Les grandes œuvres littéraires sont souvent inadaptables au cinéma, pour la simple raison qu’elles n’ont de compte à rendre qu’à la littérature. Extrêmement fort et incroyablement près est de celles-ci, un roman où l’histoire est mise au second plan, derrière une poétique de la présence qui met au premier plan le livre comme objet, pour se rapprocher ainsi du lecteur.
Jonathan Safran Foer illumine les mots, utilise plusieurs genres littéraires : l’épistolaire, le jeu sur la typographie, en insérant des pages blanches et des images. Or le film de Stephen Daldry retient principalement la trame narrative du livre, et se borne à nous conter l’histoire de ce jeune garçon qui, un an après avoir perdu son père dans le World Trade Center, recherche la serrure qu’une clef trouvée dans les affaires de son père permet d’ouvrir. L’histoire n’est pas sans intérêt, ce n’est pas la recherche de l’être défunt, mais au contraire celle du deuil. Ce renversement est l’occasion d’une quête de l’impossible, où se révèlent les liens forts qui unissent les membres de la famille. Pourtant, le film peut sembler un brin anecdotique, et la référence aux attentats du 11 Septembre est une justification peut-être abusive.
Dans le roman, tout faisait sens, la proximité des mots reflétait celle de l’être aimé, et cette recherche transcendantale d’une essence divine au langage permettait de tisser un lien entre la petite histoire d’un enfant et l’Histoire mondiale. Dans le film manque cet intermédiaire, qui faisait le génie de Safran Foer, cette dimension mystique qui donnait au roman le droit de se mettre à la hauteur d’un tel drame historique. Il manque donc cette poétique de la présence et de l’évidence du langage devant la réalité du monde.
Il semblerait que le film ait besoin du roman pour tenir debout, mais les lecteurs d’Extrêmement fort incroyablement près seront probablement déçus en voyant le film. La polyphonie du roman est remplacée au cinéma par une voix off, la découverte du Locataire, qui donnait une profondeur à l’intrigue, dans l’adaptation semble désuète et, d’une manière générale, tout ce qui était du ressort d’un certain rapport à l’écrit dans le livre se trouve réduit à néant.
Il était bien sûr impossible de retranscrire le roman dans toute sa complexité, son éclatement, au cinéma. Toutefois, il eût été bien venu que Stephen Daldry trouve une correspondance cinématographique à la poétique du livre. Qu’il cherche, par l’image, à rendre cette présence, à donner un relief à l’histoire qu’il raconte, lui trouvant ainsi une justification. Ce film, néanmoins, a pour lui d’être remarquablement interprété, Thomas Horn séduit par sa grâce et guide le spectateur dans cette histoire où il ne manque, finalement, que l’extrêmement fort, et l’incroyablement près.