Le régime alimentaire proposé à Adam dans le jardin de l’Éden est végétalien.

Dieu lui ordonne de se nourrir de végétaux seulement, comme il l’ordonne aux animaux.

Dieu dit : « Voici je vous donne toute herbe qui porte sa semence sur toute la surface de la terre et tout arbre qui porte sa semence : ce sera là votre nourriture. À toute bête de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui remue sur la terre et qui a souffle de vie, je donne pour toute nourriture toute herbe mûrissante. (Genèse 1, 29-30)

Mais après le Déluge, Dieu ordonne à Noé, père de l’humanité, le régime carné :

Tout ce qui remue et qui vit vous servira de nourriture, comme déjà l’herbe mûrissante, je vous donne tout. Toutefois vous ne mangerez pas la chair avec sa vie, c’est-à-dire son sang. Et de même, votre sang qui est votre propre vie, j’en demanderai compte. (Genèse, 9, 3-5)

L’autorisation est ainsi donnée aux hommes après la catastrophe du Déluge de consommer de la viande. Dieu y ajoute une restriction : l’interdiction de consommer du sang car « le sang c’est la vie ». L’homme n’a pas le droit de constituer son identité et de nourrir son corps en assimilant ce qui fait l’identité de l’autre. La chair animale doit donc être débarrassée de son sang pour être consommée. Le récit biblique relie cet interdit à l’interdit du meurtre : Dieu demande compte à l’assassin qui verse le sang de l’homme. En effet, l’abattage des animaux pourrait rendre aisé le meurtre de l’homme. Entre tuer un animal et tuer un homme il n’y a pas grande distance, et celle-ci peut rapidement être franchie comme on le voit couramment au cours des guerres et dans les cités.

Moïse ajoutera d’autres lois pour régir la consommation de la viande, destinées à prévenir la violence qui pourrait naître du régime carné. À l’intérieur de ces limites, la tradition juive ne conçoit pas de fêtes ni de joies sans plats confectionnés avec de la viande. Tous les repas décrits dans la Bible sont toujours accompagnés de sacrifices d’animaux. C’est autour d’une table bien garnie que sont scellées les alliances divines et humaines. Toutes les fêtes religieuses sont, chacune, caractérisées par un sacrifice animal qui la distingue des autres. Tout le monde parle de l’agneau pascal que les Hébreux consommaient pour fêter leur sortie d’Égypte où ils étaient réduits en esclavage. Ils entendaient par ce repas louer et glorifier Dieu qui les avait libérés.

Deux remarques importantes sont à rappeler à propos du régime carné qui ajoute sa violence propre à celle de l’acte alimentaire. En effet, manger c’est assimiler, c’est-à-dire réduire et absorber l’identité de l’autre, afin de préserver l’identité du consommateur. Un légume, un fruit, une boisson, une fois absorbés, perdent leur nature et disparaissent dans le sang et la chair de celui qui les a consommés. Il est très dangereux de transférer ce modèle de la relation à la communication entre deux êtres humains. Autrui n’est pas là pour être réduit et assimilé jusqu’à perdre son identité, c’est pourquoi le judaïsme multiplie les rituels de la table en rappelant aux convives que la relation aux produits de la nature consommés est différente de la relation entre des sujets.

Seconde violence, celle de l’abattage des animaux afin de se nourrir de leur chair. Dans ce domaine également, le judaïsme impose des lois pour limiter cette violence. Ainsi, il est prohibé de laisser un animal affamé, blessé, malade, gêné dans ses postures et attitudes, dans sa marche, dans son repos et dans le travail auquel on l’emploie. La Bible va jusqu’à interdire à l’homme de faire travailler son animal le septième jour alors que lui-même est soumis au repos hebdomadaire. On a plusieurs fois montré que l’abattage rituel juif est celui qui est totalement dépourvu de souffrances pour l’animal parce qu’il permet d’évacuer son sang de manière instantanée. On le voit : il s’agit toujours de rendre l’homme vigilant sur cet acte fondamental de sa vie : le fait de se nourrir. Cet acte est nécessaire mais il doit être régi par le devoir de lutter contre toute forme de violence à l’égard de l’animal et de l’homme. La jouissance n’est pas interdite, c’est la place qu’on lui laisse et la signification qu’on lui donne qui sont au centre des préoccupations juives.