J’ai découvert GiedRé quasi par hasard, voilà une petite année, au Ba-ta-clan. Je l’ai depuis vue quatre fois en scène, jusqu’à son premier grand récital en solo, le 7 décembre dernier, au Café de la Danse ; inutile de dire que je suis toujours aussi conquis.
Moi qui n’écoute que de l’opéra, je jette (à tort, peut-être…) l’ensemble de la chanson française dans une grande cuve, où s’engluent pauvreté musicale, inspiration consensuelle, esthétique molle et ringardise patentée. Et voilà que nous arrive – sainte épiphanie ! – cette douce asperge balte aux allures de schtroumpfette, qui brandit sa lucidité avec autant d’aisance que sa guitare.
Affectant des tenues au kitsch intelligemment stylisé et au savant mauvais goût, cette lituanienne de 26 ans offre une machette de fraîcheur et un hachoir d’intelligence dans le paysage musical français. Quand la chanson hexagonale se complaît dans la tranche de vie blafarde, GiedRé aborde les vrais sujets (la mort, la souffrance, la solitude, la maladie, l’abandon, le deuil…) avec une délicatesse rigolarde, une potacherie de dentellière et un refus de tout compromis. Florilège de titres : « Les moches », « La mort nous attend », « Tu baves quand tu dors », « Ode à la contraception », « L’amour à l’envers », «On fait tous caca »… Mais ne vous y trompez pas : ici, rien de vulgaire, rien de trivial, rien de complaisant. Dans ses textes, GiedRé appelle un chat un chat et ne nous épargne rien… surtout le pire ! Chaque antienne est comme une petite nouvelle, une comptine, quelque fable incisive, que la chanteuse nous glisse depuis son œil de biche chirurgicale, jouant de sa vraie-fausse candeur avec une soufflante virtuosité.
A mille lieues de la chanson bêtement engagée (qu’elle brocarde à loisir et raison), GiedRé ne s’embarrasse pas de concepts ; elle ne s’intéresse pas aux idées mais aux gens, aux êtres, dans toute leur désolante banalité/complexité.
« Comprendre et ne jamais juger » proclamait Simenon : à sa façon – mutine et funambule, charmeuse et percutante – GiedRé ne dit pas autre chose. Sa comédie humaine est un monde d’éclopés et de salauds, de « porcs et d’humiliés» dirait Parisis, où chacun oscille entre le calvaire et l’extase, englué dans le réel le plus poisseux et le plus simple. Elle ne délivre aucun message; inutile : elle montre, tout, jusqu’à l’hilarant, jusqu’à l’atroce.
Avant-guerre, elle eut été à la croisée de Georgius et Damia, (la cuisante folie du premier, la noirceur hautaine de la seconde). Mais la chanson réaliste a fait son temps…
Disons qu’en 2011, GiedRé est le fruit d’une époque qui a digéré Brassens et Houellebecq tout en se rappelant qu’elle a connu Casimir. Elle incarne ce que l’adolescence revendiquée et la « génération gloubi-boulga » peuvent donner de plus juste, de plus dur et de plus drôle.
Car elle est drôle, GiedRé : à se déboiter la mâchoire ! Un sens comique implacable, ouvragé par sa formation de comédienne. Tout son tour de chant (nous ne sommes pas au concert, pas non plus au théâtre, mais quelque part entre le music-hall et le stand-up) est un authentique spectacle, verrouillé comme un château de cartes. Une sorte de boîte à bijou dont chaque joyau serait épicé de sang frais, saupoudré de malaise et relevé d’un zeste de sadisme.
En quelques mois, celle qui n’est pas chanteuse depuis plus de deux ans a fait des progrès remarquables : la voix est plus sûre, les textes plus charpentés, les mélodies plus travaillées.
Nul doute que son évolution va se poursuivre : c’est arithmétique. Pas de risque non plus qu’elle soit rattrapée par le maelström abject de quelque Taratata de pacotille. La variété ne guette pas GiedRé, qui avance en franc-tireur, et c’est de là qu’elle puise ce qui constitue son essence même : la grâce.
Son site www.giedre.fr est globalement bidonnant (il faut livre sa bio) et l’on voit son indéniable sens du texte.
Quelques chansons :