» Tu détournes la tête : le nouvel amour ! Tu retournes la tête : le nouvel amour ! »
NINO de Thomas Bardinet semble vouloir reprendre à son compte cette Illumination de Rimbaud. L’adolescence y est abordée sans nul contre-champ sur le monde des adultes, et l’on est immergé de façon fort naïve au cœur d’une fable qui exclut la » réalité rugueuse » du monde.
Nino a seize ans et passe les vacances d’été au bord de la mer, en compagnie de son amie d’enfance, Nathalie, qui entend faire de l’adolescent son futur époux. Apparaît Natacha, de trois ans leur aînée. Nino tombe amoureux de la belle jeune fille, qui ne cesse d’aguicher le jeune homme, partagé entre deux amours, deux reflets d’une même passion, éternelle, nous est-il signifié, comme l’est le monde lui-même.
Dès le début du film, les points de vue des personnages sont centrés seuls sur Nino. Il parle, Nathalie le regarde. Il se tait, et la jeune fille lui redonne vie avec un sourire. Il en quitte une. Et c’est l’autre qui prend le relais. La troupe qui joue la commedia dell’arte donne le ton du film. La vie ne serait qu’un jeu. Et les masques des acteurs serviront à distancer les événements pour mieux les intégrer et les soumettre au souffle léger de la comédie qu’est ici l’existence.
Le film est un perpétuel champ contre-champ, une suite de questions-réponses, sans arrière-fond ouvert sur la vie du dehors.
Tout se résume à ce dialogue amoureux entre Nino et ses deux amies. Les plans se répondent, comme se répondent les acteurs de la commedia dell’arte, déniant toute réalité au monde environnant. Le décor est minimal, la nature omniprésente, sans constructions humaines. La dialectique du » Je t’aime, moi non plus » au principe du film, chaque plan interroge le suivant, qui lui renvoie la question.
L’adolescence est présentée comme le temps d’une attente, celle d’un retour : nos sentiments, dont on espère qu’ils sont réciproques ; l’écho au cri des passions. Il n’y a pas de scène de sexe, seule l’attente de la première fois du jeune garçon est rendue brûlante. Dans ce film presque érotique, la découverte du corps de l’autre se fait à travers cette question : » Vais-je me reconnaître dans ce dont je fais la connaissance? »
Et les deux jeunes filles sont les deux versants d’une même attirance. Nathalie représente l’enfance au seuil de la sexualité, Natacha la fuite du premier désir. Elle s’en va à la fin de l’histoire, et le héros, on nous le fait dûment savoir, ne la reverra jamais.
Le parti pris de raconter une adolescence imaginaire de Nino Ferrer donne au film l’illusion d’une profondeur existentielle, que le film, hélas pour ses spectateurs, n’a pas. En suggérant que le Nino du film est bel et bien le futur chanteur écrivant ses premiers poèmes, le réalisateur entend renforcer le mythe rimbaldien de l’adolescence, il l’ouvre sur la création, ici fruit magique de l’éternelle jeunesse. On ne saurait trop déplorer que ce biopic à peine imaginaire soit pareillement naïf, non moins que le monde réel y soit à ce point absent.
Il manque à l’adolescence ses révoltes et sa violence, Ô combien rimbaldiennes. Sur ce chapitre, Nino est encore et demeure un enfant. Ce refus de vieillir peut sembler une ode à notre temps, nous rappelant que tout est encore possible. Mais comment accorder crédit à un film aussi inactuel ?
Il eût fallu, pour égaler en puissance l’illumination de Rimbaud adolescent, que le réalisateur parte soudain en Abyssinie, chausse, qui sait ?, des semelles de vent, s’exilant pour longtemps des salles de cinéma de notre si vieille Europe, où la complaisance du réalisateur pour sa propre personne est si souvent, si souvent de mise.
Et ici, comme rarement.
On dirait le Sud…