Qui ne sait qu’il n’y a pas plus dévot qu’un athée ?
Dès lors, entendons-nous : il y a, tout le monde le sait aussi, à présent, un seul commandement. Sans doute la critique biblique nous démontrera-t-elle bientôt que, véritablement tombé du ciel, en 3D, dans un éclat insoutenable de lumière, il a été sciemment occulté par les Juifs, ces ennemis de l’humanité. Oh, certainement pas le commandement d’amour, ridiculisé par la bourgeoisie catholique. Non, c’est un commandement beaucoup plus exigeant, beaucoup plus radical, en tous cas, pour donner aux mots les sens que leur donne M. Onfray : « Il faut être sympa. »
On le sait : M. Onfray, qui parle au peuple, qui éduque le peuple, qui le conduit sur les voies de l’intelligence, dans son Université Populaire de Philosophie, est un être profondément sympa. Par exemple, il est extrêmement sympa avec M. Jean Soler, quintessence de la tradition diplomatique française, croisant cette autre spécialité française, la philologie ; M. Soler qui, dans un ouvrage que M. Onfray recommande avec, il faut dire, cet enthousiasme qu’on voit aux vrais vendeurs de machines à laver, non pas ces êtres stéréotypés des grandes enseignes, mais ces petits commerçants qui savent tout, et en qui nous, gueules noires ou grises, nous plaçons toute notre confiance, s’en prend donc au monothéisme.
« Vous pouvez y aller les yeux fermés », dit M. Onfray aux lecteurs du Point ; « c’est de la bonne came, je vous le dis, moi, ce bouquin » ; oh, bonne came en effet, un livre qui, 3000 ans plus tard, vite, mais très bien, bref, sympa, nous explique que le Judaïsme, religion d’une extrême violence (on voit en effet depuis 2000 ans les centaines de millions de morts, pardon, les milliards de morts que les Juifs, ces ignobles pourritures, ont déversé sur le monde), encourage l’assassinat de tout ce qui n’est pas juif, n’est pas monothéiste, mais monolâtre, et que, finalement, le plus proche parent de Hitler est Moïse, tandis que les Nazis sont une variante somme toute assez imperceptible du peuple élu.
Fidèle à son habitude, qu’il applique en général à lui-même, M. Onfray nous explique que les gens ne sont pas sympas avec M. Soler, et que les universitaires, les journalistes sont très injustes avec ce monsieur très sympa. Il faut dire que notre grand professeur nous explique que les universitaires sont pas sympas, parce qu’ils ne sont pas des universitaires dans le bon sens du terme, tandis que M. Soler est, lui, ce paradigme de la vraie science et du vrai sérieux que M. Onfray, avec son immense talent, avec son génie du sympa, sait regarder et comprendre.
Mieux ; tellement sympa qu’il est en communication permanente avec Nietzsche dans l’Aroyaume des Acieux Athéologiques (A.A.A., à ne pas confondre avec l’authentique andouillette AAAAA), il nous apprend que Nietzsche trouve ce M. Soler très sympa ; le même Nietzsche qui écrivait : « Il faut faire fusiller tous les antisémites », ce que bien entendu MM Onfray et Soler ne sont pas, parce qu’ils sont surtout, absolument, sympas.
Sympa, le polythéisme ; sympas, les Grecs, tellement bobos, dans le fond ; tolérants, aimables ; qu’ils s’entretuassent sans jamais de fin, qu’ils vécussent comme une exception des moments de paix, et que leurs mythes fondateurs se fondassent justement de sacrifices humains, tout cela n’est que vétille ; alors que ces sales ordures de Juifs sont des assassins, des intolérants, des homophobes, des extrémistes jusqu’à aujourd’hui (bon, les extrémistes cathos et musulmans ne le sont pas non plus, mais on notera que M. Onfray s’est tout de même très nettement colleté les Juifs, tandis qu’il n’a pas dit un seul mot sur les musulmans, dans un papier qui annonce la guerre aux trois monothéismes ; il faut dire que le sympa a des raisons dont la rigueur et l’absence de démagogie sera louée dans tous les âges et dans tous les siècles – car le sympa est notre saint laïque d’aujourd’hui !
Allez, on ne dira rien sur le fond, répugnant ; le Talmud est beaucoup trop grand, beaucoup trop sublime, c’est-à-dire difficile, profond, complexe, insaisissable aux grosses paluches, non celles d’un ouvrier qui voudrait faire de vrais efforts, mais certainement pour un ouvrier bitumeux de la grasse pensée, comme M. Onfray. Nous tiendrons à distance le nom de l’un et le nom de l’autre.
On rajoutera ceci, pour tenir au moins à la place de ce Monsieur la scène des trois monothéismes, cette vaste fumisterie orchestrale des marchands de souvenirs du postmoderne ; ceci, donc : il y a des Juifs indignes, des Chrétiens indignes, des Musulmans indignes ; il y en a beaucoup – sans doute un nombre écrasant. Mais il y a des Juifs dignes, des Chrétiens dignes et des Musulmans dignes ; ceux-là, si on les réunissait pour de vrai sur la scène de la parole, ensemble, je parle des dignes, hein, pas des frétillants sémillants des dialogues œcuméniques qui fournissent leurs boules puantes aux gouailleurs de l’anticléricalisme : ils auront beau se foutre sur la gueule, il auront toujours infiniment plus à se dire, entre eux, je dis bien entre arabes et juifs, qu’entre les mains de nos amis de l’humanité, les Sympas. Maïmonide avait des choses à dire à Al-Farabi et à Averroès, et même aux théologiens du Kalam ; Jean de la Croix aurait eu des engueulades mémorables avec le Gaon de Vilna. Mais on parle là d’hommes qui ont vécu, au plus haut, jusque dans l’erreur, l’extrême danger et l’extrême lumière qu’il y a dans l’aventure d’être homme, dont témoigne, autrement, un Nietzsche, que M. Onfray, ne reculant devant aucune impudence, embarque dans sa galère. Dire que Nietzsche est athée comme M. Onfray prétend être athée, c’est user d’homonymes par trop désespérants.
On ne dira rien non plus sur la forme, indigente ; on sait qu’elle a consisté, chez M. Onfray, professeur raté de philosophie, à se faire du beurre (de la nauséabonde vulgarisation, justifiée par le vulgaire) et de l’argent du beurre (les régulières protestations contre l’ostracisme dont il est la victime, et dont témoigne la rediffusion moutonnière de ses âneries sur France Culture) ; on ne lui conseillera pas de se porter candidat à Hénin Beaumont où la question se poserait de savoir qui, de lui ou de son Grand Autre, parviendrait à cristalliser dans ce nom municipal toute l’infamie populiste possible.
On s’alarmera, en revanche, du symptôme qui en fait, de notre opening joke, pas une joke du tout ; le triomphe, plus encore, dans le pensée, que du populisme, du néant. Néant qui a désormais pignon sur rue, et qui s’appelle, en politique, la politique française ; en philosophie, Michel Onfray ; en sociologie, le bobo, relookage ultime, non du bourgeois, mais du beauf ; et, en morale, de ce monstre bientôt criminel, soyons-en sûrs, qui dresse depuis la fange où il s’est métamorphosé, sa face terrifiante : le sympa.
Pour finir, un lapsus calami, qui vaut tout de même le coup : « Son œuvre gêne les Juifs, les catholiques, les musulmans. Ajoutons, les universitaires, les journalistes, sinon les néonazis ».
Très joli, M. Onfray. Il faudrait éviter les doubles sens encore quelques temps, M. Onfray. En tous cas, vous avez très bien dit qui cette œuvre ne gêne pas – car ce n’est que ça, un Nazi, M. Onfray ; pas Moïse, non ; le Nazi, c’est le pauvre type. Le Nazi est sympa.
L’article de Michel Onfray sur le site du Point.
Monsieur Bacqué, c’est en recherchant une image de notre ami pour mon blog, que je tombe sur votre article, que j’ai eu grand’joie à lire. Merci.
– http://jeremycigogneau.blogspot.fr/
[…] Bacqué, “Michel Onfray est sympa”, La Règle du jeu, 20 juin […]