Tandis que les manifestants libyens gagnent ville sur ville et sont désormais aux portes de la capitale Tripoli, le colonel libyen s’est livré cet après-midi à un nouvel exercice surréaliste, témoignant ainsi de sa déjà notoire folie.

Mais le contexte a changé. Depuis lundi et sa précédente intervention, la population libyenne a été victime d’un véritable massacre. Tandis que les plus optimistes parlent de 640 morts, certains médecins français rapatriés en urgence, ou le ministre italien des affaires étrangères, évoquent des milliers de victimes. Diplomatiquement parlant non plus, la donne n’est plus la même. Et c’est l’ensemble de la communauté internationale, qui œuvrait pourtant depuis des années à réhabiliter « l’ex-dictateur » libyen, qui lui tourne désormais le dos. Dernier en date (et en retard), le président américain Obama, qui juge « scandaleuses » et « inacceptables » les effusions de sang. En France aussi, le discours a changé. Tournant définitivement la page du tapis rouge dressé au dictateur libyen à l’Élysée en décembre 2007, le ministre français de la défense a estimé que les violences perpétrées par le pouvoir en Libye « pourraient constituer des crimes contre l’humanité » et que la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) devait être envisagée. Mais Alain Juppé s’est surtout illustré en étant l’un des premiers à exprimer son souhait que Mouammar Kadhafi « vive ses derniers moments de chef d’État en Libye ».

Ainsi, ce n’est plus en leader mégalomane, délirant et sanguinaire que le colonel s’est adressé cet après-midi à son peuple en direct de la télévision d’État, mais en dictateur déchu, empli de désespoir, beuglant derrière une modeste ligne de téléphone la fin d’un règne. Après avoir abattu la carte du massacre, le dictateur joue son ultime va-tout, celui de la conciliation, mais il est déjà trop tard. Qui plus est, à défaut de respecter son peuple et de tenter une dernière médiation inutile, Kadhafi tente à nouveau de le tromper, grossièrement, par l’absurde. Les derniers gémissements d’un animal aux abois.
Après avoir répété que le pouvoir se trouvait entre les mains du peuple, contredisant ses propos de lundi, où il affirmait, – à la troisième personne s’il vous plaît –, que « Mouammar Kadhafi n’était ni un président ni un être normal contre qui on puisse manifester », il fait une annonce qui va vite devenir culte : « ceux qui manifestent n’ont pas de réclamations et veulent faire entrer Ben Laden dans la ville d’Az-Zaouiyah », à l’ouest de Tripoli, où de violents combats font actuellement rage entre manifestants et forces de sécurité. Vous avez bien lu, ce n’est pas de la faute du colonel, mais de Ben Laden, si tant de manifestants ont péri ces derniers jours. Après l’avoir menacé, puis massacré, le leader libyen serait-il en train de manipuler son propre peuple ? « On manipule nos enfants, affirme Kadhafi. Pour moi, ceux qui sont derrière ces manipulations sont les vrais ennemis ». Après s’être ému de leur sort et d’avoir rejeté la faute sur la menace islamiste extérieure, le Guide suprême va maintenant s’en prendre directement aux manifestants, symbole de l’incohérence de son discours. Pour lui, ce « sont des jeunes fous, débiles, qui cherchent à fermer les commerces, à barrer les routes ». Et le leader de brandir à nouveau la menace Oussama. « Les habitants de Zaouiyah touchent régulièrement leurs salaires, mais quand il y aura des vols… Quand il y aura Ben Laden… » Les Libyens, victimes de bombardements à répétition depuis lundi, en tremblent encore dans ce qui reste de leur chaumière…

Le ridicule tue ! Surtout lorsqu’un si grand nombre de manifestants désarmés ont été abattus à bout portant par les Mirages F1 de l’armée de l’air, ou par les sanguinaires mercenaires nigériens et tchadiens. Après les avoir insulté, le colonel Kadhafi va de nouveau faire volte face et montrer un visage beaucoup plus humain. « Ce sont vos enfants, il faut les empêcher de prendre ces cachets, ces gélules de drogues (…) Ce sont des terroristes [ceux qui manipulent les jeunes], ces terroristes sont recherchés par tout le monde, y compris par les États-Unis. Je veux savoir qui manipule, nous voulons arrêter les manipulateurs, ceux qui manipulent les jeunes. Sortez de vos maisons, sortez retenir vos enfants ». Sors de ton pays, Mouammar Kadhafi ! Signe que le dictateur n’est pas tout à fait maître de ses mots, ni de son calme, il ponctue chacune de ses phrases par un nerveux « Honte à vous ! ». On se demande encore à qui il s’adresse.

Mais hormis le ton, le discours d’aujourd’hui se démarque de la diatribe de lundi par les concessions que le leader se dit prêt à accorder à son peuple. On croirait entendre alors les interventions de Ben Ali et de Moubarak… la veille de leur départ. « Toutes ces demandes [des manifestants] peuvent être résolues grâce au pétrole. On peut de la même façon hausser les salaires (…) Si vous voulez transformer des villes en gouvernorats, pour former de nouveaux gouvernorats, c’est possible, c’est quelque chose qu’on comprend. […] Tout est possible, tout est entre vos mains ». Il faut dire que cela fait 42 ans que son peuple entend cela. Mais après cet éclair de lucidité, la confusion et les délires du dictateur vont vite reprendre le dessus. « Ces manipulateurs, qu’est-ce qu’ils disent à ces enfants drogués ? Ce sont des vieilles personnes, il ne faut pas les écouter. Ils incitent nos jeunes à détruire notre pays (…) Moi je suis là, je n’interviens pas. Faites ce que vous voulez (…) Qu’est-ce que vous voulez, vous voulez détruire vous même votre pays ? Et bien faites le ». Vous l’aurez compris, Kadhafi est schizophrène. Nouveau changement de personnalité, le petit père Mouammar, empli de douceur et de compassion, refait son apparition.

« Si vous en êtes satisfaits, je n’ai rien à dire. Mais vous devez sortir, vous, les habitants de Zaouiyah, vous devez empêcher vos enfants drogués qui ont pris des cachets, vous devez essayer de les retenir, de les remettre sur le droit chemin ». Alors qu’il avait appelé lundi à la condamnation à mort de chaque contestataire, le colonel apporte maintenant son soutien aux familles des innombrables victimes… « Je réitère mes condoléances à ces 4 personnes tuées par les forces de sécurité, et aux 4 jeunes tués lors de ces opérations. Je suis sûr que les habitants de Zaouiyah sauront se défendre, ce sont des gens honorables, j’ai confiance en eux ». Mais l’histoire nous l’a montré à maintes reprises. Un dictateur restera toujours un dictateur, peu importe ses brefs changements de personnalité, n’en déplaise à M. Sarkozy. C’est donc par une phrase assassine, témoignant une nouvelle fois de la folie et du danger du personnage, que Mouammar Kadhafi achève son discours. « Ensuite, le peuple libyen tout entier va essayer de se débarrasser de ces jeunes ».

À l’issue de cette intervention, le secrétaire général de la Ligue libyenne des droits de l’homme révélera que des membres des comités révolutionnaires du dirigeant libyen ont procédé hier et mardi à des exécutions sommaires dans les hôpitaux de Tripoli, supprimant les blessés qui avaient manifesté contre le régime et emportant les cadavres avant l’arrivée dans la capitale des journalistes étrangers.

Un commentaire

  1. On va certainement les laisser s’entretuer comme on a aucune fierté de défendre la démocratie. C’est l’économie qui dirige le monde !!