Si Olivier Zahm a aujourd’hui atteint un statut d’icône médiatique, c’est sans doute grâce à la création, en 2009, du « Purple Diary », extension quotidienne en ligne de la revue « Purple », fondée en 1992 avec sa compagne d’alors Elein Fleiss, et qui a connu différentes moutures et variations avant d’aboutir, de son côté, à « Purple Fashion Magazine », la publication légendaire qu’il anime aujourd’hui – la seule incontestablement où puissent, numéro après numéro, se côtoyer des entretiens avec Pierre Huyghe, Karl Lagerfeld, Yoko Ono, Bernard-Henri Lévy, Alain Badiou, Lindsay Lohan, Mehdi Belhaj Kacem, Pierre Guyotat, Damien Hirst, et bien d’autres. La seule aussi qui donna hier et continue à fournir aujourd’hui une tribune libre à la créativité photographique de Terry Richardson ou Juergen Teller, Mario Sorrenti ou Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin.
« Purple » défend un mode de vie, suivant l’idée que la beauté seule compte, dans la nuit, dans les bras des jeunes filles, au coeur des oeuvres d’art, de la poésie et de la littérature. Au fond, l’idéal sous-jacent au magazine, dans ses différentes versions, est bien celui de la communauté – communauté des amants, des amoureux, des rêveurs, à travers les domaines de la création et de l’expérience.
Il ne faut pas oublier à quelle génération appartient Olivier Zahm: celle que le critique Nicolas Bourriaud, – lui aussi a inhalé l’air de ce temps-, a qualifiée d’ « esthétique relationnelle », celle des artistes Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Huyghe et Philippe Parreno, dont le travail a été notamment marqué par des expérimentations collaboratives très intenses. Ces plasticiens et vidéastes ont refusé l’idée d’une identité figée, d’une signature auctoriale et autoritaire, ont usé de la pluralité pour mieux la diluer.
L’esthétique relationnelle, en niant la figure de l’artiste, barre la voie à toute recherche du chef-d’oeuvre, en tant qu’il représente une manière ancienne, datée, de concevoir la création. L’influence de telles conceptions sur le travail d’Olivier Zahm ne doit pas être sous-estimée.
En effet, ce dernier a passé ces dernières années à retarder le plus possible la nécessité d’écrire. Car en premier lieu, Olivier Zahm est un critique d’art, considéré comme le plus brillant de sa génération, qui a signé des textes pour les principales revues d’art contemporain – les quatre « grands »: « Artforum », « Texte zur Kunst », « Flash Art International » et « Art Press ». Il a aussi écrit de nombreux et très remarquables essais de catalogues, aujourd’hui bien laissés de côté (en particulier un beau et éclairant article sur le phénomène Martin Margiela), et ce au profit du « Purple Diary », son journal en ligne, qui, comme par hasard, est le négatif de son interaction avec d’autres personnes; une entreprise collaborative, à l’aune de celle des artistes qu’il a accompagnés et dont il a aidé le surgissement, d’autant plus collaborative qu’elle vient s’enrichir des interventions d’autres contributeurs, certains réguliers, comme Rachel Chandler ou Caroline Gaimari, d’autres occasionnels comme Virginie Mouzat ou Terence Koh.
Il y aurait d’ailleurs un parallélisme à tenter entre le « Purple Diary » et les entretiens menés par un contemporain exact d’Olivier Zahm – toujours cette même génération: Hans-Ulrich Obrist. En effet, la forme choisie par l’un comme par l’autre joue sur un moment: la rencontre. Obrist a fait le choix du texte et de la conversation, Zahm de l’instantané iconique. D’une part, la volonté de savoir; de l’autre, la fixation poétique d’un vertige fictionnel.
Il faut tenter une hypothèse: le « Purple Diary » est un obstacle et un chef-d’oeuvre. Un obstacle, et une « prison », car il constitue le contraire du texte, de cet écrit qui attire tant Olivier Zahm, l’effraie et l’impatiente; car l’attend un livre sur la communauté des amants, sur l’idée d’une réinvention de la relation amoureuse, l’attend ce livre dont les esquisses dorment dans un tiroir de sa demeure, et qui est illustré par chaque geste de sa vie. Or le « Purple Diary », comme culte de l’image, comme journal composé d’images seulement, constitue comme un contrepoint ironique et grinçant de ces lignes d’une page qui pourrait être noircie. L’immatérialité d’Internet apparaît alors comme le contraire absolu de la matérialité du livre qui n’est pas imprimé.
Le « Purple Diary » barre à Olivier Zahm la route de « The Real Thing », comme dirait George Steiner, « ce qui compte vraiment », singulièrement pour lui: un livre qui soit une cathédrale esthétique et poétique. Et ce d’autant plus que le dandy a une manière et une fascinante capacité d’écriture. Il suffit de lire les pages de son blog et, plus encore, le très huysmansien essai qu’il a donné à « La Règle du Jeu », paru dans le numéro 41 de la revue. Face à ce talent inexploité, le « Purple Diary » pourrait bien apparaître comme une échappatoire, une manière de s’éloigner intelligemment de ce qu’il pourrait faire d’autre.
C’est incontestablement le cas. Mais pas seulement… Car le « Purple Diary » est bien plus que cela – c’est une des plus belles réussites des dernières années, une des plus originales aussi. Il y évoque sa vie, en photographies: ses amours féminines, ses amitiés masculines, ses fraternités, sa vie familiale, ses goûts esthétiques et ses admirations érotiques.
Mais quiconque connaît Olivier Zahm sait qu’il n’est pas – ou pas seulement – le « bad boy » que l’on voit sur le site Internet, qu’il est une personne érudite et brillante, assez timide aussi. En capturant sa vie pour l’image, il a fait de sa vie une image, et, selon le principe fameux qu’un objet que l’on regarde est modifié par le fait même d’être contemplé, il a changé sa vie.
Désireux, à la façon d’Andy Warhol, de mettre au jour les fondements du monde de l’icône, et dans une réaction que l’on pourrait rapprocher de celle de l’artiste Maurizio Cattelan (sur lequel il a écrit dans les années 1990), il cherche à produire une fiction, plus efficace que celle d’un roman, car l’on y croit, tandis que la confiance en le narrateur d’un récit n’est toujours que limitée au temps de la lecture; de la sorte, il teste l’élasticité, la souplesse, les limites du système. En même temps qu’il produit cette fiction, il tire sa vie dans la direction de celle-ci, et fait d’elle l’expression d’une réalité sous-jacente, d’une esthétique qu’il crée en même temps qu’il la révèle.
Il devient alors difficile d’avoir le moindre doute: s’il est décevant de ne pas voir Olivier Zahm faire usage de ses dons d’auteur, il n’y a lieu que d’être ébahi face à l’incroyable exercice de « mentir-vrai » auquel, après Louis Aragon, il se livre chaque jour.
Vous avez tout à fait raison, surement, car je n’ai pas cette chance de le connaître comme vous. Mais c’est grâce à “Purple Diary” que j’ai découvert Olivier Zahm, et que tous les jours je vais sur son blog, et que souvent il nous fait découvrir des artistes que je ne connaissais pas, et depuis je recherche un peu partout son travail, et c’est ici aussi que j’ai lu un article sur la communauté des amants, et j’espère que s’il vous écoute et qu’il se mette a écrire, qu’il ne laissera pas son blog sans nouveaux articles journaliers.
Mais je suis confiant car lorsque l’on tient un blog il est très difficile de s’en séparer. Merci pour cet article !