La France s’est intéressée au Darfour, je peux en témoigner. Même l’ancien ministre des affaires étrangères M. Douste Blazy, quoiqu’on en dise s’y était intéressé au moins après le 20 mars 2007, date de la grande manifestation du collectif Urgence Darfour à la tribune de laquelle étaient présents notamment BHL et Bernard Kouchner (BK). Le ministre, lui, était dans la salle, il a compris le message et me proposera le statut de réfugié politique pour le président du Mouvement de Libération du Soudan (SLM), Abdul Wahid Al Nour (AW) qui, lui, le refusera sous l’argument majeur qu’il n’est pas un réfugié mais un combattant de la Liberté. A cette manifestation à la Mutualité étaient présents aussi les principaux candidats à l’élection présidentielle ou leurs représentants mandatés qui tous ont signé un engagement écrit de protection des populations. Nous étions deux, BHL et moi, les seuls à avoir fait un long périple clandestin avec les hommes du SLM, à pouvoir témoigner directement des horreurs vues.
Le président Sarkozy est élu et nomme son ministre des affaires étrangères. AW, qui était venu en Europe pour trouver une aide pour « son peuple », jubile ; je lui avais présenté BK quelques mois plus tôt, ils étaient devenus amis. Il a fallut tempérer un peu l’enthousiasme, expliquer que l’ami était devenu Ministre de la France. Néanmoins l’enthousiasme était aussi ministériel : la première réunion organisée au Quai d’Orsay fut consacrée au Darfour. Le nouveau ministre rêvait d’organiser des couloirs humanitaires, il avait encore les mains libres et la vision mais évidemment les institutionnels de la Charité n’en voulaient pas, ça venait de Bernard. A coté de ces bassesses pointait l’idée d’un humanitaire de secours comme s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle dans une petite région africaine subsaharienne. Impossible de faire entendre qu’il s’agit d’un problème politique à l’échelle du Soudan, l’humanitaire est devenu le cache misère de l’indigence politique. Exit la prise de pouvoir de Béchir par un coup d’Etat militaire en 89 (son parti avait perdu les précédentes élections avec seulement 10% des voix), exit les vingt ans de massacre et ses deux millions de morts au nom du Djihad contre ceux qui, non musulmans, refusaient la Charia dans le Sud et dans les Monts Nubas, exit les rapports étroits du régime avec la mouvance terroriste islamiste dans tous ses groupes (accueil de Carlos, de Ben Laden, du Hamas sans parler des accords militaires avec l’Iran). De l’aide pour le SLM ? On trouve AW sympathique.
La France s’intéressait au Darfour (toujours pas au Soudan) : elle organise immédiatement une grande conférence internationale à Paris. Grande victoire ! Pour qui ? On essaie de convaincre AW d’aller en Libye négocier avec ceux qui n’avaient à cinq reprises pas respecté leurs engagements ; Kadhafi était un grand ami de la France, il devait même acheter une centrale nucléaire après sa courtoise visite dont les parisiens se souviennent encore. A cette époque les américains faisaient encore plus, incapables d’appliquer des sanctions aux bourreaux, ils avaient proposé des sanctions contre les victimes qui se défendent… (Natsios, Negroponte) mais ça n’avait choqué personne. Parallèlement, on donnait des experts pour expliquer au bon peuple que c’était une histoire ancienne de tribalisme mais à notre connaissance il n’est pas de milice Djandjawid (cavalier du diable) qui ait une capacité de bombardement aérien. On a parlé de guerre climatique, certes il y eut des sécheresses dont celle de 84 à 87 qui permit au colonel libyen de créer là bas les premières milices islamiques soudanaises mais l’eau qui arrive en Libye vient largement du Darfour…
La France s’est intéressée au Darfour et elle a organisé une réunion entre le SLM et les 5 du conseil de sécurité, l’ONU et l’Union Africaine ; on y a conclu qu’aucune négociation n’était possible sous les bombardements, les bombardements continuent et la France ne cesse de faire pression sur AW pour qu’il aille aux négociations à Doha… notre nouvel Eldorado. D’ailleurs l’homme est en situation irrégulière depuis plusieurs mois ; il n’aura de titre de séjour et de droit de retour que s’il accepte d’aller là bas. Là bas alors que le gouvernement soudanais ne veut rien céder notamment sur la démocratie et le développement selon BK dans « le Point », là bas où ceux d’un autre groupe qui avaient signé un accord de « bonne volonté » ont été bombardés dès leur retour au pays. Est-ce à dire que la France ne veut accueillir que des tyrans : Mobutu, Baby Doc, Khomeiny, Sa majesté le cousin Bokassa… et que s’agissant d’un homme se battant pour la liberté et la laïcité cela devient plus difficile ?
La France qui n’a aucun intérêt au Soudan et qui avait été en pointe pour la saisine de la Cour Pénale Internationale (CPI) veut maintenant que la victime négocie avec des assassins poursuivis et surarmés ; de fait l’embargo ne gène que les résistants et pas le Soudan. La CPI avait déjà poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité Mr Haroun (membre du gouvernement soudanais) qu’évidemment Khartoum a non seulement refusé d’extrader mais en a, en outre, cyniquement, fait son « ministre » de l’action humanitaire rendant d’ailleurs tout fonctionnaire des Nations Unies rentrant en contact avec lui susceptible d’être accusé de complicité des mêmes crimes.
Pendant ce temps les combats n’ont jamais cessé, le gouvernement français nous a simplement fait part avec satisfaction d’une baisse d’intensité (moins de morts). Mais l’armée soudanaise vient de lancer une violente offensive dans le Djebel Mara et la possibilité d’une amélioration des relations avec son voisin tchadien se fait sur le dos des darfouris : Béchir et Deby s’embrassent, les darfouris meurent.
Puisqu’AW refuse d’aller à Doha sous la pression du « je te donne un visa si tu vas à Doha » certains membres de la communauté internationale ont joué dans la fragmentation du SLM le même rôle que le président soudanais et ont beau jeu après de remarquer des guerres fratricides…
Finalement, Khalil Ibrahim signe un accord à Doha: entre islamistes on peut toujours s’entendre et peut-être va-t-il même retrouver son poste de gouverneur du Darfour. De toute façon les accords Tchad-Soudan lui ont fait perdre tout soutien, il a peu ou pas de base populaire et dépendait complètement du président Deby. Paris a bien joué mais rien ne changera sur le terrain.
J’ai à plusieurs reprises vainement tenté de rencontrer le Président Sarkozy pour évoquer une autre vision possible et une autre implication de la France. Se laisser aller au consensus mou de l’amour des diplomates pour le statut quo, ne laisse plus pour entrer dans l’Histoire que la construction d’une seconde grande bibliothèque. Je suis ami avec BK depuis 1973 et je sais que la fonction ministérielle est difficile et pleine de contraintes, cette amitié là est indéfectible, née dans des combats communs, mais parfois je me demande si K n’oublie pas un peu B et si on ne le pousse pas un peu à lui faire endosser le rôle de « bad boy » dans cette affaire.
La France prétend vouloir aider AW malgré lui mais est-ce à la France de décider à sa place ? Est-ce au plus fort et au plus en paix d’être le plus exigeant ? Quel danger pour la France que le séjour d’AW et sa liberté de circuler ? Pourquoi lui refuse-t-on un visa ? Par ailleurs d’où vient cette idée qu’il faille tout brader pour un « chiffon de papier » comme à Munich ou à Yalta ? Qui ose dire que la paix ne vient que de négociations même avec des criminels poursuivis ? Quid de Postdam, Tokyo etc …
AW n’a plus rien à espérer, sûrement il va quitter la France, il va s’expulser tout seul.
Finalement, et si la France et les autres cessaient de s’occuper du Darfour et ne s’occupaient que de nourrir les rescapés de Béchir que Béchir jette dans des camps ?