Avec Je voulais te dire (My dear, I want to tell you…) Louisa Young, romancière britannique, a écrit son chef-d’œuvre, superbement traduit en français par Françoise Jaouën. Cette fresque sur un amour impossible entre deux êtres que tout devrait séparer, Nadine, une aristocrate et Riley, un Londonien d’un milieu simple, et dont la guerre de 1914-1918, avec son horreur, ses morts par millions et ses gueules cassées, devient le troisième personnage, est narrée avec une puissance, un style, en un mot avec un souffle comme une lame de fond, emportant tous les lecteurs sur son passage.

Riley est envoyé au front, dans la Marne, il y connaît l’hécatombe, la furie des premiers gaz de combat, les tranchées. Lors d’une bataille en 1917, une balle lui arrache la mâchoire. Transféré dans un hôpital militaire en Grande-Bretagne, il refuse de revoir Nadine, écartelée dans sa douleur, que tente de soulager Rose, l’infirmière qui lui est dévolue. Rose commencera une correspondance avec Nadine. Riley subit de nombreuses opérations de la mâchoire et écrit à Nadine qu’il rompt avec elle, suite à une rencontre faite à Paris avec une jeune française. L’a-t-elle jamais cru ?

Louisa Young traduit l’inhumanité de la guerre dans une langue habitée, hantée par ces images que rien n’a effacé, près d’un siècle plus tard, « des hommes morts qui pendent comme des chiffons » (p. 153). « Les étoiles et les fleurs et les corps tournoyaient dans l’air » (p. 155). « Souviens-toi des hommes dont tu ne te souviens plus. Souviens-toi des cercles concentriques rouges » (p. 164).

Le très grand talent de Louisa Young est d’avoir écrit un livre qui mériterait le prix du Meilleur livre étranger de l’année, d’avoir raconté avec une puissance contagieuse ce « grand Ça qui avait métamorphosé une adolescente et un garçon en Infirmière et en Soldat » (p. 135). Depuis le champ de bataille, avant sa blessure, le capitaine Riley Purefoy écrit à sa bien-aimée évoquant un « gigantesque bouleversement, l’écrasante démesure de ce qui se passe ici [qui] réduit l’individu à rien » (p. 90).

Après qu’il fût défiguré, Riley ne veut plus vivre, veut rompre avec l’humanité puis réapprend lentement à revenir parmi les vivants. Durant le même temps, Nadine s’enrôle comme infirmière et se donne à corps perdu dans ses tâches harassantes pour tenter d’oublier celui qu’elle aime.

Lors du premier Noël d’après guerre, Nadine et Riley se retrouvent grâce à la complicité de Rose et d’un autre couple déchiré, lui aussi, par les années de cauchemar.

Je voulais te dire… est un roman d’amour, de destruction des espérances mais aussi un roman sur la reconstruction faciale des grands défigurés. La puissance de Louisa Young est de parvenir à peindre un impossible amour qui se reconstruit sur les « désastres de la guerre ».

Voilà l’un des plus grands romans contemporains écrit sur la Première Guerre mondiale et il nous vient de Grande-Bretagne.