Vous n’avez encore rien vu est acclamé quasi unanimement.
Ce qui devait être dit pour honorer le dernier opus d’Alain Resnais étant déjà dit partout, on se permettra ici d’aller à rebours de la génuflexion générale et d’analyser en quoi ce film est une insulte à la création.
On se placera, pour ce faire, « à côté », en spectateurs illettrés assis, pour la première fois, dans une salle de cinéma, qui ne connaissent rien d’Anouilh, rien davantage de Resnais. Des spectateurs nouveaux qui ne sont jamais allés au cinéma, n’ont jamais vu un écran ni une télévision. Des nouveau-nés en quelque sorte, jetés dès la sortie du ventre de leur mère dans une salle obscure, comme châtiés, et qui seraient contraints d’y faire l’expérience de la vie.
Evidemment, ces analphabètes ès cinématographe ne verront rien de la formidable mise en abîme par laquelle Alain Resnais fait se refléter la pièce à l’infini, certains acteurs se tournant vers le passé, d’autres vers le futur, une œuvre qui existera tant qu’elle sera jouée, tant que le flambeau passera de main en main. Mathieu Amalric, Anne Consigny, Michel Piccoli, Pierre Arditi, Sabine Azéma, Lambert Wilson, d’autres acteurs encore, apparaissent à l’écran sous leur vrai nom. Ils reçoivent chacun un coup de téléphone leur annonçant qu’un de leurs amis, un célèbre dramaturge nommé Antoine d’Anthac, vient de mourir. Ils sont convoqués dans une sorte de château où leur est projetté un enregistrement de leur ancien ami. Tous ont joué pour lui dans Eurydice, une pièce en réalité de Jean Anouilh, et le dramaturge leur demande leur avis sur une nouvelle mise en scène de la pièce par une jeune troupe nommée la Colombe, dont ils vont pouvoir visionner la captation. Petit à petit les anciens « joueurs » des divers rôles vont rejouer certaines scènes d’Eurydice. Eloge de l’infini, éternité de l’œuvre.
Au théâtre, c’est le présent qui, à chaque fois, se joue, l’issue de la pièce n’est pas garantie, les acteurs peuvent mourir sur scène, comme un certain Molière. Dans le théâtre filmé, en revanche, on sait que la représentation s’est déroulée comme prévu, sans encombre, sans incident. Et, filmée comme telle, cela la rend ennuyeuse, lui fait perdre son essence, lui ôte ses dangers. Ne restent alors qu’une succession de scènes mortes, de performances d’acteurs, assurés qu’ils seront bel et bien immortalisés par l’objectif de la caméra. Ils n’ont plus à gagner l’éternité par le contrôle du présent, en le transcendant.
Les premiers films d’Alain Resnais, L’année dernière à Marienbad, Hiroshima mon amour, exploraient le langage cinématographique et le temps, d’une manière qui était propre au cinéma et le démarquait radicalement des autres arts. Il n’y avait pas cette sorte de compromis entre le réel et la fiction, l’un se faisant passer pour l’autre, se plaçant au même niveau, y perdant ses caractéristiques, son mystère. Vous n’avez encore rien vu les place à côté, d’égal à égal, les dépouillant de leurs richesses respectives. L’image n’est plus une matière brute que le cinéma façonne, qu’il traite pour l’utiliser à une fin qui n’aura rien à voir avec la réalité dont elle est issue. Dans ce dernier film d’Alain Resnais, on peine à différencier le tournage de ce que l’on voit à l’écran, la magie a disparu. Les puissances du faux sont affaiblies, tout est nivelé par le bas, c’est donnant-donnant, de la scène de théâtre à sa retransmission en images. Cette naïveté est déprimante. Les acteurs ne jouent plus pour le public, mais pour Resnais, ce dieu du cinéma, avec la complaisance que cela impose.
Sans doute ces impressions sont-elles exagérées. Peut-être Resnais est-il toujours un grand du Cinéma. Mais c’est ce même respect pour ce qui est établi en majesté qui conduit à admirer moutonnièrement ce film qui n’en est pas un. Or le cinéma doit précisément se refuser à cette facilité. Artaud ne disait-il pas : « Le théâtre, c’est l’échafaud, la potence, les tranchées, le four crématoire ou l’asile d’aliénés ». En est-il ainsi des spectateurs de cinéma ? Il le faudrait.
le fond de l’aticle, c’est, si je comprends bien » tout est nivelé par le bas ». Intéressant. Voilà un critique qui effectivement n’est pas allé au cinéma depuis la guerre.
Et puis ce « réel » et cette « fiction » qui auraient perdu leurs caractéristiques, leur mystère ?… Au garde-à-vous le réel et la fiction ! chacun à sa place !
Il y a des critiques, mêmes négatives, moin superficielles du film.
Y a-t-il quelqu’un à la Règle du jeu qui parle de cinéma ?