Kornel Mundruczo, Un Garçon fragile – Le Projet Frankenstein, En Compétition,
Hong Sang-soo, Hahaha, Un Certain Regard,
Nikita Mikhalkov, L’Exode – Soleil trompeur 2, En Compétition
Cannes 2010, clap de fin – en ce qui nous concerne en tout cas. On s’apprête à plier les gaules et, histoire d’en rajouter une louche dans le registre « tristesse des départs », on s’avale une petite bouffée de sinistrose hongroise avec Un Garçon fragile – Le Projet Frankenstein. Les inconditionnels des éclairages façon aquarium crépusculaire et les amateurs de verdâtre blafard seront comblés : le film de Kornel Mundruczo est un feu d’artifice de lumières anxiogènes.
Ca partait d’un bon pied, pourtant, ce film qui revisite le Frankenstein de Mary Shelley. Un cinéaste en pleine fermentation créatrice fait défiler des prétendants aux rôles de son prochain projet pour une séquence de casting d’un surréalisme si ascétique qu’il en devient lugubrement désopilant. Mais le film ne tarde pas à s’enliser dans sa propre caricature, et les mines de six pieds de long de ses personnages deviennent une fastidieuse galerie de portraits accablés.
Un peu d’assouplissement des zygomatiques s’impose : on jette son dévolu sur le dernier opus du Marivaux alcoolo coréen, Hong Sang-soo, au titre prometteur – Hahaha. Comme toujours, on picole sec et on s’amuse ferme dans l’enchevêtrement de cette double histoire. Deux copains déroulent, en enquillant les petits verres, les fils embrouillés de leur vie sentimentale. Les histoires se répondent et se croisent dans un vaudeville burlesque, où l’on bavarde de la vie, de l’amour et de la poésie avec autant d’entrain qu’à la grande époque de la Nouvelle Vague.
Hong Sang-soo est un immense conteur de cinéma, un prodigieux architecte d’histoires. Mais c’est surtout un poète de l’insignifiant, un des rares à savoir jouer des grandes orgues du mal-être existentiel sur la banalité du quotidien. Une remarque pédante d’un touriste au cours d’une visite suffit ainsi à susciter une envolée frémissante de leur guide, véritable réquisitoire contre la médiocrité des temps présents. Hahaha est un salutaire paradoxe – un film modeste, ludique et ambitieux en même temps.
L’ambition, ce n’est pas ce qui manque à Nikita Mikhalkov, dont on vient de s’infliger L’Exode – Soleil trompeur 2, long comme un jour sans blini. On retrouve les Kotov – l’ex-Général, sa fille Nadia – du premier volet de Soleil trompeur, aspirés cette fois dans la tourmente de la Seconde Guerre Mondiale, alors que les Allemands déferlent sur la Russie. Et il y a toujours, patelin et matois, le Petit Père des Peuples à l’arrière-plan. Comme il y a toujours cette propension de Mikhalkov à l’image tapageuse, depuis les personnages aux traits forcés comme des grotesques jusqu’aux scènes de guerre qu’on dirait tout droit sorties de jeux vidéo.
Mais le bruit et la fureur ne sont là que pour faire diversion. Car le rêve de Mikhalkov, qui ne lésine pas les effets de lumière chaude et ambrée, ni sur les efforts de composition, c’est un film qui serait l’équivalent d’un tableau historique accroché aux cimaises de l’Ermitage. Le pari est réussi : sa grande fresque boursouflée atteint des sommets d’art pompier. On espère que ce soleil en toc ne trompera pas le jury demain.