Août 2005, un mois après la première élection de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidence iranienne, j’ai décidé de m’installer en Iran en tant que journaliste correspondant pour plusieurs médias français. L’Iran, pays de mes parents, civilisation millénaire, mais aussi État en tête de l’Axe du mal prôné par l’ex-président américain Bush. Il fallait que je me fasse ma propre idée…

Alors que 21 années passées devant le JT français me promettaient l’enfer, avec son lot de tchadors noirs, de mollahs enturbannés, de bombes atomiques, bref l’Iran de « Jamais sans ma fille », j’ai eu l’agréable surprise de découvrir un pays massivement jeune, où les bombes persanes sont maquillées à souhait et font tomber le foulard, où les chauffeurs de taxi vous font mourir… de rire et vous appellent « mon chéri ».

Pendant deux ans, j’ai tenté de montrer à mon pays (la France) la réalité de mon autre pays (l’Iran), en faisant voyager mes lecteurs français dans les rues d’Iran, à la rencontre d’une jeunesse majoritaire, mûre, drôle, talentueuse, ouverte sur l’Occident tout comme fière de ses traditions et de ses croyances, mais prisonnière d’un régime et de familles toujours ancrées au siècle dernier.

Tout cela, je l’ai écrit sans concession, dans mes articles ainsi que dans mes livres. Et plus j’avançais, plus je me disais que les autorités iraniennes avaient tout intérêt à ouvrir l’accès de leur pays à des journalistes bi-nationaux comme moi et tant d’autres qui, étant donné qu’ils aiment leur pays, ne se laisseront pas aller à le diaboliser à tout va. Car le constat devenait implacable. J’avais beaucoup plus peur de l’Iran depuis Paris qu’à Téhéran. En France, tous mes collègues reculaient de cinq mètres à chaque fois que j’évoquais le simple mot « Iran ». En Iran, je ne connais pas un Français qui ne soit tombé sous le charme d’une population à la chaleur sans pareille (ou d’une Iranienne) et d’un pays à des lustres du JT de TF1. Aujourd’hui, ils ne pensent qu’à une chose: y retourner au plus vite.

Mais tout a changé en septembre 2006, lorsque les hommes d’Ahmadinejad ont véritablement repris le pouvoir à leurs prédécesseurs réformateurs au sein des ministères du pays. Je n’avais plus en face de moi des employés du Ministère de la Culture, mais des agents des Services secrets à l’esprit étroit et formaté, qui m’ont accusé d’être payé par le gouvernement français pour diaboliser et faire tomber le Régime iranien. Sans l’ombre d’une hésitation, ils m’ont retiré ma carte de presse. J’ai eu beau leur répondre qu’étant bi-national, je n’avais aucun intérêt à diaboliser l’un de mes deux pays, ils n’ont rien voulu entendre.

Juillet 2007, après des « entrevues  » répétées chez mes amis des services secrets, c’est la mort dans l’âme que j’ai été forcé de quitter l’Iran. Cela fait trois ans que je n’y ai pas remis les pieds. Et j’en souffre énormément, car l’Iran se vit, se sent, se rit, et se pleure au quotidien. « L’Iran est ton pays, tu peux t’y rendre quand tu veux », m’a-t-on depuis affirmé à plusieurs reprises à l’ambassade d’Iran à Paris. Mais à chaque fois, un simple coup de téléphone passé à des amis du Ministère de la Culture me fait comprendre que je ne peux y retourner en tant que journaliste. Mon pays oui, mais pas pour y exercer mon métier. Surtout que l’Iran ne reconnaît pas la double nationalité, et qu’avec un passeport iranien, je peux me rendre en Iran quand bon me semble, mais que je ne suis plus du tout sûr d’en revenir. Pourtant, à mon retour en France, et malgré l’aggravation de la situation politique et économique du pays, nombreux sont mes amis iraniens qui au téléphone me reprochent les déclarations du ministre français des affaires étrangères Bernard Kouchner qui a parlé de « guerre » face à l’Iran. S’ils souffrent, les Iraniens n’en restent pas moins fiers. Voilà pourquoi une invasion de l’Iran, hypothèse désormais lointaine, servirait sur un plateau les ultraconservateurs au pouvoir pour ressouder la population derrière eux.

Juin 2009, après une campagne présidentielle comme jamais le pays n’en avait connue, suscitant émotion et espoir, les Iraniens se déplacent massivement pour faire barrage à Mahmoud Ahmadinejad et voter MirHossein Moussavi, « enfanté de la République islamique

et ancien Premier ministre sous Khomeiny. Mais la jeunesse du pays ne se fait guère d’illusions, Moussavi est le « meilleur du pire » et certainement pas un Obama à l’Iranienne, surtout que 99% des candidats ont déjà été éliminés. Pourtant, alors que l’élection du Réformateur Moussavi aurait permis au Régime de se pérenniser, celui-ci va décider de tricher. Et massivement. Le peuple, se sentant profondément insulté ne le supportera pas. La suite, des millions de personnes dans la rue, mais aussi une répression gouvernementale féroce.

Depuis, à ceux qui doutaient encore de l’illégalité de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence du pays, des dizaines de journalistes iraniens ont été arrêtés, licenciés ou ont été forcés à l’exil aux quatre coins du monde. Pour ma part, étant dans l’impossibilité de me rendre en Iran, j’ai créé un blog au Monde, puis un autre à la RDJ, pour tenter d’informer, non sans difficulté, sur la réalité de l’Iran d’aujourd’hui.

Et je n’ai pas été le premier, loin s’en faut. J’avais un illustre modèle pour m’inspirer. Il y a presque dix ans, Hossein Derakhshan, jeune journaliste iranien de 24 ans, écrivait pour les quotidiens réformateurs Asre Azadegan puis Hayateh No, où il tenait une page sur Internet et les nouvelles technologies. Mais la pression quotidienne des autorités judiciaires sur les journalistes réformateurs, ainsi que la fermeture de bon nombre de titres auront raison de Hossein.

Symbole du talent et de l’ouverture de la jeunesse d’Iran sur le monde se heurtant à la censure gouvernementale, le journaliste se résigne en 2000 à quitter l’Iran pour s’installer à Toronto, satisfaisant un Régime qui table sur l’exil de ses meilleurs journalistes, activistes des droits de l’homme, et plus généralement jeunes cerveaux, pour continuer à abrutir en toute liberté son propre peuple. Mais c’était mal connaître Hossein…

Le 25 septembre 2001, à seulement 26 ans, Hossein Derakhshan lance son blog en persan “Sardabir: khodam” ou “Rédac chef: moi-même”, utilisant le pseudo “HODER” (pour HOssein DErakhshan). Son fait d’armes, un “guide de création de blog en persan”, expliquant à ses compatriotes d’Iran comment s’exprimer en persan sur la toile. Ce manuel connaît un tel succès qu’en à peine un mois, plus de 100 blogs en persan sont créés. Il existe aujourd’hui des dizaines de milliers de blogs en persan, faisant de l’Iran un des grand pays au monde en nombre de blogs. C’est ainsi que Hossein Derakhshan a acquis le surnom de « Blogfather » ou parrain de la blogosphère iranienne.

En plus d’informer ses compatriotes sur la réalité de leur pays, ainsi que sur les dernières cultures pop-rock en vogue, le jeune homme effectue l’exact chemin inverse en informant le monde entier sur la situation en Iran, avec des collaborations en anglais avec de prestigieux titres tels que le Guardian , le Whashington Post, Newsweek, ou le New-York Times.

Très attaché à la culture française et aux valeurs des Lumières, Hossein Derakhshan s’installe à Paris en 2007 pour y exercer son métier de journaliste et de blogueur. Il se prend vite de passion pour les philosophes post-modernistes tels Foucault, Derrida et Deleuze, également appréciés en Iran chez certains jeunes que la pression quotidienne a faire grandir trop vite.

Manifestement gêné par les diatribes anti-israéliennes du président iranien Ahmadinejad, le Blogfather décide de se rendre en Israël à deux reprises muni de son passeport canadien(il a aussi acquis la nationalité canadienne) dans une “tentative personnelle de mener un dialogue entre les peuples iraniens et israéliens”. Sur place, il trouve aux jeunesses des deux pays de nombreux points communs. Problème, la République islamique d’Iran ne reconnaissant pas l’État d’Israël, tout ressortissant iranien se rendant dans ce pays, même muni d’un autre passeport, compromet sérieusement son retour en Iran.

Étrangement, à partir de ce voyage, c’est à un tout autre Hossein Derakhshan que nous allons avoir affaire. La rhétorique guerrière de l’ex-président américain George W. Bush envers l’Iran, ainsi que le fameux “Bomb Iran“ prononcé par son vice-président Dick Cheney en 2007, vont faire ressurgir le nationalisme exacerbé de l’Iranien évoqué plus haut.

Dès lors, le Blogfather se met à dénoncer la diabolisation médiatique occidentale contre l’Iran, défend le droit de son pays à acquérir l’arme atomique pour pouvoir se protéger d’une attaque, et plus étrange, apporte son soutien au président ultraconservateur iranien Mahmoud Ahmadinejad.

Un soutien de poids dont les autorités iraniennes ne tiendront guère compte…

Novembre 2008, en manque d’Iran, de sa famille et tout simplement de terrain, Hossein Derakhshan décide de se rendre en Iran, malgré les risques, afin de couvrir sur son blog le trentième anniversaire de la Révolution islamique ainsi que l’élection présidentielle de 2009. Selon sa mère, il aurait reçu l’assurance du Conseil des Iraniens de l’étranger qu’il ne courait aucun risque de la part des autorités du pays.

Mais la République islamique a la mémoire longue…

À peine deux semaines après son arrivée, il est arrêté en plein domicile familial et envoyé en cellule d’isolement de la funeste prison politique d’Evin de Téhéran.

 

En octobre 2009, l’ONG des activistes des droits de l’homme en Iran, affirme avoir reçu des informations indiquant que Hossein Derakhshan, qui a passé ses huit premiers mois de détention en confinement solitaire dans différents quartiers de la prison politique d’Evin de Téhéran, a été soumis à de multiples pressions physiques et psychologiques. Selon l’ONG, le blogueur a été battu de manière répétée et a été forcé d’effectuer des “squats” sous l’eau froide. Ses interrogateurs l’auraient menacé d’arrêter son père et sa sœur à moins qu’il accepte de confesser qu’il a été un espion.

Hier, le site internet conservateur Mashregh News, a révélé la condamnation du Blogfather à 19 ans et demi de prison pour « collaboration avec des États ennemis, propagande contre le Régime islamique, propagande en faveur de groupuscules contre-révolutionnaires, insulte envers des saintetés ainsi que la création de sites obscènes”.

Depuis les manifestations de juin 2009, j’ai moi-même hésité à de nombreuses reprises à me rendre en Iran, pour être enfin à nouveau au contact direct du peuple iranien et pouvoir informer au mieux sur mon pays. Mais je n’ai jamais osé franchir le pas, manque de courage sans doute. Or je n’étais pas Hossein Derakhshan. Je ne suis pas à l’origine de la création de dizaines de milliers de blogs en Iran. Je n’ai pas écrit sur le vrai Iran dans tous ces journaux anglo-saxons. Hossein est en prison, et vient d’être condamné à passer les 19 prochaines années de sa vie en prison, une première pour un journaliste iranien. Son tort? D’avoir simplement souhaité informer objectivement sur la réalité de son pays, et d’avoir eu la naïveté de croire que ses dirigeants étaient des gens honnêtes. Manifestement, la République islamique ne tient pas à offrir une autre image de l’Iran. La situation est gravissime. L’Iran de 2005 appartient désormais au passé…

Sauvez Hossein Derakhshan en signant ici.