Ça n’a pas fait les gros titres de la presse française, mais c’est pourtant salement inquiétant. Mardi 2 octobre, à Toulouse, quelques dizaines de jeunes gens se sont érigés en police anti-blasphème et ont obtenu d’un artiste marocain, Mounir Fatmi, qu’il retire une œuvre qu’il devait présenter dans le cadre du festival d’art contemporain « Printemps de septembre ». Le directeur artistique de la manifestation culturelle, l’historien d’art Paul Ardenne, a approuvé l’auto-censure que Mounir Fatmi s’est infligée, déclarant : « Dans le contexte actuel, hypersensible, c’est mieux ainsi. »
Que s’est-il passé ? À en croire la presse, l’œuvre consistait en la projection, sur le sol d’un pont, de l’installation vidéo Technologia. Laquelle est faite de cercles (inspirés des « rotoreliefs » de Marcel Duchamp), tournoyant avec à l’intérieur des versets calligraphiés du Coran. Il semblerait que, deux jours avant l’inauguration officielle, le mécanisme de projection se soit déclenché par inadvertance, avant l’installation de barrières devant isoler les images sur le sol. Des passants auraient alors marché sur celles-ci. « On met le Coran par terre, c’est vraiment pas faisable », a expliqué la certainement très pieuse Charaza Boumzaa, 23 ans, qui, choquée par l’abomination qui se dévoilait sous ses yeux, aurait alors téléphoné à ses amis habitant dans des cités toulousaines. Lesquels auraient promptement rappliqué pour interdire qu’on foule ainsi les saints versets. Une jeune femme se serait « mangé une claque pour avoir refusé de passer à côté », selon la formule délicate d’un noble défenseur de l’islam. L’imam de la mosquée de la Faourette au Mirail, Mokhtar el-Meddah, qui passait par là, a entrepris de calmer les esprits et a soupiré : « On a évité le pire ! » Les autorités avaient entre-temps envoyé sur place une dizaine de cars de police.
Peu après, des appels à manifester étaient lancés par SMS, puis la mairie, en l’occurrence l’adjointe aux Affaires culturelles, a reçu illico presto une délégation de la communauté musulmane toulousaine. Au terme de la réunion, l’élue, Vincentella de Comarmond, a alors annoncé avec héroïsme que l’installation de Mounir Fatmi était supprimée, conformément, sans doute, au plus cher désir de l’artiste.
La préfecture de Paris avait interdit la manifestation appelée à Paris le 22 septembre pour protester contre le film Innocence of Muslims. Décision erronée, car elle a empêché de pouvoir compter combien de gens (certainement très peu) auraient répondu à l’appel des réseaux salafistes. Il aurait toujours été possible de déclencher des poursuites judiciaires à l’encontre de quiconque aurait lancé, comme lors de la manifestation « spontanée » du samedi précédent, des appels au meurtre du genre « Juif souviens-toi de Khaybar » (rappel d’une bataille gagnée en 628 par Mahomet et ses fidèles contre les Juifs de cette ville), slogan qu’on entend régulièrement dans le monde arabo-musulman. Mais voilà qu’une poignée de jeunes des cités parvient à faire interdire une œuvre dans la bonne ville de Toulouse. Sans doute la municipalité ne voulait-elle pas froisser un peu plus encore cette belle jeunesse souvent persuadée que le pauvre Mohammed Merah a été victime d’un complot. Même en Tunisie, le gouvernement Ennahda est obligé de faire mine de défendre la liberté d’expression des artistes accusés de blasphème et dont les œuvres sont attaquées par des bandes de fous de Dieu. Mais à Toulouse, on recule devant les mêmes. Sauf erreur, la ville est bien dirigée par le Parti socialiste, non ?
[…] Toulouse, la ville où l’art ne doit pas offenser le Coran […]