Voilà, nous la tenons, la première surprise de ce mondial.
Elle nous vient des Suisses, entraînés par O. Hitzfeld, un allemand, tout ça en jouant à l’Italienne. Ils ont remporté leur guerre d’Espagne. Par le plus petit des scores. Gagner, au football, c’est mettre un but de plus que l’adversaire. C’est ça, le principe de réalité, au football. On peut fantasmer autant qu’on veut, penser que l’Espagne méritait de gagner, que l’Espagne a mieux joué, que l’Espagne ceci, que la Suisse cela, qu’il y a avait un pénalty à tel moment, un hors-jeu sur le but, il n’empêche qu’au coup de sifflet final, le score affiche sa terrible réalité. L’Espagne a été battue.
L’Espagne, à l’évidence, ne s’attendait pas à un tel catenaccio façon suisse.
L’Espagne, comme elle l’a toujours fait, a joué à la ba-balle… comme on dit sur le bord des stades. Le Portugal souffre du même mal, tout comme les équipes très techniques d’ex-Yougoslavie.
Ça joue à la ba-balle, ça colle à l’Idéal, c’est beau à voir, c’est narcissiquement complaisant mais peu concluant. On va me répondre que l’Espagne vient de gagner la coupe d’Europe. Certes, mais à bien y regarder l’Espagne la doit à une petite différence qui est ici absente, cette différence, elle s’appelle Marcos Senna, le brésilien naturalisé espagnol, actuel joueur de Villareal et finalement non-sélectionné pour le mondial. Grossière erreur, à mon humble avis.
Mais revenons à ces équipes qui jouent à la ba-balle, elles ont du mal à adapter leur jeu au moment voulu. La preuve, elles n’ont jamais gagné une coupe du monde.
Après le but suisse (52ème minute), l’Espagne n’a pas adapté son jeu, elle a juste joué de la même manière mais avec plus de précipitation et nervosité.
Ici, nous entrons dans un domaine qui dépasse le seul domaine du football. Ce qui est en jeu ici, c’est la capacité d’une équipe à laisser une ouverture à l’autre, bref, à accepter la rencontre. On dit ça, au foot, on parle de la « rencontre sportive » qui est bien pus complexe que la confrontation. Confrontation : on voit deux blocs s’entrechoquer. Ce n’est qu’une partie de la rencontre, ça. Une autre caractéristique d’une rencontre, et qui la singularise de la simple percussion de deux astéroïdes, c’est cette adaptation, ce que Marc-Alain Ouaknin, étudiant la Cabale, formule ainsi : «Le jeu est, comme dans la Rahamim, une possibilité d’altérité-altération de soi. »
Rahamim (Hébreu), en langue de football, ça se traduirait par : permettre une ouverture tactique dans sa tactique de départ sans pour autant la rejeter. Voilà de quoi n’a pas été capable l’Espagne devant l’improbable : que sa victoire n’ait pas lieu.
Faire de soi autre chose que soi, accepter de s’éloigner de son Idéal pour négocier avec le principe de réalité.
Voilà ce dont l’Espagne n’a pas été capable.
Accueillir l’improbable et se refaire le portrait à son image.
Voilà ce dont l’Espagne n’a pas été capable.
Et sans cette faculté, personne ne gagne ni la coupe, ni les faveurs du Monde.
Depuis avant-hier, cette coupe n’a plus aucun intérêt.