Ces quelques lignes de gratitude et… de revanche
Aux amis et compagnons de route qui ont pris ma défense…
Votre voix, dans le désert qui m’entoure, m’a ému et conforté, chers Umberto Eco, Michaël Foessel, Donatien Grau, Nedim Gürsel, Gilles Hertzog, Bernard-Henri Lévy, Claudio Magris, Olivier Py, Salman Rusdie, Peter Sloterdijk, Pierre Zaoui et tous les autres dont les noms ne se trouvent pas sur la page du «Monde» du 24 juillet. Merci à tous ceux qui m’avez téléphoné ou envoyé des messages déjà avant ces jours pénibles.
Je remercie, au même titre, ceux d’entre vous que je n’ai eu l’occasion de connaître que par leurs œuvres et ceux avec lesquels j’ai pu collaborer en diverses occasions défendant non seulement un « droit à la liberté d’expression », somme toute banal, mais aussi un droit à l’ expression de la liberté, plus fondamental. Cher Bernard-Henri, je n’oublie point nos rencontres à Sarajevo pour aider les musulmans bosniaques; et je me souviens également d’un extraordinaire dialogue que nous avions tissé en plein guerre avec Alija Izetbegovic. Cher Gilles Hertzog, tu m’as aidé plus d’une fois à poursuivre mon engagement à Paris lorsque je m’y étais réfugié, dans les années 90. Ce fut surtout au moment où Bernard-Henri et toi aviez commencé à bâtir « La Règle du jeu » que nous nous sommes le plus rapprochés. Cher Claudio Magris, je n’oublierai jamais ton soutien lors de mes années « entre asile et exil » en Italie, ce n’était pas si facile pour moi au début – mais tu as été là, à mes côtés, et cela allait comme de soi. Cher Nedim je me souviens de notre alliance contre les mythes anti-turcs dans les Balkans. Merci également à vous autres, tous ensemble, qui êtes avec nous, face à ceux qui nous condamnent, dans n’importe quel pays.
Il n’est pas si facile de comprendre ce qui m’arrive en la circonstance. Figurez vous : cela commence par le récit d’un voyage en Bosnie, fait à l’invitation du « Centre André Malraux » qui fut fondé à Sarajevo sous les bombes; un texte que j’ai publié en 2001 et qui portait le titre « Nos Talibans » (en italien « I talebani cristiani »), décrivant un pays douloureux qui avait vu les massacres et les persécutions, « l’épuration ethnique » sous sa forme la plus cruelle.
Mon essai n’oubliait pas non plus les écrivains qui avaient contribué de toutes sortes de manières à répandre la haine et le sang. Je ne pouvais pas imaginer que cette prise de position pût suffire à faire condamner l’auteur, après l’accusation faite par un poétereau ultra-nationaliste, mentionné en passant, parmi d’autres « talibans », serbes et croates en premier lieu.
Et cela, pourtant, s’est produit. En 2005 je fus condamné à cinq mois de prison ferme, « conditionnés » par un délai (ou sursis) de deux ans. Je vivais alors en Italie. Il y eut à cette occasion, des protestations de tant d’amis qui vous ressemblent. Je suis retourné après mes 18 années d’émigration pour finir dans les Balkans un livre sur « Notre pain ». Il y a un mois, je reçois une lettre provenant de la Cour suprême qui confirme la condamnation de la première instance d’il y a cinq ans. On s’imagine facilement ce qui vient après.
Cela vous semble absurde, n’est-ce pas ? A moi aussi. D’autant plus que j’ai eu l’occasion de défendre modestement par la plume tant de « compagnons de route » de différentes nationalités en ex-Yougoslavie, ainsi que certains « étrangers » dont les noms vous sont bien connus: Soljénitsyne, Sakharov, Vaclav Havel, Siniavsky ainsi que Joseph Brodsky qui fut pour moi un frère.
J’ai composé tout un livre de ces « épîtres », montrant ainsi la vraie face de ceux qui nous condamnent pour ce qu’ils nomment couramment « un délit verbal » et que j’appellerais plus simplement, dans mon cas, un « péché de métaphore ». Je comprends bien que le pouvoir, quel qu’il soit, a de bonnes raisons de se méfier de mauvais esprits. Hélas ! Belle récompense…
Mais après votre démarche, après la mobilisation que vous avez déclenchée, après l’écho mondial qu’a eu votre texte de soutien, j’ose espérer qu’ils n’oseront pas aller trop loin, plus loin. Et je me réjouis, pour l’heure, de rejoindre votre Cénacle – le comité éditorial de La Règle du Jeu où je compte tant d’amis.
Merci à nouveau.
Predrag Matvejevitch
Zagreb, 25 juillet 2010
Quel que soit le nom que recouvre une action, ce nom devra répondre de cette action dont la description anonyme, quand celle-ci se révèlerait sous un jour criminel, constituerait un délit de complicité à l’endroit de celui-là. Et pour cause, le crime de délation sous l’Occupation nazie, ne consista jamais dans le principe de dénonciation du criminel mais dans l’attribution d’une criminalité principielle à la personne du Juif. Or, pour plus de cohérence quand la question du nom cherche vainement à recouper celle de la dénonciation au centre du débat, mon nom est Bruno Pons Lévy. Je signe Asermourt, que je sépare de droite à gauche en un A recomposé à partir des deux barres constitutives du T final, que je décale pour le placer en tête du mot Amour, associé avec Aser ou Ashér, huitième fils de Ia‘acob né de Zilpa, servante de Léa, dont il est dit en Gen. 49:20 «D’Ashér, son pain est crémeux, lui, il donnera les délices du roi», l’excellence de ce pain provenant selon le Midrach Rabba, de la nature divine incarnée par les pains de proposition, cette nourriture céleste qui est une métaphore de la sagesse; Amour et Sagesse se devancent l’un l’autre à tour de rôle, selon comme Pythagore ou Lévinas essaient péniblement d’indiquer son chemin à l’auteur de ce texte. Le nom, qu’il nous fut donné ou qu’on se le donna soi-même, est une main caressant à sa manière tout ce qu’elle nomme. Cette main possède sa propre griffe. Si elle ne reconnaît pas les mots tels qu’on lui reproche de les avoir gravés dans les esprits, qu’elle en redessine tout de suite le tracé.