Dans le communiqué, le MNLA exprime sa volonté de participer à la lutte contre le terrorisme mais exige que l’armée malienne s’abstienne de pénétrer dans l’Azawad et que la population civile de la région soit épargnée. Le MLNA craint apparemment que l’objectif ultime de la France soit de ré-annexer l’Azawad au Mali, et que l’armée malienne saisisse cette occasion pour rétablir son contrôle sur la région avec le soutien de la communauté internationale. L’organisation redoute également que l’armée malienne punisse les Touaregs et des Maures. Cette préoccupation est d’ores et déjà justifiée par les graves violations des droits de l’Homme perpétrées par l’armée malienne qui ont été rapportées.
Le MLNA, ainsi que certaines figures européennes, ont reproché à la France de ne pas avoir engagé de forces laïques et démocratiques dans l’Azawad dans le cadre de son intervention au Mali, faisant valoir que ces forces pourraient être un atout militaire dans la guerre contre le terrorisme, tout en assurant la protection de la population civile. En outre, elles pourraient constituer la base d’un règlement politique à long terme dans le nord du Mali.
MNLA : La guerre contre les forces islamistes ne peut être gagnée sans notre participation militaire
Du 7 au 9 janvier 2013, alors que les forces islamistes se préparaient à affronter une intervention militaire internationale, le MNLA tenait son Deuxième Congrès dans la ville de Tinzaouaten sur le thème « Evaluation et restructuration des institutions politiques et militaires du MLNA. » La rencontre portait sur une nouvelle proposition visant à obtenir la reconnaissance internationale de l’indépendance de l’Azawad. Suite à cette conférence et à l’intervention française, Ag Cherif a publié un communiqué du MLNA disant : « Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) alerte la communauté internationale [sur le fait] que l’intervention militaire étrangère contre les groupes terroristes [dans l’Azawad] ne devrait pas constituer une raison pour l’armée malienne de franchir la frontière entre l’Azawad et le Mali avant qu’un accord politique soit conclu sur le conflit [Mali-Azawad]. Le MNLA est disposé à participer à la lutte contre le terrorisme afin de réduire les risques pour les civils innocents. Nous exigeons que la population civile de l’Azawad ne soit pas victime de l’intervention armée, et qu’il n’y ait pas de confusion entre les civils et les terroristes. Nous rappelons que le MNLA a toujours respecté ses engagements, en particulier en ce qui concerne l’arrêt des hostilités entre le MNLA et l’armée malienne. Le MNLA reste ouvert à des négociations ». [1]
D’autres représentants du MNLA ont réitéré l’engagement de l’organisation à participer à la guerre contre le terrorisme si l’indépendance de l’Azawad était reconnue. L’officiel du MNLA Mossa Ag Assarid a déclaré à l’AFP : « Nous sommes prêts à apporter notre aide, nous sommes déjà engagés dans la lutte contre le terrorisme. Nous pouvons faire le travail sur le terrain, nous avons des hommes, des armes et, surtout, le désir de débarrasser l’Azawad du terrorisme ». [2] Ag Assarid a ajouté que le MNLA s’oppose à toute présence de l’armée malienne dans l’Azawad, sans accord préalable entre le Mali et le MLNA, et que cette organisation est ouverte au dialogue en vue de trouver une solution au problème de l’Azawad. [3]
Le Chargé des Affaires étrangères du CTEA Ibrahim Ag Mohamed Assaleh a déclaré à Reuters que les combattants de l’organisation pourraient participer à une intervention des forces de la CEDEAO mandatée par l’ONU. « Le MNLA veut combattre les terroristes aux côtés de la CEDEAO et de la communauté internationale », a-t-il affirmé, tout en soulignant sa préoccupation que le Mali puisse exercer des représailles contre les populations des Touaregs et des Maures de l’Azawad : « Les habitants de l’Azawad, pour lesquels nous nous battons, sont les premières victimes de ce terrorisme, et nous redoutons qu’ils deviennent également des victimes de l’opération militaire, notamment de l’armée malienne ». [4]
Les officiels du MLNA ont depuis longtemps fait part de la volonté de leur organisation de participer à une intervention militaire contre les forces islamistes, soulignant que la communauté internationale en tirerait avantage. Le 26 septembre 2012, Mossa Ag Attaher (actuel Chargé de la Communication et de l’Information du CTEA) a publié une lettre ouverte au Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-Moon, dans laquelle il estime que la communauté internationale ne peut gagner la bataille contre les forces islamistes sur le terrain sans l’aide militaire du MNLA, puisque seuls les Touaregs savent se battre dans les rudes conditions désertiques de l’Azawad. [5] En fait, hormis les forces françaises, le MNLA est la seule force qui a dignement lutté contre les islamistes sur le terrain. [6]
MNLA : Le gouvernement malien n’a jamais « tiré une seule balle » contre AQMI
Dans sa lettre ouverte, Ag Attaher souligne que priver le MNLA d’une intervention militaire mettrait en péril la population civile de l’Azawad, et reproche à la communauté internationale d’ignorer son organisation : « L’armée malienne, dont l’irresponsabilité est bien connue, et les milices [maliennes], qui ne manqueront pas une occasion de rejoindre une éventuelle intervention militaire, attaqueront certainement les populations civiles des Touaregs et des Maures [de l’Azawad]… Pourquoi la communauté internationale et la CEDEAO continuent-elles de se méfier du MNLA alors qu’elles veulent trouver une solution définitive au conflit ? Le MNLA [est] le seul allié crédible et incontournable dans la lutte contre les [islamistes], enracinés dans l’Azawad depuis près de 15 ans. » [7] Les responsables du MNLA ont souligné que les djihadistes avaient pris le contrôle de l’Azawad avec la complicité du régime malien [8] et que le gouvernement malien n’avait jamais « tiré une seule balle » contre AQMI ou d’autres groupes terroristes, présents dans l’Azawad depuis plus de 15 ans. [9]
Le MNLA a perdu du terrain face aux islamistes en raison d’un manque de soutien financier et logistique. Avec une aide plus conséquente, il pourrait recruter des combattants touaregs pour restituer les territoires perdus. En réalité, de nombreux Touaregs, qui vivent actuellement dans des camps de réfugiés, seraient prêts à rejoindre le MLNA et à se battre pour l’Azawad, mais attendent que l’organisation bénéficie d’un soutien international plus important. En outre, de nombreux combattants qui ont rejoint Ansar Al-Din pour l’argent, ou parce qu’ils considèrent que c’est le pari « le plus sûr », sont susceptibles de quitter cette organisation suite à l’intervention française, et peuvent être aisément recrutés pour le MNLA.
Malgré cela, la communauté internationale semble réticente à soutenir les forces laïques et démocratiques dans l’Azawad, en particulier le MNLA. Exclure cette organisation d’une l’intervention militaire laisse penser que l’objectif de la communauté internationale est en réalité de rétablir le contrôle du Mali sur l’Azawad et de perpétuer ce que beaucoup d’Azawadis considèrent comme une occupation.
Les députés européens : la France veut restaurer le « Mali d’avant »
Trois membres du Parlement européen du groupe des Verts / Alliance libre européenne – François Alfonsi, fondateur du groupe d’amitié Berbères-amazigh, Frantziska Brantner et Indrek Tarand – ont publié un communiqué soulignant la faiblesse d’une intervention militaire dénuée de stratégie politique claire pour rétablir la stabilité de l’Azawad. Selon le communiqué, pour remporter la lutte contre le terrorisme, il faut soutenir un processus politique démocratique qui défende le projet d’autodétermination de l’Azawad : « La France fait l’impasse totale sur les raisons… qui ont conduit au rejet de l’État central malien par la population, quelles qu’en soient les origines ethniques. Au contraire, la politique française donne largement l’impression de vouloir restaurer le ‘Mali d’avant’, celui dans lequel, déjà, les djihadistes prospéraient discrètement, à coup d’otages et de trafics, à l’abri d’une pseudo-stabilité de façade de l’Etat malien… Aucune intervention internationale ne pourra parvenir à un succès politique si elle n’est pas appuyée sur des forces de terrain aptes à capitaliser la confiance des populations qui vivent sur le territoire même de l’Azawad. C’est là le point crucial pour l’avenir politique de cette intervention militaire de la France : quelle forme institutionnelle aura le ‘Mali d’après’ ?
Il faudra associer le MLNA aux discussions futures, et l’autodétermination démocratique des populations de l’Azawad devra prévaloir. Cette position doit être affirmée avec force désormais, et l’Europe doit s’engager pour favoriser le dialogue politique. D’autre part, l’aide humanitaire européenne doit être accrue au plus vite pour soulager les populations civiles qui sont les premières victimes du conflit. » [10]
Violations des droits de l’Homme par l’armée malienne
Selon un article paru dans Jeune Afrique le 20 janvier 2013 [11], les Touaregs et les Maures de l’Azawad, bien que satisfaits d’être libérés des djihadistes, craignent la présence de l’armée malienne dans leur région. Leurs craintes sont en partie alimentées par l’expérience passée : dans les années 1990, suite à une rébellion touareg, le mouvement Gandakoy malien avait perpétré plusieurs massacres dans les régions de Gao et de Tombouctou, avec le soutien du régime malien, tuant également quelque 60 prêtres touaregs dans un camp près de Gao en octobre 1994. [12]
Les craintes des Azawadis et du MLNA semblent se concrétiser. Dans un rapport intitulé « Exactions des militaires maliens : l’urgence d’une commission d’enquête indépendante », la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), basée en France, signale un nombre croissant d’exécutions sommaires et d’autres violations des droits de l’Homme perpétrées par des soldats maliens à l’encontre des Touaregs et des Maures dans le cadre de l’opération française-malienne. Le rapport dit : [13] « La FIDH a pu établir qu’une série d’exécutions sommaires a été perpétrée par des éléments des forces armées maliennes, à partir du jeudi 10 janvier 2013, particulièrement à Sévaré, Mopti, Niono et d’autres localités situées dans les zones d’affrontements. A Sévaré, au moins 11 personnes ont été exécutées dans le camp militaire, à proximité de la gare routière, et près de l’hôpital. Des informations crédibles font état d’une vingtaine d’autres cas d’exécutions dans la même localité où les corps auraient été enterrés en toute hâte, notamment dans des puits. Dans la région de Niono, deux Maliens d’origine touareg ont été exécutés par des soldats maliens. D’autres allégations d’exécutions sommaires continuent de nous parvenir du centre du pays. Par ailleurs, la FIDH fait état de l’enlèvement de l’imam Cheik Hama Alourou par des militaires maliens le 21 janvier au soir, à Gnimi Gnama, un village situé entre Bore et Douentza. À Bamako, une dizaine d’habitations de Touaregs ont fait l’objet de perquisitions par l’armée malienne dans la semaine du 14 janvier, émaillées d’actes de pillages et d’intimidations. Les victimes de l’ensemble de ces exactions sont des personnes accusées d’être complices des djihadistes ou des infiltrés, des personnes en possession d’armes, des individus ne pouvant justifier de leur identité lors de contrôles de l’armée, ou ciblés simplement en raison de leur appartenance ethnique et communément appelés les « peaux claires » ». [14]
Toumast Press a diffusé une vidéo montrant des soldats maliens en train d’exécuter 52 Touaregs à Djoura le 25 octobre 2012. Selon l’introduction de la vidéo, postée sur YouTube [15], le massacre a été filmé par un soldat malien que l’on entend rire pendant que les soldats exécutent les civils touaregs. La vidéo montre également les soldats maliens prendre l’argent et les autres possessions de leurs victimes avant de les abattre. [16]
Notes :
[1] Mnlamov.net, 12 janvier 2013.
[2] AFP, 14 janvier 2013.
[3] Le Conseil de transition de l’Etat de l’Azawad (Conseil de transition de l’État de l’Azawad) est un gouvernement d’intérim de 28 membres formé par le MLNA en juin 2012.
[4] Reuters.com le 20 janvier 2013.
[5] Toumastpress.com, le 26 septembre 2012. Pour l’analyse complète de la lettre ouverte, voir MEMRI Enquête et Analyse n° 892, MNLA Reaction To ECOWAS Intervention Plan In Azawad: ‘We Are The Only Credible Ally In The Fight Against Terrorism In The Sahel’ – Inquiry & Analysis Series Report, 24 octobre 2012.
[6] Voir MEMRI Enquête et analyse n° 854, The Fight For A Secular State Of Azawad – Part II: Fighting Terror In The Sahel, 5 juillet 2012.
[7] Toumastpress.com, 26 septembre 2012.
[8] Toumastpress.com, 9 août 2012.
[9] Toumastpress.com, 30 mai 2012. Le désir d’indépendance du peuple Azawadi est également alimenté par des années de frustration devant la négligence de leur région par le Mali. Voir par exemple l’article de Mustapha Dahi, un modérateur sur le grand forum Internet d’Azawad, Kidal info. Dahi est un Maure (bien qu’il se définisse comme un simple « Arabe »), non-partisan du MNLA, et se dit opposé à la sécession de l’Azawad. Toutefois, il écrit que l’indépendance de l’Azawad finira par arriver, dans « cinq, dix, ou 100 ans », parce que rien de durable ne peut se bâtir sur la frustration de ce peuple. Il souligne que les Azawadis construisent des écoles et des start-ups sans l’aide de l’État malien, celui-ci n’ayant pas investi dans l’infrastructure de l’Azawad. Il affirme également que, depuis la sécession, la région enregistre moins de pénuries alimentaires. Kidal info, 23 janvier 2013.
[10] François-alfonsi.eu, 15 janvier 2013.
[11] Jeune Afrique, 20 janvier 2013.
[12] Think Africa Press, 6 février 2012.
[13] Fidh.org, 24 janvier 2013.
[14] Les Touaregs et les Maures sont souvent appelés péjorativement « peaux claires » ou « peaux rouges ».
[15]Youtube
[16] Toumastpress.com, 18 janvier 2013.