Dans le courant des années 90, Sophia et Malcolm sillonnent leur quartier de New York, posant tags et graffiti sur leur passage. Ils espèrent qu’ils seront un jour respectés, qu’ils se feront ainsi connaître. Mais à peine reviennent-ils sur les lieux, que leurs peintures sont souillées par le clan rival. Ils font le pari de tenter la fresque ultime, sur le logo haut perché du stade de base-ball des Mets. Il leur faut la complicité du gardien, qui leur demande cinq cent dollars pour son silence.
Dans leur course à l’argent, les deux graffeurs approchent un ex-taulard, des dealeurs d’herbe, et enfin une jeune fille huppée, que Malcolm et Sophia tentent de cambrioler, sans succès. Au terme de leur quête laborieuse, ils ne parviendront à rien d’autre qu’à se rapprocher. Leur art avait jusque-là consisté en l’affirmation d’une valeur inexistante, et ce périple à travers la ville a révélé une raison nouvelle.
Gimme the loot n’est pas sans rappeler le film mythique Just Kids de Larry Clark. Même course à travers la ville ; même esthétique abrupte et vive. Le scénario est simple, l’enjeu unique, l’issue perdante. Les deux films mettent en scène des jeunes gens des quartiers modestes, montrent des squats où l’on fume de l’herbe, où tous se côtoient sans barrière d’âge. Des Radiant Childs à la Basquiat. Tout prend son sens originel, du graffiti au sexe, en passant par la fraternité. Just Kids montrait la course d’une jeune adolescente, venant d’apprendre qu’elle est séropositive, pour avertir le garçon qui l’a contaminée. Gimme the loot est une même tentative vaine, mais essentielle, faisant mille détours, qui montre une chose pour en révéler une autre.
Cette esthétique semble ignorer l’au-delà, et affirmer une immanence, une urgence du présent. C’est une réalité à laquelle manque un élément, peut-être est-ce l’attente, le mystère. Car tout est concentré pour aller dans le sens de l’action, sans jamais s’égarer dans des tableaux ou des illustrations. L’intrigue file, il n’y a aucun ailleurs, tout est là et tout concourt. Le réel est âpre, New York est loin de ce que nous en connaissons. Les acteurs ne posent pas, il y a un resserrement de la réalité sur eux, non pas sur leur essence mais sur leurs mots et actions. Ils sont dans la vie et rien ne vient les en faire douter. Pas même la caméra. Et pourtant si, nous les voyons, nous les observons. Voilà d’où vient le malaise, ou la faille. Ils naissent d’une contradiction. D’habitude au cinéma, la présence de l’objectif se fait oublier, car on l’identifie avec un certain regard que les acteurs portent sur eux-mêmes, toujours. Dans le film d’Adam Leon ou dans ceux de Larry Clark, les personnages ignorent totalement ce regard. Ils ne nous rendent pas celui que nous portons sur eux. Ils sont entièrement voués à l’action.
Une brèche est ouverte dans la réalité, car quelque chose lui est ôtée. Elle est incomplète, et on le sent. Elle est entièrement canalisée dans un sens, les échanges des personnages sont directs, touchant directement leur objet, atteignant à chaque fois leur but. Mais pourtant, nous sentons de notre côté un réel plus complexe. Il est bien en nous, nous y vivons. Ce décalage est probablement involontaire, mais il est essentiel. Nous sommes cet ailleurs absent au film. Artaud le Momo le disait : « Ne serait-il pas temps de rejoindre le cinéma avec la réalité intime du cerveau ? »