Il y a, dans le « cas » Descoings, comme la démonstration que les décennies ont beau passer, le temps faire son œuvre, eh bien la vieille grosse bête qui taraude la France, elle, ne prend pas une ride.
Car que se passe-t-il ?
Un homme, Richard Descoings, est mort.
Cet homme était le directeur, reconnu, adoré, pourrait-t-on même dire, de cette institution nationale qu’est Sciences Po.
Parallèlement, et sans qu’il n’y ait aucun lien de cause à effet, de prédicat à sujet, d’antécédent à conséquence, rien, mais par pure coïncidence, la Cour des Comptes diligente un rapport sur la gestion du disparu ; on imagine les manteaux d’hermine fureter, avec leurs bouliers et leurs calculettes inflexibles, ouvrir les placards et additionner les quignons de pain à la cantine ; au bout du compte, donc, un rapport, car en France, tout finit en rapport, et voilà que les inquisiteurs de la Rue Cambon égratignent la gestion, du point de vue comptable, de ce même directeur, lequel est – on le rappelle, car à lire les tribunes à son encontre, on peut, parfois, l’oublier – malheureusement défunt, et enterré.
Aussitôt, la bataille fait rage, et les pages Débats des grands journaux du soir se couvrent, comme à Verdun, de contreforts et d’artilleries, de tranchées et de fortins.
Le Monde publie donc des tribunes1, écrites par des sociologues comme Péguy n’en aurait pas rêvé ; on aura, en effet, rarement commis aussi loin dans le bourdivisme caricatural, le côté gros malin qui vous « déconstruit » le réel, les situations, les « réseaux » et les « prébendes », comme d’autres changent les robinets ; à chaque fois qu’ils entendent le mot « culture », ces gens-là vous sortent leur habitus ; il y a décidément, une puérilité navrante dans ce gauchisme façon « Monde Zygomatique ».
Tout cela, je veux dire, cette pambéotie s’acharnant sur la dépouille du monarque défunt, comme les Romains déboulonnaient Tibère dans les pages de Tacite pour se disputer les brisures d’or fin, serait au mieux risible, au pire inélégant, si de cette bataille de chiffonniers ne montait un fumet odoriférant.
On veut un droit d’inventaire ? Bien sûr. Un examen du bilan, colonne plus et colonne moins ? Evidemment. Mais qu’on soit honnête. Que derrière un scrupule de comptable, un souci de pédagogue, on ne cache pas un projet de militant politique : détruire méthodiquement Richard Descoings, par crétinerie égalitariste et culte des racines nationales.
Car ce « rapport » est un prétexte hâtif pour régler un différend, idéologique, avec un homme que le trépas a soustrait à jamais au tribunal de ses pairs ; et comme la mort de César délie les langues des courageux rétrospectifs, nul ne peut plus leur répondre. D’une histoire d’argent, on est passé à des affaires d’entregent. Car, disent-ils, les procureurs révélés, cet homme, ce Directeur, comme par hasard, est mort à New York ; pensez-donc, quel bel aveu, n’est-ce pas, redoublent nos imprécateurs du café du gauchisme, de la part de ce valet de l’Empire, invitant Jean-Claude Trichet ou Pascal Lamy dans le saint des saints de l’université française, conviant entreprises et banques à développer l’institution, vendant un morceau de la vraie croix française à l’Amérique de Harvard et du capitalisme, eh bien quel symbole formidable, qu’il soit mort, là-bas, dans cette Mecque de l’élite mondialisée. Ah ! Vous le voyez, la mort ne ment pas, on s’y dévoile, on s’y soumet, et alors, comme l’assassin est toujours confondu sur les lieux de son crime, voilà que le trépas l’a saisi à Manhattan, lui, ce faux-serviteur de l’éducation nationale, ce Iago du génie français.
Les entendez-vous, cette conjuration des chiens de garde, qui tentent, la main gauche sur La Noblesse d’Etat, la main droite près du Figaro, de rajouter quelques pelletées de malveillance sur le tombeau encore bouleversé ? Car, dans UNEF, tout est dans le N, de « nationale », et tout, au fond, est dans la haine nationale : Richard Descoings, cet escogriffe au double-jeu, ce roi de l’équivoque, a bradé la culture française ; cet homme hors-sol, corrompu par le Dieu Dollar, le billet vert et le charme discret de l’oligarchie, a, en ouvrant des Sciences Po en province, aspiré, avalé, englouti vers le Grand Monde Libéral, les meilleurs enfants de nos campagnes, les plus beaux rejetons de nos terroirs, comme l’Ogre avide de pouvoir, et d’argent, qu’il était. Cet apatride élitaire et mondialisé, aurait pu continuer ses basses œuvres longtemps ; heureusement, Dieu soit loué, Mediapart veillait au grain. Voilà une « situation » déconstruite, une excellence nivelée, un mythe décortiqué : le berger vigilant peut aller s’endormir le cœur léger.
Sous les oripeaux de contribuable soucieux des deniers publics, ce sont donc des purificateurs idéologues qui s’avancent. Un droit d’inventaire ? Un procès de Moscou, plutôt ! Qu’on s’attaque à un de ces réformateurs iconoclastes dont nous avons tant besoin- un des seuls à avoir saisi les inégalités de ce pays à bras le corps, et promu par la force d’une volonté inexorable les couches les moins favorisées de notre société- qu’on s’attaque à celui qui fit peut-être le plus pour remédier à cette terrible fracture sociale et mentale qui ronge notre république, qu’on le conchie, le traîne dans la boue, le condamne sans procès et lui imprime sur le front ce terrible « rapport » comme un sceau d’infâmie, tout cela par militantisme de section partisane, eh bien cette chasse à l’homme dit tout trente ans après, des idéologies françaises et des lâchetés gauloises. Haine de l’élite, de l’argent, de la culture. Il est temps, vraiment, d’en finir avec les adversaires, par principe, de Sciences- Po Paris.
1 « Il est temps d’en finir avec Sciences Po Paris », Le Monde, 28/11/2012
Que d’efforts de style mis au service d’une mauvaise cause.
Non, ceux qui dénoncent la gestion de Descoings ne sont pas tous des adversaires de SciencesPo. A la Cour des Comptes, 80% en sont issus. Et j’en suis un fidèle défenseur.
Votre défense de Descoings est aussi partisane et mal informée que l’attaque grotesque de l’article du Monde que vous dénoncez.
Non, Descoings n’est pas celui qui fit « le plus pour remédier à cette terrible fracture sociale ». Derrière cette posture héroïque, il a augmenté les droits d’inscription de 2000 % et recruté principalement des jeunes de milieux privilégiés.
Et surtout il se révèle avoir été un incroyable Tartuffe, jouant le leader moderne alors qu’il pratiquait le management par la peur. Jouant les héros de l’ouverture sociale en s’en mettant plein les poches.
Enfin vous vous mettez en mauvaise compagnie. « On ne crache pas sur un cadavre » est l’argument principal des complices de Descoings, Casanova, Pébereau, Crès, Latour, etc. pour cacher leurs turpitudes et essayer d’empêcher le bilan, pas seulement comptable, nécessaire au redressement de l’institution.
Donc que sa gestion ait montré de grandes irrégularités et une rémunération largement disproportionnée ne vous dérange pas?
Excellent, Baptiste, comme d’habitude. Malheureusement tu frappes à la porte d’une casemate. On ne sait pas si les gens à l’intérieur sont au courant de ce qui se passe dans le monde, Rien ne décongèle dans leur esprit.
Bravo ! Enfin un avis équilibré
Excellent papier.
Merci pour votre article je ne connaissais ce Monsieur avant sa mort, mais a lire tous les commentaires pas tous dieu merci je suis obligé de penser que beaucoup de bons a riens continuent a mettre du desherbant sur les pousses d’inteligence au nom d’une morale enfin desolé du mot ce sont des cons.
J’ai un peu de mal à comprendre l’intérêt de ce texte. Je n’y vois que des contre-imprécations, qui ne répondent concrètement à aucune des critiques faites contre Richard Descoings.
Il est absurde de nier certaines des avancées qui ont eu lieu sous Richard Descoings. Il est tout aussi absurde de nier les abus qui ont pris place. Il est sans doute resté trop longtemps à la tête de Sciences Po, ce qui n’est jamais sain. Il n’est pas non plus possible de balayer d’un revers de main le problème de sa rémunération, manifestement exagérée. Le poste de directeur de Sciences Po apporte de nombreuses gratifications sociales et il ne me semble pas nécessaire d’y ajouter en plus des gratifications financières démesurées. Pourquoi ne pas appliquer le rapport de 1 à 10 ?