Olivier Guez, en mars 2012 vous dressiez le portrait d’un Obama loin d’être à la hauteur des formidables attentes suscitées par son élection et écriviez ceci : « Je crois qu’Obama n’a pas été à la hauteur des circonstances historiques qui l’ont porté au pouvoir. Il n’a pas pris la mesure des angoisses et du désespoir de ses compatriotes, des déséquilibres et des clivages de la société américaine, de ses besoins de transformations radicales. » Êtes-vous toujours du même avis ?
Olivier Guez : Oui ! J’avais écrit cette phrase (qui figure déjà dans mon livre, American Spleen aux éditions Flammarion ndlr) dans la mesure où elle constitue une forme de comparaison historique. La crise des dernières années est la pire récession depuis celle des années 1930. De ce fait, si l’on compare les mesures de Roosevelt à son arrivée au pouvoir et ce qu’a fait Obama, il est certain qu’il n’a pas été historiquement à la hauteur de la tâche. A son corps défendant, il faut préciser qu’Obama est arrivé au moment même de la crise alors que Roosevelt est arrivé quelques années après, ce dernier a donc eu le temps de voir Hoover se essayer les mauvaises recettes… Roosevelt savait ce qui ne marchait pas. Il n’empêche qu’en terme de caractère, Roosevelt et Obama sont très opposés l’un de l’autre.
On l’a vu lors du premier débat, Obama n’est pas pugnace, il est un animal à sang froid qui prend beaucoup de temps pour peser le pour et le contre. Fondamentalement, sa gestion de la crise n’a pas été mauvaise surtout si on la compare à l’Europe. Il a sauvé l’économie américaine, celle-ci n’a pas plongé. Le stimulus a permis de maintenir à flot l’économie américaine. La loi Dodd-Frank a réformé le système financier. Il s’agit là d’une très grande reforme, la plus ambitieuse depuis les années 1930. Si l’on dit donc qu’Obama n’est pas à la hauteur des évènements il faut pourtant concéder qu’il l’est beaucoup plus que ses homologues européens.
Obama, animal à sang froid, parle avec assez peu d’emphase. En 2008, il y avait un incroyable enthousiasme autour de sa candidature. En 2012, l’état de grâce semble terminé. Finalement, Obama ne serait-il pas le véritable Président normal ?
Obama est quelqu’un d’extrêmement résolu. Les républicains veulent le faire passer pour un homme faible, ce qu’il n’est certainement pas. Obama est un solitaire, il sort peu à Washington et préfère rester avec sa femme et ses enfants. Finalement, le problème d’Obama est peut-être qu’il aime trop sa femme. Il commence par exemple le premier débat l’opposant à Mitt Romney en souhaitant un bon anniversaire de mariage à Michelle et néglige souvent les réceptions avec les grands donateurs du parti démocrate.
Pour autant, Obama sait être fort. Lorsqu’il doit passer à l’action, il ne le fait pas à moitié. Un exemple : en 2011, le Président américain à fait envoyer plus de drônes sur les différents fronts de guerre que pendant les huit années de présidence Bush. Il ne lésine donc pas sur les moyens quand il le juge nécessaire. C’est ce que l’on a constaté lors de l’épisode de la capture de Ben Laden, une mission secrète et périlleuse effectuée sur le sol d’un pays ami, le Pakistan.
Pareil pour la cyber guerre entre Iran et Israël. Obama a multiplié les cyber offensives contre la République islamique. Il n’est donc pas faible. Il aime avoir raison ; il aime avoir le dernier mot. Obama n’est pas normal. D’ailleurs quelqu’un de normal peut-il vouloir diriger une hyperpuissance comme les États-Unis ? Je ne le pense pas… Il n’est pas un Jimmy Carter bis !
Vous venez de revenir d’un séjour outre-Atlantique, quels changements y avez vous perçu ?
J’avais écrit un livre sur la mélancolie américaine il y a plusieurs mois. J’étais à l’époque parti aux États-Unis pensant y trouver de la colère et, me promenant à travers le pays, plus que de la colère, j’ai en fait découvert beaucoup de mélancolie. Beaucoup d’américains semblaient paumés, inquiets, ne sachant pas de quoi l’avenir serait fait. Chez eux, on sentait une véritable angoisse, pour leurs enfants, pour eux, pour l’avenir de leur pays. Il faut se remettre en tête le contexte, celui d’une décennie d’une violence immense qui connut, en vrac : les attentats du 11 Septembre, les guerres d’Irak et d’Afghanistan qui furent tout sauf des succès, des scandales financiers à la pelle (de l’affaire Enron en passant par le scandale Madoff). Un système économique s’écroulant presque et des changements ethniques importants avec la montée en puissance des latinos. Il s’agit, par rapport aux années 1990, de changements structurels de fond. La mondialisation que l’Amérique a impulsé hier fait aujourd’hui des ravages sur son propre sol. Voilà ce que j’avais ressenti aux États-Unis l’an passé. De retour de New York, il y a quelques semaines, je dois avouer ne pas avoir ressenti la crise. C’est normal : New York est une ville particulière, qui bouge toujours beaucoup. Les riches ont toujours de l’argent. Ils continuent à bouger. Mais l’inquiétude des intellectuels demeure. Est-ce que, dans un contexte géopolitique incertain, les USA ont toujours un rôle à jouer ? Le monde les attend-t-il ? Les quatre années de la présidence Obama ont permis au pays de ne pas sombrer, la chute a été enrayée, le chômage ne baisse que très peu. Et, finalement, la chance d’Obama est peut-être là. Fareed Zakaria me disait ceci : Même si le chômage est historiquement haut pour qu’un Président soit réélu (ce serait une première dans les pays occidentaux), les américains préfèrent peut-être donner les clefs de leur nation à quelqu’un qu’ils connaissent déjà plutôt qu’à un inconnu. En face, les recettes de Romney sont inspirées du néo-libéralisme des années 1980. Les américains se demandent si ces vieilles recettes sont encore capables de résoudre les problèmes actuels.
Quand on regarde le débat Biden v. Ryan, on est témoin d’un spectacle inédit en France : cette possibilité de faire des choix politiques impactant directement sur le cours de l’Histoire…
Oui, l’Amérique reste tout même la première puissance mondiale. Elle concentre en son sein une large part de la richesse mondiale, possède une armée sans rivale, un soft power qui continue de rayonner à travers le monde, des technologies de pointe et d’excellentes universités. Sauf que les passerelles entre l’Amérique qui gagne et l’Amérique qui perd s’effondrent peu à peu. L’économie néo-libérale, si elle a permis au pays de s’enrichir, a en même temps creusé les inégalités. Il existe ainsi deux voire trois Amériques qui ne se rencontrent pratiquement plus à l’instar des républicains et les démocrates qui échangent de moins en moins. Par exemple, les infrastructures américaines sont dans un état catastrophique. Elles sont passées du cinquième rang mondial au vingt-cinquième rang. Il suffit de prendre la route ou le train pour s’en apercevoir. Les Amériques ne sont plus vraiment connectées les unes aux autres. Le constat est donc négatif même si certaines choses fonctionnent encore.
En filigrane, on voit donc se dessiner la question du déclin américain…
Les États-Unis sont confrontés au déclin depuis leur création. Ce n’est pas une crainte nouvelle dans l’esprit des habitants. Quelque part , avoir conscience du problème, c’est déjà essayer de le résoudre…
On parle beaucoup moins des mouvements de Droite dure et autres Tea Parties comme on le faisait il y a quelques années. Le parti républicain aurait-il remis la main sur ces différentes mouvances ?
Le Tea Party représente environ 20% de l’électorat américain, ce qui est considérable. Ils ont profité des mid-terms elections qui sont traditionnellement l’élection où l’on casse le gouvernement en place. Paul Ryan vient de cette mouvance. Mais il est forcé de tempérer ses opinions. On l’a vu au cours des débats, le parti républicain se recentre. Cette année, l’élection ne se gagnera pas très à droite.