Les mineurs chiliens sont comme les enfermés de Secret Story : ils sortent un par un, on les évacue les uns après les autres. Si vous voulez voir sorti d’abord Ernesto Gomez, tapez 1, si vous voulez voir d’abord évacuer du trou Mario Sepulveda, tapez 2. Car ce qui est à présent promis à ces pauvres hommes, à ces travailleurs des profondeurs et de l’ombre, c’est : la lumière. Pas l’imbécile lumière du jour, qui finalement n’a que peu d’intérêt lorsque la société nous transforme en héros, mais la lumière plus sublimée, plus intéressante et plus intéressée, des sunlights. La lumière du village ? Non : mais les lumières de la ville.
Nous voyons immédiatement que la société, le monde, a besoin de fabriquer des héros de légende, là où finalement il n’y a que des victimes qui ont attendu qu’on les libère, qu’on les arrache à la mort. Je ne comprends pas le mot de « héros », je suis désolé. Puisque ces mineurs n’avaient pas le choix. Ils auraient pu pleurer, hurler, jouer aux dés, ils n’avaient qu’une seule et unique chose à faire : attendre. Est un héros, à mes yeux (mais je ne suis pas quelqu’un de très malin) un homme ou une femme qui, étant dans une situation sans danger, décide de son plein gré de se mettre, sans pouvoir espérer y survivre, dans une situation remplie de danger. On est héros parce qu’on s’est mêlé à quelque chose qui ne nous regardait pas, et qui pouvait signer notre arrêt de mort. L’héroïsme imposé, l’héroïsme obligatoire n’est plus de l’héroïsme : ces hommes sont des victimes courageuses, mais au-delà de leur courage et de leur vrai cran, de leur patience immense et de leurs doutes atroces, ce sont des victimes. Eux-mêmes, qui vont hélas maintenant être récupérés à tous les sens du terme, vont retomber dans un terrible piège plus inhumain que leur putain de trou : celui de la célébrité malsaine et éphémère, celui de la gloire immédiate et vaine.
Ils vont « quitter l’aventure », ainsi qu’on s’exprime en télé-réalité. D’ailleurs, cela devrait nous donner à réfléchir, cette expression devrait nous donner à réfléchir : « quitter l’aventure ». C’est drôle, aujourd’hui, que ce que nous nommons « aventure » n’est plus associé au danger et au lointain, voire même à l’anonymat : des abrutis filmés dans une maison coloriée, dans laquelle ils ne craignent absolument rien d’autre que le ridicule, voilà ce qui est devenu le synonyme d’un mot qui voyait partir Joseph Conrad dans les mers du Sud, ou Jack Kerouak sur la route, Neil Armstrong encore dans les étoiles.
On prétend que des scénaristes de cinéma ont suivi les péripéties des mineurs, les très passives péripéties des mineurs : cela n’étonnera pas. Depuis le 11 Septembre 2001, la réalité et la fiction s’entredigèrent. On ne peut démêler l’une de l’autre. Elles sont mélangées, elles sont aussi jumelles que les tours du World Trade Center. Des scénaristes hollywoodiens (dont on avait pu penser une ou deux secondes qu’ils étaient à l’origine d’un film catastrophe tourné ce mardi-là à Manhattan) étaient venus lister les idées à venir des terroristes. Ils étaient légitimes, je crois, dans cet exercice : les terroristes en question, parfaitement cyniques et ne manquant surtout pas d’humour, ni d’une certaine forme de politesse et de génie, n’ont pu concevoir les attentats du 11 Septembre qu’après visionnage de toutes les daubes cinématographiques américaines où la ville de New York était, grosso modo, détruite de cette manière (peu importe que ce soit par Godzilla ou par un Arabe). Le 11 Septembre n’a jamais été qu’un retour à l’envoyeur, agrémenté de réalité (pour une fois !).
La société du spectacle aura peut-être le soin de laisser à chaque mineur, dans l’adaptation américaine inspirée de ce drame, d’interpréter une silhouette, en fond de mine. Ainsi, les choses n’auront pratiquement pas bougé. La réalité se sera enrichie d’un spectacle de plus, et le spectacle aura engouffré une réalité supplémentaire. C’est un échange de bon procédé. C’est maintenant que nos amis mineurs vont véritablement toucher le fond.
On peut toujours ne voir que le verre à moitié vide….soyons simplement heureux qu’ils soient vivants, c’est tout…