Échec de la solution fétichiste… Il m’a fallu que Natacha me quitte cet été pour que je comprenne mon erreur. Il fallait que je saisisse une chose inattendue : à savoir que le fétiche n’est pas forcément là où je plaçais ma passion — dans les talons, le style, les jambes, les seins, l’allure, la mode… que j aime tant chez elle — mais dans mon discours sur le rapport. La solution fétichiste n’était rien d’autre que mon idée de la Communauté des Amants que je brandissais comme un argument indiscutable et que je me suis tatoué sur l’intérieur du bras. En bref tout ce que Natacha me renvoyait comme des “théories” sans fin sur l’amour et les femmes, et qu’elle refusait d’écouter. Je tirais mon plaisir dans cette hypothèse théorique, dans le discours même et son imposition — sous prétexte bien sûr d’un savoir sur le rapport et sur la sexualité — plus encore que dans la liberté sexuelle que ce supposé contrat me donnait. Telle était donc la forme sophistiquée qu’avait pris ma passion fétichiste qu’incarnait Natacha. Et je refusais de voir que Natacha ne voulait pas écouter, ne pouvait pas entendre ce qui n’avait de fonction que pour moi, que pour ma jouissance, avec elle comme avec d’autres femmes. Je n’avais pas compris que ce discours me servait de fétiche (pour remplacer le manque) pour mieux contrôler le rapport et en jouir.
C’est la lecture de Jean Cournut (Pourquoi les hommes ont peur des femmes) qui m’a fait réaliser ce mécanisme fétichiste masculin : « Face à la peur de la castration si facilement réveillé par les différences, les absences, les blessures et les coupures, la solution fétichisme est là, toute prête ; il suffit d’un déni. Non il ne leur manque rien ; les femmes sont des hommes comme les autres ». Tentative vaine, impossible, de faire de celle qu’on aime un homme comme les autres, c’est-à-dire obéissant au même régime de désir. Natacha n’entendait rien et avec raison : mon fétiche (la Communauté des Amants) ne remplace pas le manque, il est ce qui manque. Il était, sous sa forme théorique, la marque du rapport manqué. Le départ de Natacha avec un autre homme avait logiquement lieu de se réaliser au début de l’été…
« Le fétiche, conclut Jean Cournut, revêt des formes variables, depuis la métonymie classique de la chaussure jusqu’à la métaphore étincelante : c’est alors le corps féminin tout entier érigé. Mais c’est aussi le corpus théorique que l’on construit dans les trous du savoir, l’argument que l’on brandit, la croyance sans faille, le logos en somme comme fétiche généralisé, béquille de la condition humaine ». Intuition géniale qui m’oblige à repenser entièrement la Communauté des Amants hors de l’impasse fétichiste qui n’est rien d’autre que l’imposition du désir masculin et, au passage, la négation du désir féminin. Il doit y avoir une autre voix pour la Communauté des Amants qui ne passe pas par le fétichisme. J’en ai l’intuition.