Filles en noir, Jean Paul Civeyrac
Poetry, Lee Chang-dong

 

Le mercredi c’est poésie. Poésie et retour aux années lycée avec le très littéraire Des filles en noir. On a tous connu ces filles tout de noir accoutrées, avec piercings, tatouages et breloques morbides en sus. Ce sont deux de ces ados « gothiques », mal dans leurs Doc Marten’s, qui électrisent le film de Jean Paul Civeyrac. « Electrisent », littéralement : l’intensité nerveuse, la tension qui habitent Noémie et Priscilla ne se relâchent que ponctuellement. Car Jean Paul Civeyrac s’interdit les facilités du film de djeuns. Pas de regard rétrospectif humide sur l’adolescence enfuie non plus, encore moins de fantaisie complaisante façon Klappisch dans Le Péril jeune ou L’Auberge espagnole.
A la place, c’est tout le sérieux de ces années qui est restitué – leur urgence et leur gravité. Les pulsions suicidaires de Noémie ne sont pas de l’esbroufe ou le jeu un peu vain d’une ado désoeuvrée. Non, c’est le produit d’une quête d’absolu, d’une exigence de pureté et d’intégrité dans l’existence qui ne saurait se satisfaire d’un piètre monde adulte. Et ce n’est pas pour rien que Kleist et Schumann sont convoqués en guest-stars. Pour Civeyrac, l’adolescence est romantique, au sens le plus noble du terme : elle veut l’infini ou rien. Ce désir-là porte un beau nom, un peu vieillot hélas, celui de poésie.
On reste dans la poésie avec, justement, le beau Poetry du Coréen Lee Chang-dong. Mija, sexagénaire menue qui met un point d’honneur à arborer de très colorés chemisiers fleuris, se découvre une âme de poétesse. Pas étonnant : la petite dame cultive une douce excentricité, vivant en léger porte-à-faux avec le monde qui l’entoure. Lee Chang-dong s’amuse à brocarder gentiment les rimailleurs amateurs que fréquente Mija – mais c’est pour mieux faire ressortir la puissance, à la fois terrifiante et salvatrice, de l’authentique poésie.
Car ce n’est pas un passe-temps inoffensif pour aimables préretraitées, ce n’est pas l’équivalent intellectuel du macramé : c’est un véritable basculement de tous les repères – une manière de voir autrement, au cœur des choses. Et tout le film aiguise ce regard inquisiteur, Mija découvrant les abîmes que cachent ses proches, la laideur et la brutalité tapies sous la réalité. Mais ce vertige du dévoilement aboutit, fugitivement, à un moment d’éblouissement : par la grâce de la poésie – et du cinéma – le visage d’une adolescente suicidée refait surface à l’écran. A la sortie de la séance, changement d’atmosphère : une sono passe Frankie Goes To Hollywood à pleins tubes. La poésie de Cannes, c’est aussi ce genre de rapprochement surréaliste.