Terraferma s’inscrit dans la continuité du genre du film social italien.
Le récit s’ouvre sur une description de la vie d’une famille de pêcheurs siciliens, qui délaissent peu à peu leur métier pour l’accueil des touristes. Lors d’une sortie en mer, ils repêchent des immigrants clandestins et les sauvent de la noyade. Les autorités italiennes font savoir aux pêcheurs que la loi interdit de leur prêter main-forte. Pressentant l’arrivée d’autres groupes d’immigrants, les pêcheurs vont être confrontés à la loi italienne face à la loi des hommes de mer, qui impose de porter secours aux bateaux en danger.
La famille de pêcheurs décide d’enfreindre les règles afin d’éviter aux immigrants le sort que leurs prédécesseurs connaissent déjà, par milliers, sur l’île de Lampedusa. Terraferma se situe entre Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, dont il emprunte parfois l’esthétique néo-réaliste, et Dirty pretty things de Stephen Frears, qui, contrairement au film d’Emanuele Crialese, épousait le point de vue des immigrés.
Ainsi que le soulignait André Bazin à propos du film de De Sica, « la thèse s’éclipse derrière une réalité sociale parfaitement objective. » Les événements apparaissent dans Le Voleur de bicyclette comme une succession d’accidents, et le principe réaliste régit le film de part en part, lui donnant l’apparence de la vie-même. Pareillement, la première partie de Terraferma peint l’existence simple des pêcheurs, ponctuée de petits incidents sans conséquences, l’agression du jeune garçon à qui l’on tente de voler la moto, la venue de trois touristes qui occupent la maison familiale. Mais cette logique n’est pas poussée à son paroxysme. L’irruption des immigrants clandestins interrompt cette suite en désordre d’événements, lestant d’emblée l’histoire d’une portée dramatique. On ne saisissait pas bien jusque-là quelle direction prenait le film, et l’on se trouve plongé soudain au cœur d’une histoire intense, alors que le film est déjà largement avancé. La première partie semble inutile, tant elle retardait le moment d’entrer dans le vif du sujet. La suite, en revanche, prend la forme d’un drame psychologique où s’expriment les tensions d’une famille qui entreprend de venir en aide aux clandestins.
L’île apparaît comme la première porte de l’Afrique sur l’Europe, elle est le lieu inaugural où se pose le problème de l’immigration. Le constat du film est simple : d’un côté les pêcheurs, au cas par cas, acceptent d’aider les étrangers, et de l’autre, les autorités les renvoient ou les laissent mourir. Une scène illustre remarquablement cette ambiguïté : des hommes, presque morts, échouent au ralenti sur une plage où se baignent des touristes qui leur apportent les premiers secours avec humanité, témoignant d’une sollicitude inattendue.
Le cinéma est un art du temps qui impose aux événements de se succéder. Une réplique donne suite à une autre. La littérature n’a pas cette contrainte : elle peut aisément prétendre imiter la vie, sans user d’une dramaturgie forte, comme au théâtre. Le néo-réalisme italien avait, de même ou presque, gagné ce pari de faire des films où la vie triomphe, avec des incidents unis par le hasard. Le film de Crialese emprunte au néo-réalisme son esthétique et son éthique : la réalité, à elle seule, sert de justification au film, incluant que tout d’elle n’y soit pas nécessaire à l’intrigue et que maints épisodes restent anodins.
Terraferma présente un aspect original du sujet. Les immigrés, contrairement à Dirty pretty things, sont déshumanisés. Il revient aux autochtones de faire preuve d’humanité. Telle est la « demande » du film. Un aspect de cette terrible question qu’est l’humanité, que l’on rêverait tant présente dans la réalité du monde.