, Tony Anatrella est enseignant au Collège des Bernardins. Sans qu’il soit évêque, on l’appelle Monseigneur. Ce privilège lui a été décerné à titre honorifique, en raison de ses fonctions au Vatican. Ses positions sur l’homosexualité, sont exposées dans son ouvrage : Le règne de Narcisse.
L’homosexualité est à ses yeux « un inachèvement et une immaturité foncière de la sexualité humaine ». Selon lui, les prêtres gays ont tendance à détourner leur fonction « à des fins narcissiques », « ils sont dans la séduction », et « ont de sérieuses difficultés pour se situer institutionnellement dans la coopération avec les autres ».
Ce n’est pas que nous dirions que c’est faux. Ce peut bien être vrai, mais cela peut se dire aussi bien de certains hommes hétérosexuels, ou de quelques femmes. De là à en faire un critère d’exclusion… On s’étonne que cela soit fait au nom de la psychanalyse.
Monseigneur Anatrella s’appuie sur l’Œdipe pour justifier ses positions. Mais c’est oublier que la psychanalyse est née du déclin de l’Œdipe, de ses ratages, de ses manques, de la perte de la transmission et de la tradition. C’est ignorer que la psychanalyse a poursuivi sa pratique au-delà de la norme fixe de l’Œdipe. Rien dans la pratique clinique ne nous permet d’affirmer que le modèle du couple conjugal où les futurs parents se choisissent librement par amour, et conçoivent « naturellement » leurs enfants qu’ils élèvent ensemble sous le même toit, garantit par soi-même la stabilité du lien, la maturité de la sexualité, la transmission de l’Œdipe, ni même l’hétérosexualité de chacun des membres de la famille.
L’hétérosexualité ne veut pas dire complémentarité entre les sexes. L’expérience analytique rend manifeste qu’il n’y a aucune complémentarité sexuelle, ce que Lacan exprimait en disant qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Que des hommes entre eux, que des femmes entre elles, veuillent donner une reconnaissance sociale et civique à leur amour, nous n’avons pas à les soupçonner d’insincérité, et encore moins d’immaturité. Le faire au nom de la psychanalyse est abusif, et constitue un détournement. Le couple hétérosexuel connaît l’infidélité depuis la nuit des temps, et ce sera pareil pour les couples homosexuels – pour certains, non pour tous. De plus, on remarquera que l’homosexualité est le plus souvent envisagée du point de vue de l’homosexualité masculine, elle-même trop souvent confondue avec la pédophilie. Chez les couples homosexuels qui veulent des enfants, on soupçonne l’égoïsme. Et chez les parents de familles nombreuses ? Et chez les parents d’un enfant unique ? Pas d’égoïsme ? L’égoïsme, est-ce une catégorie psychanalytique ?
Que l’enfant soit issu de la PMA* ou de l’adoption ou des voies dites naturelles, qu’il soit l’enfant d’un couple chrétien, d’un couple séparé, d’un couple homosexuel, la question proprement psychanalytique n’est pas celle des origines, disons, de fabrication. Elle est celle de savoir de quel désir un enfant est issu. Les enfants nés de couples homosexuels ont leurs impasses, leurs symptômes, tout comme comme les autres. « Il y a mille manières d’être un homme ou une femme ». Cette phrase est de Philippe Lefebvre, dominicain, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de théologie de Fribourg, en Suisse.
Le père Lefebvre s’est fait l’exégète des thèses de monseigneur Anatrella. Dans sa critique, le dominicain déplore qu’il prétende donner le dernier mot à des considérations avancées au nom de « la science », sans recours au sacré. Il y oppose la parole de Jean-Paul II, selon laquelle « Foi et sciences sont les deux ailes qui s’élèvent vers la contemplation de la vérité ».
À l’Université catholique de Lourdes
En juin 2012, Tony Anatrella a participé à Lourdes au premier Congrès scientifique international sur « La santé et la science », organisé par la CMIL, Commission médicale internationale de Lourdes, et le bureau des constatations médicales de Lourdes. Il s’agissait d’envisager « ce que signifie guérir aujourd’hui, sous l’angle de la raison et de la science, en lien – et non en opposition – avec l’influence de la foi et de la prière sur la santé humaine ».
Parmi les trente chercheurs et médecins présents, le professeur Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 a donné une conférence magistrale sur la « structure de l’eau, et son rôle dans les pathologies humaines ». Il a notamment fait part d’hypothèses de recherche sur des ondes dans le sang, et l’impact des signaux magnétiques d’origine bactérienne dans les maladies chroniques qu’il a cité : SEP, Parkinson, Alzheimer, schizophrénie et autisme. Monseigneur Barbarin, primat des Gaules, a élégamment disserté sur le thème : « Guérir et sauver ». Enfin, le professeur François-Bernard Michel, tout récemment nommé président de l’Académie de Médecine, après avoir été le premier membre médecin de l’Académie des Beaux-arts, est intervenu en sa qualité de vice-président de la Commission médicale internationale de Lourdes.
Le Pr Michel a posé de délicates questions sur la différence entre les guérisons proclamées par la médecine et le petit nombre de miracle reconnus. Sur 7000 guérisons déclarées à Lourdes en 150 ans, seules 68 ont été considérées par l’Eglise comme miraculeuses. Les autres demeurent au rang de guérisons remarquables. (Beau critère dont pourrait s’inspirer l’HAS). Le Pr Michel a proposé la création à Lourdes d’une Université qui se consacrera aux phénomènes de la guérison et du miracle. Cette Université publiera tous les ans le fruit de ses avancées sur le problème.
Quelle part sera faite au divan, au divin et au devin, par l’expert tenté de prédire et prophétiser ? Une seule lettre distingue ces mots. Pourtant grande est la différence des leurs significations.
Catherine Lacaze-Paule est membre de l’ECF, exerce la psychanalyse à Bordeaux.
* PMA : Procréation Médicalement Assistée