Lu les textes de Badiou et Zizek sur la Révolution tunisienne. Plus nuls encore que prévisible. Pas même la peine de réagir à chaud.
Le 1789 du monde arabe. Un coup d’arrêt à l’islam politique, contrairement à tout ce que veut faire croire la propagande occidentale, et par exemple – à chaud – la pathétique tentative de récupération d’Ahmadinejad, qui sent que les mois, au « mieux » les années, du parti-État des mollahs sont comptés. Une commune à l’échelle de tout un pays. Un mai 68 réussi. Peut-être la première Révolution situationniste de l’Histoire. Lotta continua, enfin non dévoyé…
Je continue à m’amuser, paresseusement, – j’écris énormément sur la situation, quand je peux, par ailleurs ; ça ne fait que trois jours, une éternité –, pour ce blog, en vous recopiant la lettre écrite à la chère badiousiste insultante. Je me dis parfois que je suis d’une courtoisie exquise… Je vous dirai la prochaine fois ce qu’elle a osé me dire.
« Alain n’a pas mis deux jours, par exemple, pour sortir sa fraisière : il a dit, devant de proches amis, que je sortais un livre « commandité » par BHL, sic. Archifaux : c’est moi qui suis allé vers BHL. J’ai très vite su que ce serait lui mon éditeur, et je ne le regrette pas. J’ai attendu deux mois avant de lui présenter quelque chose – il ne s’attendait même pas au contenu… –. Il est archiprofessionnel, et j’ai d’ores et déjà hâte de publier d’autres choses chez lui, loin du funeste cas d’Alain B. Qu’en l’occurrence, je lui rende un service inestimable (lui a même dit : « miraculeux »), c’est ça que j’appelle : ne pas faire son oie blanche, comme l’autre tout le temps (l’Incorruptible, la Vertu, le Bien sans mélange, les Vérités éternelles, etc., de la part d’un personnage qui est le démenti vivant de tous ses mots). Le secrétaire de BH m’avait demandé un texte pour La règle du jeu, à l’insu même de son patron (numéro où se trouvent nombre de personnalités parfaitement de gauche…) et en le rédigeant (je sortais d’une assez grave dépression, à cause de tout ça) a très vite germé l’idée d’un livre auquel je songeais depuis des années, pour lequel j’accumulais des notes dont je ne parlais à personne ; le livre est sorti pour ainsi dire d’un jet, à la Nietzsche. C’est une des références constantes du livre : la rupture de Nietzsche avec Bayreuth. La « réhabilitation » actuelle de Wagner tentée par le maoïste français et le stalinien slovène a, tout de même, un sens idéologique malheureusement très précis. C’est la moindre des responsabilités éthiques d’un philosophe qui a lu que de dire aux gens : il y a des philosophes, sur la question, bien plus puissants que ces deux-là : Adorno (« Quasi una fantasia », « Essai sur Wagner »), Lacoue-Labarthe (« Musica ficta »). Et bien sûr Nietzsche. Et il était de mon devoir de me donner le maximum de moyens pour être entendu là-dessus. Le fait que j’ai été « ami » – je vais quand même revenir sur cette appellation… – avec Alain Trucmuche ne fait que me justifier davantage à prendre mes responsabilités sur ce point.
Mon livre n’a rien à voir avec tous ceux écrits à ce jour contre Badiou. Il est le premier qui le délimite historiquement, littéralement et dans tous les sens. Vous savez mieux que quiconque que je fus le premier de ma génération à signaler son génie métaphysique, à le défendre, et à le lire comme très peu de personnes, de son propre aveu, l’ont lu. J’ai tout lu, y compris ses nombreux « discours du rectorat » des seventies… Il était donc temps de faire un bilan, et de dire ce que je pense depuis longtemps : sorti de son génie métaphysique, dont je montre dans ce livre à quoi il sert (par exemple : qu’appelle-t-il la vie ? La mort ? Le Mal ? La division des sexes ? Je vous pose personnellement la question. Et j’attends, sincèrement, un jour ou l’autre la réponse), tout ce que Badiou appelle « éthique », « politique », « communisme », « amour », ne vaut strictement rien. »
Le « sens de l’Histoire » ? Chiche, kebab.
« Le premier de ta génération a repérer le génie métaphysique de Badiou »? C’est un gag? En tout cas c’est une coquetterie ridicule…
Pour le reste c’est un tissus de plus en plus dégoulinant d’injures, d’insinuations…Ma satisfaction dans cette affaire, c’est cette déprime dont tu parles, tu l’as bien mérité.
Qu’elle t’accable encore davantage pour ainsi peut-être t’ouvrir les yeux sur ta mesquinerie.
ps: tu demanderas à ton pote BHL ce qu’il a fait pendant toutes ces années pour sortir les tunisiens de la merde benaliste.
Cher Mehdi Belhaj-Kacem,
Le simple admirateur de votre œuvre que je suis s’interroge grandement quant à certaines analyses que vous développez dans ce blog. En effet, que vous publiez chez Grasset, là n’est pas le problème. On publie où l’on peut, et d’autres grands noms de la philosophie ont publié dans cette collection tout en étant en parfait désaccord avec le « bhlisme », comme vous l’appelez très justement.
Ce qui me surprend particulièrement n’est pas votre rejet du stalino-maoïsme de Badiou (et Zizek), qui n’est pas nouveau, et qui ne me déplait guère, je vous l’avoue. Non, ce qui est très étonnant, c’est la caution « démocratique » que vous offrez à votre nouveau camarade Bernard-Henri Lévy.
Vous rédigez ce blog comme si vous quittiez le camp des totalitaires (Badiou-Zizek), pour rejoindre celui des « démocrates ». Mais si nous nous accordons sur le fait qu’il n’y a de démocratie véritable que lorsqu’il y a une démocratie directe (au point même que l’expression « démocratie directe » est un pléonasme, la « démocratie parlementaire » n’étant qu’une oligarchie de la classe qui possède l’économie), je ne vois nullement en quoi vos alliés objectifs se trouverait plus chez les « sociaux-démocrates » que chez les staliniens. Votre référence à la Commune, à l’anarcho-syndicalisme de la CNT et du POUM espagnols, aux situationnistes est réjouissant. On pourrait y rajouter plein d’autres expériences théoriques et pratiques: la Critique du Droit politique hégélien de Karl Marx (premier ouvrage de Marx et le seul et unique manifeste démocratique de l’histoire de la philosophie), le spartakisme de Rosa Luxembourg, le Printemps de Prague et de Budapest, la Révolution des Œillets au Portugal, le Printemps kabyle de 1980 et de 2001, les communautés zapatistes, le Cacerolazo argentin en réponse à la crise de 2001, et beaucoup d’autres exemples. Or le point commun de tous ces gens, ne vous en déplaisent, c’est qu’ils ne sont précisément pas de gauche. Car pour être de gauche, il faut accepter qu’une oligarchie ait vocation à diriger un peuple décidément trop stupide pour prendre ses propres affaires en main. C’est la position des staliniens, trotskistes, maoïstes et léninistes. C’est la position du blanquisme tellement apprécié par les Tiqquniens. Mais c’est aussi la position de toute social-démocratie. La différence entre ces trois systèmes étant seulement que les uns optent pour la stratégie bureaucratique du Parti, quand les autres optent pour la stratégie de la conspiration militaire, quand la dernière opte pour la stratégie du contrôle des masses par une bourgeoisie d’Etat (secteurs publics, administration, etc.).
La preuve de la féroce haine des sociaux-démocrates pour la démocratie directe est l’union historique entre ces derniers et les staliniens dans le massacre de la Révolution espagnole de 1936 (elle n’est une guerre civile que pour les salops qui l’ont combattu, cette révolution), avec la complaisance et la passivité de la social-démocratie française de Blum, qui préféra laisser crever le prolétariat espagnol que de se fâcher avec Hitler (et Staline). De même, comment ne pas se rappeler que c’est la social-démocratie qui massacra les révolutionnaires spartakistes, qui lançaient alors le communisme des conseils dans l’Allemagne de 1918. Vous qui êtes passionné, et avec raison, par l’Allemagne de l’entre-deux-guerres et le monstre qu’elle a enfanté, ne voyez-vous pas que l’origine de ce monstre se trouve dans la répression du prolétariat révolutionnaire et conseilliste allemand par les Soc’-Dém’, et que toute la catastrophe qui suivit n’en est que la conséquence? Allez regarder dans Lipstick Traces de Greil Marcus ce que les sociaux-démocrates ont fait du corps de Rosa Luxembourg, le laissant pourrir dans un canal. Quand à la Guerre d’Algérie, c’est bien simple, c’est la SFIO qui l’a faite, donnant carte blanche aux généraux de l’armée française.
Comment dès lors ne pas reconnaître en BHL un ennemi de la démocratie directe, qu’il hait assurément, (relisez l’Idéologie française par exemple) D’autant plus un ennemi d’une telle démocratie directe qu’à la différence de Badiou et Zizek, qui ne sont que des staliniens de papier, fantasmant sur le grand timonier de façon imaginaire et verbeuse, BHL lui n’est pas qu’un écrivain. Comment oublier son appel à l’armement de la Contra, les milices fascistes nicaraguayennes, financées par le trafic de drogue américain (cf. Alfred Mc Coy: La Politique de l’héroïne), puis la vente d’armes américaines à l’Iran des mollahs (rappelez-vous de l’Irangate). Cette Contra qui avait tout de même créé des camps de concentration pour enfants, tenus par des enfants des rues torturés et devenus à leur tour tortionnaires. Tout cela pour renverser des catho-guévaristes, qui partirent le jour où ils perdirent les élections (fait rare pour des staliniens contre lesquels tous les moyens étaient bons, ne trouvez-vous pas?), et qui sont aujourd’hui au pouvoir depuis qu’ils ont abandonnés le guévarisme… pour la social-démocratie.
Comment oublier qu’avec son ami Glucksmann, ils furent financés par les généraux algériens pour faire un reportage affirmant l’INNOCENCE TOTALE de ces généraux algériens (tous anciens officiers de l’armée française qui laissa de si bon souvenir dans ce pays) face au terrorisme du FIS et des GIA (Groupes Islamiques de l’Armée, comme le disent les algériens) pendant l’atroce guerre civile des années 90. Comment expliquez-vous le soutien de ce « social-démocrate et néanmoins ami » à la dictature militaire du FLN, qui préféra déclencher une guerre civile que d’accepter la construction d’un multipartisme réel (et non pas fictif comme aujourd’hui, ou comme dans la Tunisie de Ben Ali et l’Égypte de Moubarak). On pourrait alors détourner Jacques Brel en interrogeant la jeunesse révolutionnaire arabe et européenne. On lui dirait: « Demandez-vous belle jeunesse/ Le temps de l’ombre d’un souvenir/ Le temps de souffle d’un soupir/ Pourquoi ont-ils tué Boudiaf? / Pourquoi ont-ils tué Boudiaf?).
Quant au soutien de BHL au « Frère musulman »Alija Izetbegovic, membre de l’organisation « Jeunes Musulmans » qui collabora avec l’occupant nazi (et emprisonné en 1946 pour ce fait), quoi de plus normal quand on a été mandaté par l’ancien pétainiste Mitterand pour participer aux négations ethniques…
BHL a été maoïste, c’est un fait. Que serait-il aller faire sinon aux Indes rouges, le Bengladesh d’où il tira son premier livre, si ce n’est aller y singer Régis Debray. Comment devenir un Malraux new-look quand la romance sud-américaine vous a été volée par un autre fâcheux élève d’Althusser?
N’est ce pas tout de même incroyable cette surdétermination générationnelle? C’est cela le destin de notre génération? Devoir choisir entre un stalino-maoïste endurci sublimant la Révolution culturelle dans la métaphysique et un rénégat maoïste complice des pires dictatures tant qu’elles ne sont ni staliniennes, ni maoïstes? Non, en plus, grâce à vous on va avoir le plaisir de relire L’Ange, délires névrotiques d’anciens proches de l’Action française passés quelques années par le maoïsme avant de (re-)devenir théologiens (cf. Les Maoccidents de Jean Birnbaum)?
Quand est-ce que nous cesserons d’être les fils des pires conneries de la génération 68? Laissons à leurs mauvaises consciences nocturnes ce soutien constant au pires massacres étatiques.
Nous n’avons aucune reconnaissance à attendre d’eux car ils ne sont pas nos pères.
Cordialement,
Joan-Miquel Arraitz