Le vieux monde est derrière nous
Il y a plusieurs raisons alléguées au refus du mariage homosexuel. L’une d’entre elles émane le plus souvent d’hétérosexuels attachés à l’institution du mariage (fût-il civil) dont ils font le symbole de l’ordre social. C’est à ce titre qu’ils refusent que cette institution puisse évoluer avec le temps. Tout se passe à cet égard comme si ce changement devait faire s’effondrer l’ordre symbolique sur lequel notre monde repose, au lieu qu’il prend seulement acte de ce que cet ordre a du plomb dans l’aile, et participe à sa réinvention.
Mais derrière cet argument, un autre se fait lui aussi entendre auquel il est difficile de rester sourd. Il concerne le « bien » des enfants qui seront issus de ces mariages, voire qui pourraient être adoptés par ces couples « homo » mariés et pourvus de ce fait du livret de famille qui est délivré en la circonstance. C’est en effet une différence essentielle entre le PACS et le mariage qu’à l’occasion du second de ces engagements, les contractants se voient délivrer ce livret. On craint le pire pour les petits êtres dont l’identité s’y inscrira bientôt. C’est aussi en leur nom que les défenseurs de la famille traditionnelle descendent dans la rue pour dire leur refus du mariage gay.
Dans la prairie
À ceux-là répondons que le modèle familial dont se prévaut La petite maison dans la prairie n’empêche pas les dégâts. Autrement dit, la forme de la famille ne suffit pas à garantir le bon traitement des enfants qui y sont accueillis. Et la clinique enseigne en particulier que si les pères et les mères qui se dérobent à leur responsabilité produisent des effets néfastes sur leurs enfants, les pères qui se prennent pour des pères ou les mères qui se prennent pour des mères ne font guère mieux.
A contrario, l’expérience nous indique que bien des couples homoparentaux, des mères célibataires, des veufs – que sais-je encore ? – ne se débrouillent pas mal avec leur progéniture. Ce sont là des faits dont il faut tenir compte dans le débat qui anime aujourd’hui l’opinion française, parce qu’ils indiquent que ce qui opère concernant l’éventuel « bien » des enfants ne saurait en aucun cas être mis sur le compte de la forme sociale de la famille qui l’accueille. Mettons plutôt cela sur le compte d’une négativité et nommons-la avec Lacan désir. Une seule et unique personne peut le faire exister pour son enfant, quelle que soit son sexe. A fortiori peut-il advenir par la grâce de deux personnes qui n’ont pas besoin d’être les parents biologiques de l’enfant pour lequel ce désir opère, par deux personnes de même sexe ou pas, par des homo ou des hétéros… Peu importent en fait ces détails, le tout étant de ne pas croire qu’un quelconque modèle de la famille pourrait épargner, même aux parents les plus attachés aux traditions, l’invention perpétuelle à laquelle l’accueil d’un nouvel être convoque ceux qui en ont la responsabilité.
Voici venu le temps…
Si ce n’est donc pas tant le bonheur de l’enfant dans sa famille qui est le réel enjeu de ce débat, reste à interpréter la vivacité des émotions suscitées par ce projet de loi. Un des slogans des « anti » révèle selon nous l’enjeu fondamental de ce dont il s’agit. Pas d’ovules dans les testicules ! entendait-on en effet dimanche dernier dans les rues de la capitale. Ce slogan fait entrevoir deux équivalences opérant par glissement : ovule = mère et testicules = père. Ces équivalences font toutes deux l’impasse sur les termes qui permettent de passer du réel anatomique à l’incarnation de la fonction maternelle ou paternelle. Car les deux égalités dont il s’agit sont en fait : ovule = femme = mère et testicules = homme = père. Derrière l’écran du slogan qui met l’anatomie au premier plan, on entrevoit l’os de l’affaire : la difficulté qu’il y a, pour tout sujet, à se situer côté homme ou côté femme. Il est certain que s’abriter derrière l’habit du père ou de la mère peut constituer une réponse (en impasse) à cette énigme.
L’ordre symbolique et la fonction paternelle qui l’a longtemps représenté seraient-il aujourd’hui si menacés qu’il faille qu’un million de personnes prétendent les sauver à grand renfort de slogans ? Il semble en tout cas que la défense de l’ordre patriarcal est d’autant plus vive que cet ordre est chancelant. Il est à craindre qu’aucun slogan, aucune loi (ou absence de loi), aucun décret ne saurait en raviver la force. Comme le notait il y a peu Jacques-Alain Miller, à l’heure où la nature est depuis longtemps écrite en langage mathématique, elle ne peut plus servir de référence aux hommes et aux femmes pour s’identifier au sexe dont l’anatomie les a pourvu. Il est même aujourd’hui possible, et en usant des lois de la nature elles-mêmes, d’aller contre le destin prescrit par l’anatomie et de transformer un homme en femme, une femme en homme, de se passer de l’un comme de l’autre pour créer la vie humaine. Bref, il y a des ovules dans les testicules, justement. Et même la combative Frigide Barjot n’y peut maintenant plus rien !
Pour signer l’appel contre l’instrumentalisation de la psychanalyse.
Oui, drôle d’époque que la nôtre. Qui se veut libertaire quand ça l’arrange et liberticide quand ça la dérange.
Non, il n’y pas d’ovule dans les testicules. En tant qu’homosexuel, je suis entièrement favorable au mariage pour tous et à l’adoption tel que le permet le projet de loi du gouvernement. Ce gouvernement a avec sagesse sorti la PMA du texte car il ne s’agit pas d’une disposition sociétale mais relevant de la bioéthique. Justement l’anatomie ce n’est pas le destin donc il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une procréation médicalement assistée, à la GPA, à la FIV à partir de deux noyaux d’ovules ou deux noyaux de spermatozoïdes ou que sais-je encore, la création d’un utérus artificiel. Si les transsexuels se font opérer (opération très invasive), c’est parce qu’ils souffrent d’une pathologie grave et non par goût ou inclination. Même si la PMA finit par être ouverte aux lesbiennes (et donc nécessairement aux femmes seules… ce qui est interdit aujourd’hui), je suis farouchement opposé à tout remboursement par la sécu. C’est symboliquement nécessaire.