Si il est une figure qui rassemble les candidats durant cette campagne présidentielle, c’est bien celle du général de Gaulle.
Avant de tenter d’en comprendre les raisons, prenons toute la mesure du phénomène en parcourant les déclarations des prétendants à Élysée :
La figure du général est présente chez Sarkozy qui a régulièrement fait référence au Général de Gaulle depuis le début de la campagne. Mais le Président ne se dit pas seulement gaulliste, il se raconte aussi gaullien dans le style : il est particulièrement remarquable que Sarkozy ait conclu son premier meeting à Villepinte du même « Aidez-moi » qu’avait employé le général de Gaulle au lendemain du putsch des généraux à Alger en avril 61. Et les plus attentifs auront noté les ressemblances frappantes entre les premières lignes des Mémoires du Général de Gaulle et l’exorde du discours de Sarkozy à Villepinte.
De Gaulle est aussi présent chez Bayrou qui n’hésite pas, lorsqu’on lui reproche la faiblesse de ses troupes, à rétorquer : « De Gaulle lui-même avait vu tout ses députés passer du côté du pouvoir. Pourtant, c’est lui qui voyait juste. » ; Surtout Bayrou se présente comme le plus fidèle exégète et héritier du Général et l’a paraphrasé tout le long de son discours au Zénith de Paris le 25 mars 2012 : « Mes engagements, ils sont précis. Ils sont volontaires. Ils sont solides. Ils répondent précisément à la définition du Général de Gaulle : Ce sont des choix clairs. Ce sont des choix cohérents. Ce sont des choix qui obéissent à l’intérêt national, et non à la dernière pression subie, à la dernière mode qui court dans les journaux. Ce n’est pas du sable entre les doigts. »
Durant les semaines de sa campagne, Villepin s’est présenté comme un gaulliste indépendant arguant lui aussi de sa solitude comme d’une force : « On me dit que je suis seul. Mais de Gaulle, seul à Londres avec quelques paumés, a fait le rassemblement ».
Et que dire de Dupont-Aignan qui se définit régulièrement comme « gaulliste social » ?
La référence est donc présente dans des proportions plus importantes que par le passé chez les candidats de la droite républicaine. Mais cela ne s’arrête pas là. De Gaulle inspire aussi Marine le Pen, participant ainsi de la stratégie de dédiabolisation : le 1er mai dernier n’a-t-elle pas déclaré « s’inscrire dans les combats des grands destins républicains, de Victor Schœlcher à Charles de Gaulle » prenant le contre-pied de son père qui déclarait dans la même période « De Gaulle était raciste » ? Et la référence semble bien installée chez celle qui, encore dernièrement, l’invoquait pour légitimer une proposition : « Comme de Gaulle avait eu en son temps une vision stratégique pour le nucléaire, j’ai moi-même une vision stratégique pour la mer ».
La figure du général fait donc office de statut du commandeur. Et la gauche n’est pas plus épargnée :
Hollande, dans son livre Changer de destin, paru il y a quelques jours, écrit : « J’ai regardé, avec respect, malgré ma méfiance, le général de Gaulle. Il était l’homme qui avait relevé la France tombée au fond de l’abîme, le président qui rêvait d’une nation réconciliée autour de la fierté, de l’audace et de l’indépendance, l’homme d’Etat qui confondait sa personne et le destin national. »
Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a surpris bon nombre d’observateurs en empruntant la gestuelle et les intonations du Général lors de son discours à la Bastille le 18 mars 2012.
Même les petits candidats s’y sont mis : l’improbable candidat Cheminade se qualifie de « Gaulliste de gauche» ; Nicolas Miguet, un temps candidat, se déclarait « tout aussi prêt à prendre le pouvoir que le général de Gaulle l’était en 1957, à Colombey-les-Deux-Eglises » et Patrick Lozès voulait « s’inscrire dans la lignée de Gambetta ou de de Gaulle, de ces grands hommes qui ont appelé la France à se rassembler pour lutter contre le déclin et la fatalité. ».
Gaullien dans l’éthos ou gaulliste dans les convictions ; à l’exception de l’extrême-gauche, la figure du fondateur de la Vème République est revendiquée par tous les candidats.
On remarquera d’ailleurs qu’un consensus aussi large autour d’une même figure est inédite pour une campagne présidentielle.
Peu importe la réalité historique du parcours du Général, la légende est désormais bien installée. Et au regard des différentes déclarations recensées, on peut comprendre ce que dit l’invocation du Général de Gaulle dans cette campagne.
De Gaulle dit la dignité nationale retrouvée dans une période ou le déclassement inquiète.
Il dit la vision stratégique, dans une période où la France se sent en guerre économique.
Il dit une certaine idée de la fonction présidentielle, loin de la normalité mais tout autant des extravagances.
Pour les candidats les plus isolés, il dit aussi la tenacité : mieux vaut avoir raison et être seul, plutôt que d’avoir tort avec la majorité.
L’élection présidentielle a son totem, c’est le Général de Gaulle. Pour les candidats, De Gaulle s’impose tout à la fois comme le passeur et le visionnaire. En somme, tout ce que chacun d’entre eux aspire à être pour les 5 prochaines années.