Ce pourrait être une nouvelle occasion manquée pour Haiti … Wyclef Jean lui-même l’a annoncé sur Twitter : le conseil électoral haïtien ne l’autorisera pas à se présenter à la prochaine présidentielle. Et c’est bien dommage. Plutôt qu’un politicien à la seule stature locale, on aurait aimé voir l’ancien fugee défendre sa candidature et proposer un souffle d’espoir au peuple de Port-au-Prince.

Si à la grande époque des Fugees, on avait dit à leurs fans qu’ils retrouveraient quelques années plus tard Wyclef Jean, un des piliers du groupe, en course pour les présidentielles haïtiennes, ceux-là auraient surement ri à gorge déployée.

Et pourtant, quatorze ans après le célèbre « Ready or Not », c’est bien de cela qu’il s’agit.

Wyclef Jeannelle Jean est né en 1972 à Croix-des-Bouquets, Haïti. A l’âge de dix ans, il émigre aux Etats-Unis et part vivre à New-York. Apres des années de lycée où il se passionne pour le Jazz et le Rap, il rencontre Michael Pras et Laureen Hill. Le trio deviendra le groupe Fugees. Déjà le nom porte la trace de l’exil. (Fugees est la contraction de Refugees.) Leur musique est urbaine et empreinte de reggae. Ce mélange détonnant incluant Laureen Hill, femme dans le milieu du rap, une rareté, fera des Fugees un des plus grands groupes de l’histoire du Hip-Hop. En 1997, après des ventes d’albums qui se chiffrent en dizaines de millions, le groupe se sépare. Pras, Hill et Jean travaillent chacun à des projets qui seront couronnés de succès. On retrouvera notamment Wyclef aux côtés de Carlos Santana et de Shakira.

L’enfant du ghetto accède donc à la richesse et à la célébrité. Il va alors utiliser sa renommée à des fins politiques. Politique au sens noble du terme. Après celle des Fugees vient l’ère de l’engagement. On verra Wyclef Jean soutenir les luttes en faveur des latinos américains sur sol U.S. Il monte sur scène lors du concert Free Tibet, donne des concerts de charité pour Haïti et chante pour soutenir la candidature de Barack Obama. Petit à petit, Jean troque ses seuls habits d’artiste pour devenir activiste. A l’été 2008, on le voit sur le plateau de MSNBC à Denver, en pleine convention démocrate. Jean n’est pas vraiment habitué à ces grandes messes électorales dont l’Amérique raffole mais il s’essaie à l’exercice. L’extrait qui suit est un véritable document. C’est peut-être à cet instant précis, lorsqu’il mesure l’engouement des foules pour la chose publique que Wyclef  murit son projet d’engagement pour Haïti.

En 2005, après le départ du président Jean-Bertrand Aristide, il crée la fondation Yélé Haïti. Wyclef le Fugee revient au pays et ne ménage pas ses efforts pour améliorer la vie des ses compatriotes. En dépit de quelques critiques sur sa gestion interne, Yélé abat un travail considérable. L’association offre des bourses aux étudiants, promeut l’éducation, œuvre à la salubrité et à la sécurité sur l’ile qui jouxte la République Dominicaine. Dans les rues de Port-au-Prince et sur les forums internet, on lit alors : « Wyclef offre à Haïti un visage qui n’est pas, pour une fois, celui d’une victime. »

Le tremblement de terre qui dévasta Haïti en janvier dernier verra Wyclef Jean s’affirmer en seul porte-parole capable de faire entendre la voix de son pays à l’étranger. Omniprésent dans les medias, actif et impliqué, Jean veut sauver les haïtiens de leur triste sort. A l’heure du pessimisme généralisé, il veut croire à un meilleur futur pour le pays qui l’a vu naître. On l’a ainsi entendu dire :

« Si les Israéliens ont réussi à faire d’un désert un pays industrialisé, pourquoi ne pourrions-nous pas refonder Haïti ? Je peux renouer les liens avec la diaspora haïtienne qui vit aux Etats-Unis, je peux les convaincre d’investir dans leur pays. Nous ne pouvons pas compter seulement sur l’aide éternelle de la communauté internationale. Il faut compter sur nous-mêmes. »

Dans un article pour le Soir, Arnaud Robert relate le dernier voyage de la star en Haiti. Il écrit : « Rencontré à Port-au-Prince, le jour du dépôt de sa candidature à l’élection présidentielle du 28 novembre, il (Wyclef Jean) affirme qu’il peut transformer radicalement la destinée de ce pays, qu’il parviendra à reloger les centaines de milliers de Haïtiens qui vivent encore dans des camps géants et boueux, sept mois après le séisme.  Dans un contexte où la frustration et les espoirs déçus grandissent parmi la population haïtienne, le discours de Wyclef Jean et son absence de passé politique jouent pour lui. Les jeunes s’enflamment. Pierre-Louis, 30 ans : « J’ai voté pour deux présidents qui n’ont rien fait pour moi. Qu’est-ce qui pourrait m’empêcher de tenter quelque chose de très différent en votant pour Wyclef ?  »

En ce qu’elle bouleverse les idées reçues sur ces célébrités qui se mêlent de politique, la candidature de la star du Hip-Hop est digne d’intérêt. Car le projet de Wyclef Jean ne ressemble ni à celui de Ronald Reagan, ni à celui d’Arnold Schwarzenegger. L’entreprise est différente : à son origine, un projet magnanime. Dans un pays dévasté par des catastrophes naturelles à répétition et par des années de corruption et de mauvaise gestion, la population se cherche un héros capable de la sortir de sa misère. La situation a tout de l’idéal-type wébérien de domination charismatique. Celle-ci correspond à des situations exceptionnelles et transitoires. Elle est liée à un individu doté d’un profil rare exerçant une fascination sur un groupe. La domination charismatique implique un énorme travail autour de l’image du candidat. C’est bien ce qu’il se passe avec Wyclef Jean. Sa candidature annoncée en grande pompe sur CNN, chacune de ses interventions ressemblant désormais à une ode à l’haïtiannité, ces signes-là ne trompent personne.

Sans aucune expérience politique préalable, la tâche sera ardue pour l’ancien chanteur. Il lui faudra d’abord passer l’obstacle de la commission électorale qui doit étudier la validité de sa candidature. Et Wyclef Jean part avec de sérieux handicaps. D’abord le problème de la double nationalité américaine et haïtienne que la commission juge très sévèrement. Ensuite l’impératif de cinq années de résidence continue sur le sol haïtien avant la date des élections, condition qu’il ne remplit apparemment pas. On a vu par le passé des candidats recevoir des dérogations pour s’engager dans la course à la Présidence. Toute la question est de savoir comment l’actuelle élite haïtienne voit cette candidature inédite…  Au regard de l’opposition acharnée des politiciens locaux au projet candidature de Jean, l’affaire semble mal engagée. Selon CNN, de très récentes menaces de mort conduisent même le candidat à se cacher quelque part dans le pays.

Il aurait été intéressant (les nouvelles qui nous parviennent d’Haïti sont encore floues à l’heure où ces dernières lignes sont écrites et les supporters du Fas a Fas, parti de Wyclef Jean oscillent entre joie et déception) que Jean puisse proposer sa candidature. Car Haïti ne doit sortir ni de l’agenda international, ni de nos préoccupations citoyennes. Voilà, en plus d’une bonne dose d’espoir et de positivité, ce que peut apporter Wyclef Jean à son pays.

A l’heure des indignations expresses dictées par les titres des journaux télévisés, la candidature de la star haïtienne a le mérite de laisser le projecteur braqué sur Haïti, Haïti où loin de l’agitation électorale le travail de reconstruction s’annonce lent et difficile.

4 Commentaires

  1. C’est le Sun effect. Ça vous condense une goutte d’espoir, et vous la crame une heure plus tard.

  2. Autre petit obstacle, il ne parle aucune des deux langues officielles du pays (le français et le créole).

  3. C’est un bonheur de ne revenir nulle part ailleurs que sous la constellation Fugees. Mais si Jean réussit son coup de foudre, ce serait là pour Haïti comme passer du ressentiment sédicieusement compréhensible des Piérides ignifuges, au sentiment universellement appréhensif des Muses passées à l’ennemi de toutes les nations, transfuges aux ailes déployées d’un bord à l’autre qui vont s’avérer être une seule et même bordure d’un disque sans diamètre. Il y a deux types de défense opposables aux idolâtries préhistorique et historique. Le séparatisme, et la séparation des séparatismes. Le premier système se fonde sur une réaction mimétique, le second, sur une action éthique. La réaction primaire atteste de la logique de l’affront. L’action évoluée la conteste. Pourquoi l’affrontement n’a pas lieu d’être au sein même de l’humanité? Parce que son lieu n’est pas celui de l’hominité, dont l’adaptabilité bipède et le cerveau développable à la faveur de son environnement, confère à l’hominidé les caractéristiques d’une évolution à vue. Et là où le front se déforme en même temps qu’il se meut, il ne saurait être question de ligne de front. Mais il y aura une danse chorégraphiée par le vide placé sous le contrôle d’un maître du dripping, une danse amortisseuse des vents de toute provenance, une résolution en caducée à toute croisée de cheminements.