Le football indigne. Vingt-trois types en short qui ne veulent pas s’entraîner à taper dans un ballon sont une « honte nationale » (la façon dont sont traités les roms, par contre, ne constitue pas une « honte nationale ») ; quelques gugusses qui ne chantent pas l’hymne national déshonorent leur patrie (parce que oui, le nationalisme est valeur autorisée dans le football ; parce que non, vivre l’hymne en l’écoutant n’est pas acceptable). Pire encore, ils acceptent l’argent qu’on veut bien leur donner… Cela prouve bien que ces hommes n’ont ni loi ni morale !
Il y a, en effet, un véritable procès d’intention à l’encontre du football. On se plaît à s’offusquer de chaque mini-scandale qu’il génère ; alors que nous sommes bien plus indulgents lorsqu’il s’agit d’un autre sport. On a ainsi très peu parlé du coup de poing dans le ventre de Nicolas Batum sur Juan Carlos Navarro lors du match de basketball France-Espagne aux Jeux olympiques de Londres. On a tout aussi peu évoqué la destruction du plateau de L’Equipe TV par les joueurs de la sélection française de handball. Même le scandale actuel des paris est traité avec douceur : s’il fait effectivement la une des différents JT, il nous est donné à entendre de nombreuses déclarations qui relativisent l’affaire. Lorsque l’on observe le traitement de l’équipe de France de football dans les médias, on peut facilement imaginer que les choses nous auraient été présentées différemment s’il s’agissait de ce sport…
Oui, le football agace. Il agace à travers sa médiatisation excessive, au détriment d’autres sports et d’autres sujets bien plus importants ; il agace à travers sa médiatisation médiocre, incompétente, qui rend impossible à un non-averti d’apprécier ce sport (aucune analyse, aucune passion dans L’Equipe ou le Canal Football Club : seulement des critiques – si ce n’est des insultes – adressées à l’arbitre et aux joueurs jugés individualistes) ; il agace à travers sa médiatisation à scandale, qui parle des joueurs comme des êtres idiots et égoïstes, indignes du rôle de modèles que l’on attend d’eux – même si l’on ne voit pas très bien pourquoi des types doués avec leurs pieds devraient jouer les modèles pour le reste de la société.
Que leur reproche-t-on, au fait ? Souvent, de gagner trop. C’est sûrement vrai. Encore que… Si l’on compare à un ouvrier, cela ne fait pas de doute. Mais par rapport à un trader? A un PDG? Au moins, les footballeurs ne font que risquer leur propre emploi et leur propre argent… Et leur carrière particulièrement courte et indécise justifie (en petite partie) ces très hautes rémunérations.
Surtout : doit-on leur reprocher ces salaires? Devraient-ils vraiment refuser d’avoir leur part du gâteau du football business ? S’ils gagnent autant d’argent, c’est bien parce que le football en génère encore davantage! Ne devrait-on pas se réjouir d’enfin voir des travailleurs obtenir une partie du fruit de leur travail?
Sans aller jusque là, ne peut-on pas simplement avouer que l’on est bien plus indulgent envers certains artistes qui gagnent tout autant?
Un autre reproche récurrent est celui de la stupidité des joueurs, incapables de parler d’autre chose que de « prendre du plaisir ». Il faut bien comprendre que rares sont ceux à avoir eu l’opportunité de faire des études supérieures : Jean-Alain Boumsong, avec son DEUG en Mathématiques (équivalent d’une deuxième année de licence), fait figure d’exception. La réussite au bac n’atteint pas non plus les moyennes nationales : aucun des 14 joueurs du centre de formation de l’OM à avoir passé l’examen en 2012 n’a obtenu son diplôme. L’éducation de ces jeunes n’est pas la priorité des clubs, ce qui devient d’ailleurs problématique lorsqu’ils ne parviennent pas à percer au plus haut niveau (ce qui représente l’immense majorité des cas). Les centres de formation ont donc une large part de responsabilité dans ce manque de culture des footballeurs.
Quant aux interviews creuses qui se contentent de répéter que « l’important, c’est les trois points » (sic) et « qu’il faudra jouer à 200% », les joueurs ne sont pas les seuls coupables : difficile, en effet, d’apporter une réponse passionnante à « alors, heureux de la victoire ? ». Surtout que chaque déclaration est analysée à la loupe par la presse, et que les clubs répriment les joueurs qui expriment une opinion : comme en politique, la langue de bois s’impose alors d’elle-même.
Enfin, on parle fréquemment de l’individualisme des joueurs, incapables de faire des passes. Il faut relativiser ce constat : le football va désormais bien plus vite, ce qui n’aide pas à être lucide le moment venu. En outre, cette affirmation des individualités permet à certains joueurs d’exploser très tôt : là où un joueur connaissait le top de sa carrière à 27-28 ans, il peut désormais atteindre son meilleur niveau à seulement 21 ou 22 ans.
L’individualisme des joueurs est aussi critiqué en dehors des terrains : on entend d’ailleurs souvent qu’ils ne s’intéressent qu’aux filles (oui, il s’agit bien là d’un reproche) et aux jeux-vidéos. Rappelons tout de même que ces jeunes sont éloignés très tôt de leurs familles ; que les centres de formation n’ont pas pour priorité de leur inculquer des valeurs ; que les agents et autres présidents de club se chargent très rapidement de leur « monter la grosse tête », eux qui ne connaissent que ce monde à part ; et les constants changements de club (que cela soit pour se relancer, pour progresser ou pour gagner plus d’argent) n’aident pas davantage. Il ne s’agit évidemment pas de plaindre ces individus qui sont bel et bien des privilégiés ; mais seulement de relativiser les reproches et les envies qu’ils suscitent.
Il y a aussi ceux qui, plutôt que les joueurs, méprisent le football business en général. Il y a de quoi : l’inflation dans le football est explosive (un joueur moyen de Ligue 1 en 2012 gagne davantage qu’un grand joueur des années 60) ; les clubs multiplient les dettes et les déficits incontrôlés ; ils ont aussi perdu de leur identité régionale depuis l’arrêt Bosman (le nationalisme étant accepté par tous dans le sport) ; ils arrachent de nombreux jeunes à leurs familles, y compris en Afrique… Et le flair-play financier ne convainc pas (voir ici plus de détails).
En outre, l’argent fausserait la compétition. Pourtant, le club le plus riche ne gagne pas toujours : Montpellier a remporté le championnat de France en 2012 (et non le PSG version Qatar) ; Chelsea, qui a pourtant investi 2 milliards d’euros entre transferts et salaires depuis 2003, vient seulement de gagner sa première Ligue des Champions ; les surprises (qui n’en sont plus) en Coupe de France sont légion, etc. Ces investissements ont aussi permis de rendre le football plus professionnel, au point que les joueurs courent en moyenne deux fois plus de kilomètres par match qu’il y a vingt ans.
En étant cynique, on pourrait aussi dire qu’il est heureux que ces milliardaires injectent de l’argent dans le football ; autrement, cet argent se serait probablement retrouvé dans de bien plus égoïstes entreprises.
Une autre critique souvent adressée au football porte sur la violence dans les stades. Cette violence est, cela va sans dire (mais disons-le tout de même), déplorable. Déplorable, mais appartenant largement au passé, en tout cas en France. Il est évident qu’il y aura toujours trop de bagarres, zéro étant le seul nombre acceptable ; mais les progrès sont à noter (même si la méthode porte à controverse : le CNIL s’intéresse d’ailleurs actuellement à la stigmatisation des supporters du PSG, dont certains sont conservés dans les fichiers de la préfecture et du club de façon illégale). Ajoutons que cette violence n’est pas liée au football en lui-même (il ne s’agit pas d’un sport extrêmement violent) ; mais plutôt à sa popularité et à notre monde en général.
Ne confondons pas le football à proprement parler avec l’agaçant cirque médiatique qu’il génère. Cette popularité a aussi du bon : elle est créatrice d’emplois (25 000 dans la filière du football professionnel en France selon M. Thiriez, président de la Ligue), et elle permet au football de jouer un rôle indispensable d’intégration en plus de pouvoir vivre des ambiances extraordinaires pour ceux qui ont la chance de se déplacer dans les stades.