La ferme au village.
Avant de quitter la ferme au village, je veux, comme André Gide dans Les Nourritures terrestres – mon premier livre d’adolescente dans les années 50 – je veux chanter les beautés de ce coin verdoyant aux arbres peuplés d’oiseaux. C’est une ferme écolo avec énergie solaire, dont les champs produisent des légumes pas tellement éloignés des nôtres : choux (petits et bien ronds), carottes rouge sombre, brocolis, romaine, roquette, aubergines, tomates, épinards, ail, oignon et pommes de terre.
Où est l’Inde ? Dans la culture du gingembre, celle du tamarin, dans les feuilles et les graines du fenugrec, et dans le grand champ de moutarde aux fleurs dorées dont les graines, pressées, fourniront l’huile et les feuilles, broyées, une succulente purée. Dans les fruits aux arbres du verger : mangues, kumquats, dattes.
Dans le double usage du basilic, le tulsi sacré dont un plant doit impérativement pousser dans la cour de toute maison indienne, mais qui se cuisine aussi dans les salades. Nous avons une laiterie riche de dix vaches dont l’une, blanche à tâches ocres, porte le nom juif de ma mère, Rivka, qui rêvait tant de se réincarner en vache indienne que nous avons exaucé son vœu, le rêve de réincarnation étant commun à la Cabale et à l’Hindouisme, ce ne fut pas trop difficile, sauf pour le vacher qui, n’arrivant pas à prononcer Rivka, l’a changé pour Radha, la maîtresse du dieu bleu, Krishna, le Chérubin de l’Inde entière. Nous n’avons pas vu Rivka-Radha cette année, elle est au taureau dans le village voisin… Songer que ma mère la vache se transforme en Pasiphaé est on ne peut plus étrange ! Le reste du troupeau fournit lait, yaourt, petit lait, beurre et ghee – le beurre clarifié qu’on chauffe pour en évacuer l’écume. On broie le blé poussé dans son enclos, on confectionne sur la paroi du fourneau des bhajra, galettes de mil épaisses couleur cendre, et d’autres, joyeuses, mélange hivernal de blé et feuilles de fenugrec. Et les oiseaux ? Un martin-pêcheur au col rouge et aux ailes turquoises, de minuscules soui-mangas bleu lapis lazuli ou vert d’or au bec de colibri, les sept sœurs toujours posées de concert, le reste plus banal, corneilles grises et noires, perroquets vert à bec et colliers roses. Quoi d’autre ? Le courage de tous, un courage incroyable, car tout, ici, flanche tout le temps, tout, sauf les humains.