Longtemps, je restai le nez fiché entre les mamelles du surréalisme pour pouvoir en parler de façon convaincante. J’ai aimé les surréalistes de manière inconditionnelle, quasi aveugle, comme si leur vision du monde allait de soi, ou à tout le moins m’allait comme un gant. Sous leur impulsion, je ne concevais guère qu’une œuvre ne critiqua sans appel le monde existant. L’art, selon la formule célèbre de Picasso, était un mensonge mais un mensonge capable de dire la vérité sur le mensonge. De là le glissement, vite opéré dans mon esprit, entre dévoilement de la vérité et engagement politique. L’exemple surréaliste montrait pourtant qu’art et politique ne firent pas toujours bon ménage. Et que l’indépendance proclamée vis-à-vis de tel ou tel parti politique (et du PCF en particulier) fut beaucoup plus trouble qu’on ne l’a dit.
De l’engagement surréaliste, je retins donc, en un premier temps, les trois mots d’ordre bien connus que sont : 1° “Changer la vie” (tel que le préconisait Rimbaud) ; 2° “Transformer le monde” (sous l’impulsion de Marx) ; 3° “Refaire de toute pièce l’entendement humain” (arrimé à la psychanalyse freudienne). On comprend aisément, par-delà sa réalité historique, combien le surréalisme se marie à merveille aux couleurs chatoyantes et sombres de la jeunesse. La jeunesse prompte à remettre en question tout ce qui l’entoure et pue le conformisme, tout ce que le monde adulte tient pour juste et raisonnable. La jeunesse dont l’imaginaire respire encore à pleins poumons. La jeunesse qui cherche avec frénésie l’or du temps, qui place son désir au-dessus de tout, et entend, au moins théoriquement, briser toute espèce d’entrave à sa jouissance ; la jeunesse qui souffre pour le monde, et se rit de l’autorité, la jeunesse sur qui la raison n’a pas encore pleine autorité et qui, de toutes ses forces, travaille à libérer son esprit de tout ce dont on le gave depuis son premier biberon.
Si le surréalisme peut encore bouleverser plusieurs générations depuis et en dépit de sa dissolution, cela vient sans doute du fait qu’avant d’être engagement politique, la révolution surréaliste se trouve être une révolution intérieure, une insurrection de l’être contre tout ce qui le modèle et tend à briser sa singularité. L’écriture automatique, les rêves, la folie, le dédain à l’endroit du génie, le renversement de toutes les valeurs bourgeoises admises jusque là, sont autant d’outils, aux yeux des surréalistes, susceptibles d’endiguer cette guerre incessante menée contre l’être et contre nos singularités embryonnaires. La révolution intérieure si elle ne précède la révolution politique du moins va de pair avec elle. Il s’agit même d’aller plus loin et d’affirmer que la révolution poétique est, en soi, révolution politique. Entendu qu’il est impossible de séparer la politique de l’esprit qui la gouverne. C’est là l’un des apports majeurs du mouvement surréaliste, que d’avoir posé conjointement la nécessité de transformer le monde et de changer la vie. Que d’avoir posé la création et la refonte complète de l’entendement humain aux pieds des enjeux révolutionnaires.
Pour autant, du temps a coulé sous les ponts surréalistes, du temps depuis mes premières lectures de Breton, Soupault, Desnos, Crevel, Bataille, Artaud, et tant d’autres encore. Autant était-il, adolescent, nécessaire de passer par-là, autant est-il nécessaire adulte de comprendre ce qui les avait mené jusque-là, et moi-même par la même occasion.
En premier lieu, distinguer l’histoire du surréalisme des radiations qu’il a propagé au 20ème siècle jusque dans ma propre vie. Ce qui, en tant qu’histoire, appartient au passé et ce qui, en tant qu’expérience, perdure jusqu’aujourd’hui. Distinction qui, en elle-même, en dit long sur la distance prise à l’égard de l’esprit surréaliste dont se nourrit tellement ma jeunesse. Suivre à la loupe l’histoire des idées, n’est-ce pas, en effet, contrevenir au principe de l’unité insécable de l’Être même et de la Vie ? Comment parler du vivant de l’extérieur du vivant à moins d’admettre que la raison arrête le mouvement de la vie et n’observe jamais qu’un cadavre ? C’est sans doute ainsi que j’aurais raisonné jadis. Ma raison se suspectant sans cesse et se dévorant elle-même.
Analyser en second lieu, ce qui a permis l’émergence du mouvement surréaliste et qui en a déterminé et l’esprit, et la morale, et l’engagement politique. Cette avant-garde qui en appelle à la liberté absolue est-elle aussi libre qu’elle le prétend ? Est-elle parvenue à fondre dans un tout cohérent les vieux antagonismes tel que l’appelait de ses vœux André Breton ? La critique de la science et de la raison à la faveur de la réalité sensible a-t-elle conservé toute sa pertinence ? Les fins de l’art sont-elles solubles avec l’engagement politique ? L’étendard de la liberté libre n’occulte-t-il pas le fond nihiliste sur lequel s’est brodé le mouvement surréaliste ?
Bref, pour continuer à apprécier le surréalisme historique, il me faut le considérer tel qu’il fut, au détriment de l’image, parfois biaisée, que je m’en suis fait.
Bonjour,
J’ai tout simplement adoré votre article, le style d’écriture et comment vous arrivez à décrire le surréalisme !
J’aimerais savoir s’il est possible que j’incorpore cet article dans mon dossier que je dois faire sur le surréalisme ?
Tout en sachant que j’y glisserai les source.
Merci d’avance.