Lettre au Président de la République de Serbie

M. Boris Tadic, président de la république

La Présidence de la république de Serbie

Andricev Venac 2

11 000 Belgrade – Serbie

Paris le 3/08/2011

Monsieur le Président,

Je m’adresse à vous, non parce que vous êtes le président de la Serbie, mais parce que je veux encore croire que vous êtes un homme honnête.

Visite officielle à Sarajevo. La conférence de presse.

Le Général Jovo Divjak
Le Général Jovo Divjak

Au cours de la conférence de presse que vous avez donnée lors de votre récente visite officielle à Sarajevo, un journaliste vous a demandé ce que vous pensiez de l’arrestation du Général Divjak. Vous avez répondu n’avoir aucune bienveillance, aucune compassion envers les personnes accusées de crimes de guerre et que seuls les tribunaux sont compétents pour décider, comme ce fut le cas pour Mladic et Karadzic.

Ne pensez-vous pas, Monsieur le Président, qu’il eut été préférable de vous abstenir d’un propos aussi malheureux ? Propos qui a consterné et exaspéré les habitants de Sarajevo, et ce pour une raison : vous n’avez pas dissocié Jovo Divjak de Ratko Mladic. Pour eux, vous avez mis les bourreaux et les victimes dans le même panier. Je ne pense pas que vous vouliez dire cela. Je vous accorde le bénéfice du doute.

Tout de même, je voudrais vous dire quelques mots sur ces deux généraux.

Deux Serbes. Deux généraux. Deux protagonistes de la bataille de Sarajevo

Dès le début de la guerre en Bosnie et le siège de Sarajevo, ces deux hommes se retrouvent dans deux camps opposés. Le Général Mladic, le chef de l’armée des Serbes de Bosnie déverse un déluge d’obus sur la ville, bombarde et incendie les écoles, les hôpitaux, la bibliothèque… avec ce mot d’ordre : « Bombardez à intervalles réguliers pour qu’ils ne puissent jamais trouver le sommeil, qu’on leur anéantisse le cerveau. N’arrêtez pas, tant que moi, je ne l’ordonne pas. »

Il ne l’a jamais fait.

Le Général Jovan Divjak, dès le début de la guerre, quitte l’Armée Populaire Yougoslave (JNA) parce qu’elle a quitté le peuple et a trahi le serment de la « Fraternité et L’unité. » Il reste dans Sarajevo pour la défendre et accomplir son devoir d’homme et de soldat.

Il commande la défense de Sarajevo.

Par le feu et le sang, le Général Mladic veut anéantir toute présence de civilisation musulmane en Bosnie et détruire Sarajevo, la capitale multi-ethnique, l’obstacle à son obsession d’une république serbe en Bosnie, ethniquement propre. Il ne cesse de répéter : Cette « terre sera serbe » ! « Partout où il y a une tombe serbe, la terre est serbe » !

L’autre général, Jovan Divjak – « le guerrier qui n’aimait pas la guerre » – n’abandonne pas son idéal d’une Bosnie multi-ethnique, la Bosnie de « Fraternité et d’Unité ». Dans Sarajevo sous les bombes, il crée l’association qui a pour but d’aider les enfants dont les familles ont été victimes de la guerre, victimes de l’autre général serbe, Ratko Mladic.

L’ironie du sort. Un général, serbe, pilonne et incendie la capitale bosniaque. Il veut la rayer de la surface de la terre, pour bâtir une nouvelle Sarajevo. Une Sarajevo Serbe.

L’autre général, serbe lui aussi, défend sa ville. Il veut la sauvegarder telle qu’elle est. Cette Sarajevo qui représentait pour l’Orient le début de l’Occident et pour l’Occident la porte de l’Orient. Sarajevo, la capitale d’une Bosnie, réunion de tous ses peuples.

Monsieur le Président, le Général Mladic est le maître d’œuvre de la plus terrible purification ethnique, de la déportation, de la torture, du viol et de l’exécution de dizaines de milliers de personnes en Europe depuis la 2ème guerre mondiale. Il a planifié et commandé l’exécution de plus de 8 000 musulmans bosniaques de Srebrnica.

Il n’est pas uniquement responsable de la mort de plus de 8 000 Musulmans de Srebrnica en Juillet 1995, il est responsable de la mort de chaque homme, chaque femme, chaque vieillard et chaque enfant en Bosnie et Herzégovine du 12 mai 1992 jusqu’à la fin de la guerre.

L’exécution des hommes à Srebrnica et de partout ailleurs en Bosnie et Herzégovine n’a pas été motivée seulement par leur appartenance à un autre peuple, une autre religion, mais aussi et surtout par l’idée de ce que ces gens auraient pu devenir.

La partie vitale du potentiel de tout un peuple a été décimée.

Ils auraient pu devenir des soldats, des avocats, des médecins… Ils auraient pu et devaient devenir des pères de famille…

Les Tribunaux Compétents

Pendant cette même conférence de presse lors de votre visite officielle à Sarajevo, vous avez dit : « Si les tribunaux compétents libèrent les accusés de crime de guerre de toutes accusations, je serai le premier à m’excuser. »

Il y a quelques jours le tribunal de Vienne a rendu son verdict : Le Général Jovan Divjak est innocent et il peut rentrer immédiatement chez lui à Sarajevo.

Alors, ces excuses ?

Est-ce que pour vous, Monsieur le Président, les tribunaux de Londres (le cas de Ejup Ganic, accusée pour le même crime que Jovo Divjak) de La Haye et de Vienne, font partie des tribunaux compétents ou seulement ceux de Serbie ?

Les traitres, les menteurs, les falsificateurs

Récemment le réalisateur Goran Paskaljevic a dévoilé sa vérité « incontestable » : Le Général Divjak est le traitre du peuple Serbe.

Je vous cite quelques phrases du livre « Le Lys et la Cendre » de Bernard-Henri Lévy, sur le Général Divjak et ses soldats dans la tranchée de Grdonja pendant la siège de Sarajevo :

« Qui audelà même de leffet de surprise, indépendamment du premier moment de stupeur à le voir lui, le général, débarquer ainsi, à limproviste, en ce lieu que lon aurait pu croire oublié des dieux, des hommes et des généraux, semblent lui vouer une adoration quasi filiale ». Les soldats des différentes religions dans la tranchée. Ces hommes sont tous des enfants de Sarajevo et au nombre desquels, soit dit en passant, je compte onze Musulmans, cinq Serbes, deux Croates et deux Yougoslaves, soit à peu près les proportions des diverses composantes de la résistance sarajévienne. »

Que va-t-on faire, Monsieur le Président, avec ces cinq Serbes ? Ils était beaucoup plus. Ils étaient cinq cent cinq, ils étaient cinq mille cinq, ils étaient cinquante mille cinq… Tous des traîtres.

Que des traîtres parmi nous, Monsieur le Président ! A propos, je suis Serbe aussi.

Monsieur le Président, vous êtes le président d’un peuple de traîtres !

En manque de criminels de guerre et de l’imagination pour de nouvelles falsifications, votre dément procureur a demandé l’extradition d’une certaine Nada Sakic, accusée de crimes de guerre contre les Serbes dans le camp de concentration de Jasenovac en Croatie, pendant le 2ème guerre mondiale. Malheureusement cette femme est morte depuis pas mal de temps et enterrée au cimetière de Zagreb. Mais votre procureur n’a pas l’intention d’abandonner. Il a promis de vérifier, car il est facile de falsifier un faire-part… Paraît-il qu’il va demander l’exhumation. On n’abuse pas le roi des falsificateurs !…

Monsieur le Président votre procureur vous ment, votre ministre de la justice vous ment, votre ministre de l’intérieur vous ment, votre ministre des affaires étrangers vous ment, vos artistes, vos intellectuels, vos conseillers vous mentent aussi…

Vous êtes, Monsieur le Président, le président d’un peuple de menteurs !

Le café avec des amis dans BasCarsija* et LONG « Léducation construit la BosnieHerzégovine ».

J’ai lu aussi que, pendant votre séjour à Sarajevo, vous avez pris le café dans Bas-Carsija avec vos amis, le célèbre entraineur de football Osim, le chansonnier Merlin et les autres.

Je doute, Monsieur le Président, que vous auriez l’occasion de prendre le café avec vos amis, si le Général Divjak n’avait pas trahi les Serbes et sauvé Sarajevo de la destruction et de l’anéantissement planifiés par le Général Mladic.

Je ne sais pas si vous savez que le Général Divjak a fondé dans Sarajevo, sous les bombes en 1993, L’ONG « L’éducation construit la Bosnie et Herzégovine » qui a pour but d’aider les enfants dont les familles ont été victimes de la guerre, de s’occuper des enfants et des adolescents avec des problèmes psychiques dûs à la guerre, mais aussi de développer l’éducation dans toute la Bosnie-Herzégovine …

Je veux croire, Monsieur le Président, que si vous aviez su cela, vous auriez sacrifié un moment avec vos amis, pour vous rendre à « l’Education construit la Bosnie et Herzégovine ».

Malheureusement vous n’auriez pas pu y voir le Général Divjak (Oncle Jovo pour les enfants) ; vous auriez vu une trentaine d’enfants, des filles et des garçons, seuls et tristes sans leur Oncle Jovo.

Vous étiez aussi, il y a des années, un enfant de Sarajevo – où vous êtes né. Qu’auriez-vous répondu à vos anciens concitoyens, s’ils vous avaient demandé : où est Oncle Jovo ?

J’accuse le procureur Serbe, j’accuse le ministre Serbe de la justice, j’accuse le ministre Serbe des affaires étrangères, j’accuse le ministre Serbe de l’intérieur, j’accuse tous les artistes et tous les intellectuels, qui pensent comme eux, d’avoir volé cent cinquante jours dans la vie de Jovo Divjak. Je les accuse d’avoir commis le crime contre tous les enfants d’Oncle Jovo en les privant de sa présence et son amour pendant cent cinquante jours. Mais aussi je les accuse pour les séquestrations arbitraires de personnes innocentes, pour les mensonges, pour les falsifications et pour la stupidité aggravée.

Vous, Monsieur le président, je vous accuse pour non assistance aux enfants en détresse.

Zoran Tasic
Cinéaste et producteur serbe

A lire également du même auteur à propos de l’arrestation du général Divjak le 3 mars 2011 : Falsification de l’Histoire


*Bas-Carsija : La partie de la ville de l’époque ottomane.