Avec Proust, Péguy et Céline, Sacha Guitry est le plus grand écrivain français du 20e siècle. Ce 20e siècle (si proche et déjà si lointain), Proust l’a annoncé, Péguy l’a prévu, Céline l’a inventé et Guitry l’a… ignoré !
Proust idolâtrait Racine. Péguy était fou de Corneille. Mais Guitry, lui, reste un enfant de Molière. Ce bourgeois paradoxal était, dans le confort désuet de son hôtel particulier, parmi ses tableaux de maître et enrobé dans une robe de chambre cachant (très) mal ses kilos en trop, un véritable saltimbanque, quelque chose, même, comme un révolutionnaire pur.
Car Guitry, avec sa moumoute et ses cigarettes, ses célèbres foulards et ses façons, ses minauderies et ses bagouses, prouve qu’un artiste, et par conséquent le plus grand d’entre eux, n’a nul besoin de crever la dalle à la Rimbaud, de vivre sous la lune en mendiant, bouffant des artichauts en jouant de l’accordéon, la gueule défaite et remplie d’hématomes littéraires, pour fonder un univers et bâtir une cathédrale. Car comme la cathédrale proustienne, l’œuvre de Sacha, qui n’est légère que pour ceux qui ne la connaissent pas, et reste infiniment profonde pour ceux qui n’ont pas eu peur de la visiter, est riche de piliers et d’absides, de voûtes et de vitraux, de chœurs et d’orgues, de messes inouïes, de miracles inconnus.
Je comprends bien les réfractaires : refroidis par les aphorismes mysogines colportés pendant des décennies aux Grosses Têtes, ou dans les soirées Brialy, ils s’imaginent que Sacha ne fut qu’un mondain aux cocasseries lapidaires, aux bons mots cyniques, aux jugements humoristiques. Réduire Guitry à ses petites phrases sur les femmes, c’est comme réduire Paris à la Tour Eiffel. J’affirme ici (c’est vérifiable) que : jamais Guitry n’a prononcé, ni écrit, ni proféré le moindre « bon mot », qu’il détestait les citations, les mots d’esprit, les blagues et qu’il n’aimait rien tant que la littérature, d’une part, et les femmes d’autre part.
Seulement, la littérature, pour lui, ce n’était pas la triste sarabande des lecteurs gris, saturés de poètes obligatoires, ni le rendez-vous des tristesses ennuyeuses et des philosophies bavardes. « La littérature hermétique, écrit-il, c’est ce que j’en saisis justement qui m’échappe. » Pour lui, la littérature, ce n’est pas le livre. C’est le théâtre, c’est le mot qui est dit, qui est lancé, qui jaillit, c’est la scène, c’est le son, ce sont les conférences et c’est le cinéma.
La littérature, c’est aussi la correspondance : Sacha collectionnait les lettres de Rousseau, de Voltaire, de Diderot. Les lettres d’amour, bien entendu. L’amour est son grand thème, évidemment : avec deux cocus, une armoire et une cocotte (car c’est un génie de l’économie de moyens – il pouvait tourner un long métrage en une semaine !), Sacha atteint dans l’étude des passions humaines des sommets de finesse et de justesse, de profondeur et d’intelligence que jamais aucun Sartre, trop scolaire, aucun Malraux, trop verbeux, ni aucun Camus, trop solaire, n’atteindra jamais.
A vrai dire, la puissance créatrice, intellectuelle, métaphysique, de Sacha, est phénoménale : et c’est dans une langue d’une totale limpidité, simple comme bonjour, qui semble couler de source (mais qui, dépourvue du moindre tic, reste impossible à imiter) que Guitry perce à jour les hommes et leur âme. Son total génie vient du fait, entre autres, qu’on a toujours l’impression qu’il vient de trouver, devant nous, en direct, et sans le moindre labeur, la formulation la plus simple pour décrire une situation donnée – dût-elle, cette situation, être la plus complexe du monde.
Pour être un vrai révolutionnaire, il n’est pas obligatoire, comme chez Céline, de révolutionner le langage : on peut changer d’angle, et c’est alors dans la nouveauté de la perception, dans la fraîcheur inédite de l’acuité, dans le chamboulement des perspectives qu’à défaut, peut-être, de changer le monde, on parvient à lui en substituer un autre, où les érudits sont des cons, la politique sans importance, la vie facile à vivre et l’obsession du bonheur un gadget pour les adultes. Dans le minuscule périmètre de son salon, de son bureau, de sa chambre, Sacha installe sa comédie humaine et modifie, jusqu’à l’ivresse, tous les codes de tous les arts connus. Il pervertit tout. Il casse tout. Il tord tout.
Les conventions ne l’impressionnent pas, puisqu’il en invente une centaine par jour, et des plus bêtes, des plus rigides encore que les vraies, pour le seul plaisir de respecter seulement ce qui émane de lui. Par exemple, dans Quadrille, (le film, la pièce, le livre, peu importe, chez lui tout ça ne fait qu’un) il imagine un vaudeville dans lequel tous les protagonistes, quels qu’ils soient, et du début à la fin, ne font dire que la vérité ! Au premier visionnage (ou à la première lecture), on sent bien que quelque chose cloche, qu’un truc est bizarre, qu’on n’est pas dans l’euclidien, le classique, le défini… Qu’il y a un on ne sait quoi d’exotique dans ce décor méga-familier.
Même chose, mais à l’envers, avec Le nouveau testament : cette fois, il n’est pas un seul mot prononcé, par quelque personnage que ce soit, qui ne soit un mensonge. Et cette mécanique est implacable : il y a de l’oulipien dans Sacha. D’ailleurs, la ‘pataphysique, il connaît : il a des pages magnifiques sur le Jarry misérable des bords de Seine, vivant seul dans une masure parmi les rats. Guitry, quand il peint ses amis, vous fait tirer les larmes. C’est qu’il est fasciné, comme Proust, comme Céline, et comme Péguy, par les derniers instants de ses proches. C’est un maniaque des chevets : il est là, à la table des mourants, infiniment réceptif à leur ultime pensée, traumatisé à l’idée que leur message dernier fût susceptible d’être trahi. C’est son côté Kundera !
Et puis Guitry, aussi, aide (comme Péguy) à n’avoir aucun complexe : à faire de soi un style. A faire de soi, non un modèle pour les autres, mais un modèle pour soi-même ! Il y a un culot, chez lui, d’être lui-même et personne d’autre qui force le respect. Les ennemis de Sacha appellent ça de l’arrogance. Ses amis appellent ça être un grand artiste. Un écrivain depuis sa chambre, mais pas en chambre. Un cinéaste qui tourne dans ses appartements, mais dont les films ont fait le tour du monde : Orson Welles, qui l’admirait, lui a piqué plein de trucs, des idées de travelling, des plans, et cette fameuse voix off du Roman d’un tricheur qu’on retrouve (en moins réussie, d’ailleurs) dans Citizen Kane.
Guitry a été, est toujours (il n’est pas près de crever), l’artiste total : il a filmé des peintres (voir ce chef-d’œuvre qu’est Ceux de chez nous), dessiné des écrivains, et décrit des acteurs ! Ce qu’il préférait, c’était dessiner son autoportrait en revenant d’une journée où, le matin, il avait terminé le tournage d’un de ses films où il jouait le rôle principal, et le soir, fêté la centième d’une de ses pièces où le premier rôle était pour lui ! Ce n’est pas de la mégalomanie : mais de l’humilité au contraire. Il avait bien compris que pour faire du Guitry, il était plus facile d’être Guitry soi-même. Que sinon c’était trop compliqué. Sacha n’était pas tant écrivain, réalisateur, metteur en scène ou acteur que ça : il était surtout Sacha en train d’écrire, Sacha en train de filmer, Sacha en train de mettre en scène et Sacha en train de jouer. C’est pourquoi, dans sa folie même, qui n’est déguisée en sagesse de notable et en sérénité de bourgeois que pour faire fuir les esprits bornés et perturber les a priori, Guitry est mille fois plus proche de Fassbinder que de Paul Bourget, de Pasolini que de Jean d’Ormesson.
Exactement comme Gide n’avait pas voulu lire Proust parce qu’il avait souvenu d’avoir croisé cette face de mondain à des cocktails récurrents, on refuse le statut d’artiste génial à Sacha à cause de ses foulards de soie, de ses chaussons et de ses résidences. C’est un délit de sale gueule. Mais l’œuvre est là qui se venge. Elle est toute neuve.
Il y aurait pourtant bien un moyen… le pardon? Mais non! puisque Hachem seul pardonne. Qui suis-je, moi, l’adam, pour me substituer à Hachem? Il est bien dit que l’homme disposera de chaque heure de sa vie pour obtenir le salut, mais lorsqu’à la minute précédent sa mort, il ne se serait pas conformé à l’ultime critère, que rien ni personne ne pourrait plus l’arracher au Gehinom. Or, voici que les Makabim, après leur victoire sur Antiochos, de retour des combats, prièrent pour le salut de ceux qui cheminant vers l’adversaire, n’avaient pas eu le temps de prendre le chemin de la rédemption. En quoi consiste cette voie d’accès au salut chez les Juifs, _ car sans eux, l’affaire Guitry ne prendrait pas ces proportions d’abysses, _ c’est ce que je me suis permis de rappeler humblement en défense d’un autre homme qui continue de défrayer la chronique et d’effrayer la parano chronique, malgré le refus d’extradition dont il bénéficie. La rédemption pour les Juifs, procède en plusieurs étapes.
1. Confesser ce dont on fut coupable. Le fait de reconnaître ainsi l’objet du mnésicide, fait atteindre au coupable l’objectif dont il lui est intimé l’ordre suprême de reprendre connaissance, a priori de l’avoir redonnée. Ceci est une condition, ayant valeur de substrat du jugement.
2. Manifester du remords. D’avoir, à présent, éprouvé à haute voix le reproche violent reçu de sa propre conscience, les réversions, réprobatrice et conscientielle, se révèlent l’une l’autre et s’assurent l’une de l’autre, auprès de ceux qui avaient eu à subir leurs aversions.
3. Promettre de ne pas récidiver. Ce dernier stade préparatoire au découvrement, achève de confirmer l’efficience des deux stades précédents.
La rédemption des morts était donc à portée d’âme humaine. Or les frères Makabim ne pouvaient agir ainsi qu’avec leurs seuls frères Israelim. Pour autant, vint Iéshoua‘, parmi eux. Et pour même qu’Israël doute encore qu’il fût bien son Machia’h, lui ne douta jamais de son appartenance à la Révélation sinaïtique dont il venait accomplir la prophétie. Et si Iéshoua‘ se voulut le Rédempteur universel, ce n’est pas à l’intention de pousser Israël hors de soi vers les nations, mais à dessein d’attirer les nations hors d’elles-mêmes dans le sein d’Israël. Alors, une fois n’est pas coutume, nous pourrions tenter de recevoir l’âme de Sacha en Ben Israël, et d’agir envers elle en Achiv Makabi, avant que de poursuivre ce Voyage au bout de la lumière à travers cette forêt noire, que n’a jamais vraiment cachée pour vous et moi, l’arbre Guitry.
Comment peut-on dresser une liste aussi succincte en essayant vainement de nous convaincre , que seul ces personnes étaient les plus grands écrivains du xx siècle ? Je suis d’accord avec vous Proust, Péguy et Céline, Sacha Guitry étaient incontestablement des maitres dans leur art .
De là a dire les plus grands… ! Quid de Guillaume Apollinaire , François Mauriac , Albert Camus , Aragon et plein d’autres encore !? Va falloir vous enlevez quelques oeillères , ça vous permettra d’ élargir votre champs de vision un brin limité !
J’ai dû dévorer chaque image de chaque seconde de chaque bobine de chaque film de Guitry. Son immortalité est patente! Comme le Jouvet de Drôle de drame ou l’Yves Tanguy de Man Ray, Guitry est un punk avant l’ère, un insaisissable de tout contemporain. Je souscris à chaque mot de votre lettre d’amour, expédiée au tombeau de ce fleuve amoureux des hommes emportant toute femme sur son passage. Or, il y a un or. Ce qui maintenant me dérange foutrement, c’est cette façon de gommer de sa biographie claire, sa biographie obscure. Si vous aimiez vraiment Céline, vous le haïriez d’autant plus pour ce qu’il fit en mal que vous l’aimez outrageusement pour ce qu’il fit en bien. Pareil pour Guitry. Aimez-le comme tout Juif amoureux de Mahler se doit d’être à l’instar de celui qu’il aime, amoureux de Wagner! Or lorsque l’on aime un homme ou une chose, on ne veut pas en perdre une miette. Imaginez que Guitry est votre propre père. Un père que vous aimez même quand vous le haïssez. Un père pour qui vous vous feriez égorger même quand vous rêvez de le pendre. Vous verrez alors que vous aurez du mal à oublier qu’à un moment où la grandeur en ce pays faisait tellement défaut, l’immensité d’un résistant immense tel qu’à n’en point douter Sasha l’aurait été, n’eût pas été de trop.
P.S. : Pardon Sacha pour ce «Sasha» avec deux S. Sans doute une irrépressible association d’idées.
(…) on peut changer d’angle, (…), tiré de ce même très beau papier.
Faites au moins l’essai.
Guitry n’était plus en âge de rentrer dans la résistance.
Charles de Gaulle, né le 22 novembre 1890.
Sacha Guitry, né le 21 février 1885.
Il y a une infinité de façon d’entrer en résistance. Donner sa fascinante voix off à Radio Londres, par exemple. Convaincre a priori de vaincre.
Encore une fois, je n’aime pas moins Sacha après le 17 juin 40. L’amour ne diminue pas, il n’est conçu que pour augmenter, ou s’augmenter de nuances sur l’échelle des sentiments.